Alors que la semaine du 5 février est consacrée à la prévention du suicide en France, SOS Amitié lui consacre son temps quotidiennement tout au long de l'année. Mais l'association peine aujourd'hui à recruter des bénévoles écoutants. À Troyes, par exemple, ils ne sont plus que 24 alors qu'il en faudrait au moins 10 de plus pour assurer une permanence téléphonique à hauteur de l'enjeu.
"SOS Amitié, bonjour." À chaque appel téléphonique, la phrase d'accueil est la même. Ce matin, c'est Marie-Geneviève qui est installée dans un modeste bureau, tout juste chauffé à 20 degrés par un radiateur d’appoint. À l'autre bout du fil, une femme parle de la difficulté des rapports mère-fille. Marie-Geneviève, écoute, attentive, sans juger. Elle est bénévole au sein de l'association troyenne depuis le mois d'octobre. "Ce n'est pas un hasard si je fais ça, il y a une cohérence avec ma vie". Nous n'en saurons pas plus. Avec sa voix calme, douce et rassurante, elle donne un peu de son temps à ces hommes et ces femmes dont le point commun tient souvent en un mot : solitude.
Partager les malheurs des autres quatre heures par semaine, c’est le contrat moral établi entre l’écoutant et l’association. Pousser la porte de "SOS Amitié" et répondre aux appels, c’est être confronté à des vies et destins souvent difficiles. L’appelant peut être harcelé, angoissé, dépressif, bipolaire… Il y a aussi les suicidaires, voire suicidants. Les premiers expriment une envie de passer à l’acte quand les seconds viennent de le faire. Dans ce cas, "ils cherchent simplement à ce qu’on soit là dans leur fin de vie, une présence pour les accompagner dans leur geste et ça, je peux vous garantir que ce n'est pas facile", assure Annick Savary, la présidente.
"Il faut que les gens (NDLR : les écoutants) soient bien dans leur tête », insiste Françoise. Elle est arrivée dans l'association en 2005, "je suis l’ancêtre", dit-elle avec le sourire. Son expérience lui permet d’être aujourd’hui en charge du recrutement et de la formation. Si la mission lui tient à cœur, elle fait face à des difficultés croissantes pour la mener à bien. Ici, comme dans d’autres structures associatives, on constate une perte d’intérêt pour l’engagement associatif. À Troyes, "SOS Amitié" peut compter sur 24 écoutants. "On manque cruellement de bénévoles !" Une phrase qui résonne presque comme un appel au secours.
Annick Savary aimerait avoir, au moins, une dizaine d’écoutants supplémentaires. Avec l’effectif actuel, elle reconnaît que l’antenne de Troyes "a du mal à honorer ses engagements" et ne pouvoir répondre qu’à un appel sur trois. En France, "SOS Amitié", c’est une écoute 365 jours par an, 24 heures sur 24, assurée par 1900 personnes. En 2023, la plate-forme a reçu 3,5 millions d’appels à l’échelle du pays. Dans le même temps, à Troyes, vingt candidatures sont arrivées dans les mains de Françoise et trois seulement ont abouti à un recrutement.
On n'est ni médecin, ni psy.
Annick Savary, présidente de SOS Amitié Troyes
"Un bon écoutant, c'est quelqu'un qui a de l’empathie, qui a du respect, qui comprend qu’on n'est pas là pour juger, pour critiquer", explique-t-elle. Un bon écoutant, c’est aussi quelqu’un qui va d’abord devoir passer toutes les étapes du recrutement : les entretiens et la formation "lourde". "Nous prenons beaucoup de précautions avant d'intégrer quelqu'un dans l'équipe", précise Françoise. Il faut s'assurer que les candidats ne sont pas eux-mêmes en prise avec une souffrance ou un traumatisme. Viendra ensuite le temps de la formation, plus de 60 heures théoriques et pratiques, que certains abandonnent en cours de route. "Ils ne se rendent pas compte de ce qu'est vraiment l’écoute, ils pensent que c’est comme une conversation avec des amis ou la famille et qu'on pourra donner des conseils, alors qu'on n'est pas du tout dans le conseil, on est là pour aider, soutenir moralement. On n'est ni médecin, ni psy", ajoute Annick Savary.
Ce n’est pas Marie-Geneviève qui dira le contraire. "Je suis là, j’écoute, mais je reste à ma place." Dans sa petite pièce, elle enchaîne les appels. Ici, la permanence est prise pour quatre heures. De l’aveu de tous, "les écoutes sont de plus en plus difficiles". "On est tous à dire qu'au bout de deux heures, on commence à être épuisés parce qu'elles sont intenses", ajoute Françoise à quelques mètres de là.
Si certaines journées sont plus dures à vivre que d’autres, personne ne regrette d’avoir un jour poussé la porte de "SOS Amitié". Marie-Geneviève assure que "le fait d’être en contact avec des personnes, de les entendre, de ressentir leur humanité", c’est aussi ressentir sa propre humanité. "C’est fou ce que ça peut apporter", renchérit-elle. Tous sont bénévoles, mais un peu plus riches chaque jour. "Quand on a réussi à redonner le sourire aux gens en fin de conversation, conclut Annick Savary, je vous assure que c'est vraiment ça notre salaire".
- Besoin d'une écoute, pour contacter SOS Amitié, composer le 09 72 39 40 50
- Pour devenir bénévole écoutant chez SOS Amitié à Troyes, écrire à sosamitie3@gmail.com