Depuis fin 2017, les ordonnances Macron plafonnent les indemnités pour licenciement abusif. Le tribunal de Troyes a condamné les employeurs à verser des dommages et intérêts supérieurs au barème imposé, invoquant la législation internationale. Décryptage.
Depuis fin 2017 et la mise en application de ces ordonnances, les dommages et intérêts sont plafonnés entre 1 et 20 mois de salaire brut, en fonction de l'ancienneté du salarié. Avant ces réformes, les indemnités de licenciement étaient laissées à la libre appréciation des juges des Prud'hommes. Dans la majorité des cas, elles étaient proportionnelles à l'ancienneté du salarié, et correspondaient à 10 mois de salaire pour 12 d'ancienneté et jusqu'à 30 mois de salaire brut pour 30 ans d'ancienneté.
Des plafonds qui laissent peu de marges de manoeuvre aux juges
Le 13 décembre 2018, le Conseil des Prud'hommes de Troyes a rendu un jugement ne prenant pas en compte le plafonnement des indemnités. Il a donné raison à Jean-Paul G., qui avait saisi le conseil prud'hommal en février de la même année, après avoir appris que son employeur le licenciait pour motifs économiques.Dans sa demande, Jean-Paul G. avait demandé que soit écarté le barème obligatoire, invoquant la convention 158 de l'Organisation du travail et l'article 24 de la Charte sociale européenne. Le premier texte stipule que si les juges "arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié (...), ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée". Le second mentionne que "tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement". Deux textes également invoqués dans une affaire de licenciement à Amiens, comme vous pouvez le lire dans l'article ci-dessous.
Le jugement rendu par le tribunal de Troyes constitue une bonne nouvelle pour les opposants aux barèmes introduits par les ordonnances Macron. Ces derniers estiment que les nouveaux barèmes ne seraient "pas assez dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse". Côté syndicat, la nouvelle a été bien accueillie. "C'est un soulagement", annonce à l'AFP Anaïs Ferrer (CGT), pointant une baisse des recours devant les prud'hommes à cause du plafonnement car "les entreprises, qui savent combien elles vont payer, proposent des transactions en amont".
Autre point de désaccord, ces plafonds laissent très peu de marges aux juges dans certaines situations, ce qui permet aux entreprises d'anticiper "le coût maximal d'un licenciement injustifié", explique Pascal Lokiec, professeur à l'école de droit de la Sorbonne au Monde. De plus, "la faculté donnée au juge pour prendre en compte la situation individuelle du salarié, mais aussi celle de l’entreprise, est infime", ajoute-t-il.
La charte européenne et la convention de l'OIT pas suffisantes pour certains juristes
Seulement, ces recours sont contestables selon certains juristes. Dans un article de Capital, François Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, juge ces arguments juridiques insuffisants. Selon lui, "l’article 24, qui proclame que 'tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement', n’est qu’un 'principe' d’une norme internationale que les pays, comme la France, peuvent adapter dans leur droit national avec souplesse. Il n’exclurait donc pas la possibilité de la barémisation".Côté employeur, les cabinets d'avocat AvoSial ou Jeantet soulignent que la Charte sociale européenne n'est pas applicable entre particuliers. Au quotidien du soir, Me Amélie d'Heilly précise que l'affaire condamnée par le tribunal de Troyes est singulière, et que "les juges ont voulu punir le comportement 'voyou' de l'employeur (mise à l'écart du salarié, non-versement de sa paye...)".
Alors, comment sortir de l'impasse ? "Il faut attendre que la Cour de cassation prenne une décision de manière juridique et ordonnée, car là, nous sommes dans du grand n'importe quoi. Il va falloir attendre plusieurs années", déclare Me David à l'AFP. "Tant que ça n'a pas été tranché par la Cour de cassation, il va y avoir une insécurité juridique pendant quelques années", confirme Mme Ferrer.