Une manifestation de policiers se tiendra ce vendredi 11 décembre devant la préfecture de l'Aube, à Troyes. A l'origine de l'appel, le syndicat Alliance Police Nationale entend protester contre les propos d'Emmanuel Macron sur les contrôles au faciès et les "violences policières".
"Nous ne sommes plus du tout soutenus. Nous sommes devenus les paillassons de la République." Entre désabusement et colère, Eric Henrion, secrétaire départemental du syndicat Alliance Police Nationale dans l'Aube, assume franchement le "dégoût" ressenti à l'écoute de l'interview accordée par Emmanuel Macron au site internet Brut. "J'aimerais bien que les politiques et notre ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, viennent deux jours en patrouille avec nous, poursuit-il. Sans caméra et sans gardes du corps. Ils verraient la réalité de notre quotidien."
Manque de reconnaissance et désaveu
Au cours de cet entretien controversé, le président de la République avait évoqué "les violences commises par des policiers", suite au passage à tabac du producteur Michel Zeckler par les forces de l'ordre à Paris. Provoquant l'ire de la profession, il avait surtout dénoncé les contrôles au faciès : "Aujourd'hui, quand on a une couleur de peau qui n'est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé (…) On est identifié comme un facteur de problèmes et c'est insoutenable."
Selon Eric Henrion, ces propos participent à "une surenchère médiatique", tout en révélant un désaveu et un manque de reconnaissance. "Tous les policiers sont mis dans le même panier. Nous sommes stigmatisés, soupire le syndicaliste. Il n'y a pas de racisme de notre part. Pas de discrimination. Les mots du président, ils viennent donner raison à ceux qui nous prennent à partie et nous agressent dans la rue."
J'ai mal. L'interview de Macron nous a tous dépités.
Pour protester contre ce qu'il considère comme une "insulte", le syndicat exhorte les policiers à manifester ce vendredi 11 décembre, à midi, devant la préfecture de l'Aube, à Troyes. Il appelle également à effectuer une "grève" des contrôles de masques et attestations de sortie, "pour marquer le coup". Depuis ce lundi 7 décembre, une initiative similaire est observée dans les Ardennes : répondant à un mouvement initié par l'Unité SGP Police-Force ouvrière, les fonctionnaires de Charleville-Mézières et de Sedan ne dressent plus de contraventions en lien avec la crise sanitaire.
Derrière cette actualité brûlante, les policiers en colère entendent dénoncer "un climat général" et réclament la prise en compte de revendications portées depuis plusieurs années. Travaillant aujourd'hui au sein de la brigade financière, Eric Henrion est entré dans la police il y a vingt ans. Vingt ans durant lesquels il a constaté, ou "subi", une lente détérioration de ses conditions de travail : "Si vous veniez dans mon bureau, je vous montrerais tout ce que j'ai payé de ma poche : la tour où je range mes fichiers, mon siège, le bras amovible de l'écran d'ordinateur, etc. Je suis presque obligé de publier un tract pour changer la brosse à chiotte ! Ce n'est pas normal !"
De plus en plus de policiers vers une reconversion
Au-delà des problématiques matérielles, il assure que toute la profession se sent actuellement déconsidérée. "L'image et la parole du policier, dans la vie de tous les jours, n'ont plus de valeur, regrette-t-il. On le voit dans les contrôles et les interpellations. Les gens ne nous respectent plus." Selon le représentant syndical, cette dévalorisation se retrouve dans de plus hautes sphères, au sein des institutions judiciaires : "Le plus dur, au quotidien, c'est quand on voit qu'on travaille pour rien. On arrête des délinquants qui sont tout de suite relâchés, déplore Eric Henrion. Au commissariat de Troyes, on croise les mêmes têtes toutes les semaines. On interpelle pour rien. Notre boulot n'a plus de valeur, c'est ça ? Quand je dis à ma fille que papa arrête les bandits, je me garde bien de lui dire que les bandits ne sont même pas condamnés !" Conséquence : "de plus en plus" de policiers envisageraient une reconversion.
Pour répondre au dépit des forces de l'ordre, le chef de l'Etat a divulgué, mardi 8 décembre, la tenue d'un "Beauvau de la sécurité" à partir de janvier. Début 2021, des concertations auront lieu autour d'une réforme de la police, afin "d'améliorer les conditions d'exercice" et "consolider" les liens avec les Français. Survenant après le retrait de l'article 24 de la loi "Sécurité globale", cette annonce ne serait "que de la poudre aux yeux", selon Eric Henrion. "Nos demandes sont les mêmes depuis des années, explique-t-il. Si nos dirigeants se souciaient de nous, ils agiraient au lieu de parler."