Il y a 80 ans, le 3 août 1944, le village de Merkwiller-Pechelbronn en Alsace du Nord était bombardé par les Américains. Leur cible : la raffinerie alors tenue par les Allemands. 25 personnes sont mortes ce jour-là. Des survivants témoignent pour faire connaître leur histoire aux plus jeunes.
C'est une journée noire, encore profondément ancrée dans les mémoires. Le 3 août 1944, les Américains lançaient plus de 2000 bombes sur la raffinerie de Merkwiller-Pechelbronn, dans le Bas-Rhin. Objectif, détruire ce site stratégique alors aux mains des Allemands pour les priver de pétrole.
Quatre personnes y ont perdu la vie, 21 autres sont mortes dans le village. 80 ans plus tard, Jean-Michel Schweiger n'a rien oublié. Théo, son cousin, fait partie des victimes. "Les gens de Merkwiller savaient qu'un beau jour, la raffinerie de Pechelbronn serait bombardée, confie-t-il. C'est arrivé ce jour-là."
Le nonagénaire se souvient de chaque détail. Il visualise encore les avions qu'il comptait avec Théo, "il y en avait 12 ou 13". Un sifflement brutal, puis la mise à l'abri à la cave. Avant deux heures interminables.
"Une bombe est tombée juste derrière la cave, elle a projeté le mur vers l'intérieur avec les fûts de vin et le reste, et la maison s'est effondrée. On était coincés sous les décombres, raconte-t-il. Le seul avec qui je pouvais communiquer, c'était mon grand-père. Je l'implorais de retirer les pierres qui appuyaient sur ma tête. Mais lui non plus ne pouvait pas bouger. Théo, qui était avec nous, ne disait plus rien."
Le garçon de sept ans est sans doute mort asphyxié, pris au piège sous les gravats. Jean-Michel Schweiger, lui, a survécu, libéré par son père. "Je revois ma mère à l'extérieur, en panique. Elle pleurait, mais moi, je m'en suis sorti", énonce-t-il, presque gêné.
Je criais : « Maman, le sol tremble ! Maman, le sol tremble ! Protège-moi maman, protège-moi ! Le sol tremble, j'ai peur. »
Lisa WernertSurvivante
Le couple Wernert est marqué par le même traumatisme. Ce 3 août 1944, Lisa avait trois ans. Ses souvenirs sont ténus, mais bouleversants. Lorsque les sirènes d'alerte ont retenti, ses parents ont fui avec elle en voiture pour se cacher dans un fossé. Les mots qu'elle hurlait à sa mère résonnent encore en elle : "Je criais : « Maman, le sol tremble ! Maman, le sol tremble ! Protège-moi maman, protège-moi ! Le sol tremble, j'ai peur. »"
Son mari François, sept ans à l'époque, travaillait dans les champs avec sa grand-mère au moment du bombardement. "Est-ce la fin du monde ?, se demandaient-ils alors. On ne voyait pas ce qui se passait au loin. Ma grand-mère a grimpé sur le charriot à blé, elle a sorti son chapelet et s'est mise à prier. « François, prie aussi, me suppliait-elle tout en priant. Prie ! »"
Le grondement des avions, puis le silence pesant - plus aucun oiseau à la ronde - avant le retour assourdissant des machines. "Ma grand-mère n'avait jamais vu d'avion de sa vie. Je ne pouvais pas lui dire ce qui était en train de se passer."
La commune vient d'obtenir le label "Mission Libération" du ministère des Armées
À Merkwiller-Pechelbronn et dans les alentours, une génération entière reste marquée par la tragédie qui a visé la raffinerie. L'histoire de cette place forte de l'industrie pétrolière est présentée au Musée du pétrole. Des bénévoles la documentent pour la faire connaître. C'est le cas de Jean-Claude Ball : "La raffinerie s'étendait sur 25 hectares. C'était un lieu important : il faut savoir que c'était le deuxième employeur d'Alsace du Nord, avec 3500 salariés."
Le site, détruit à 90 %, a été reconstruit sur dommages de guerre et restera en fonctionnement jusqu'en 1970, quand son exploitation a définitivement cessé. Seules quelques ruines subsistent. Mais la commune se démène pour entretenir cette mémoire. Elle vient d'obtenir le label "Mission Libération" du ministère des Armées. "Il reste peu de survivants, à nous de prendre le relais auprès des enfants", estime le maire Dominique Schneider.
Pour comprendre, ils peuvent toujours lire le témoignage de Jean-Michel Schweiger dans son Été 1944 à Merkwiller. Un ouvrage publié en 1998... plus de 50 ans après le bombardement. Trop de misère dans le village pour que quiconque s'autorise à y évoquer la catastrophe les premières années : "Personne n'en parlait". Mais peu à peu, elle tombait dans l'oubli. Alors Jean-Michel a écrit ses mémoires, à la main, pour ses enfants et petits-enfants. Elles ont finalement été rendu publiques. Héritage précieux de ce triste 3 août 1944.