Ne dites plus forcément "Bon dimanche, monsieur le pasteur". Les femmes sont de plus en plus nombreuses à vouloir remplir cette fonction. Deux nouvelles femmes ont été ordonnées dans ce rôle en 2023, en Alsace. Près d'un pasteur sur deux est une femme, dans notre région.
"213 pasteurs en Alsace-Moselle, dont 47% de femmes" : une statistique éloquente. On trouve de plus en plus de femmes pasteures, au sein de notre territoire. Ce changement très visible répond au besoin de renouvellement, avec les nombreux départs à la retraite.
C'est le cas notamment à Bischheim et à Mundolsheim, deux communes du Bas-Rhin. Dans chacune de ces paroisses, deux femmes ont été ordonnées pasteures. Une vocation qui posait d'abord question pour certains, avant d'être au final bien accueillie.
L'une de nos équipes a suivi ces deux femmes d'Église, dans leur engagement. Elles s'y consacrent jusqu'au bout, quels que soient les ressentis de chacun.
Pasteure et fière
Être dans une paroisse, au début, Anne-Marie Heitz-Muller n'y pensait pas. "Je voulais monter un café solidaire. J'avais monté tout le projet, et puis en dernière minute, tout s'est écroulé. À ce moment-là, c'est une amie qui est complètement athée qui m'a dit 'Tu sais Anne-Marie, c'est normal, ce n'est pas là que tu dois être'. Cela a vraiment fait un déclic en moi", se souvient cette pasteure de 40 ans.
Depuis 2021, les fidèles de la commune de Bischheim peuvent assister à ses offices. Une autre vie qu'elle a choisie, après avoir été dans l'enseignement et le monde des associations. Anne-Marie officie à la paroisse de Bischheim, après une autre vie dans l'enseignement et le monde des associations. La jeune femme est passionnée par la théologie : l'étude des religions et des dieux. Une passion qu'elle a voulu mettre au service des autres.
Pas de répit pour cette pasteure : aucune journée ne ressemble à une autre. Il faut composer avec les funérailles, les accompagnements de mariage ou encore les temps de prière. Ces exigences lui conviennent : "Les gens sont à la recherche de quelque chose, d'un message, d'une spiritualité, d'une écoute. C'est vraiment un phénomène d'après-Covid. J'ai toujours été un petit peu touche à tout, donc ça permet aussi de rencontrer des publics extrêmement variés. Des tout jeunes, des jeunes familles, des personnes plus âgées, et je trouve que c'est vraiment ce qui est passionnant dans ce métier-là."
Une mixité progressive mais lente
Une femme qui devient pasteure : impensable, autrefois. Dans la première moitié du 20e siècle, des femmes avaient toutefois forcé la porte. Il y a eu des pionnières, comme Berthe Bertsch. Il s'agit de la première femme ordonnée pasteure en Alsace, dans les années 1930. Autre exemple auquel on peut aussi penser : Marieleine Hoffet. Depuis, les mentalités ont évolué, à en croire des représentants d'églises protestantes.
"L'arrivée des femmes dans le ministère pastoral renforce davantage l'aspect 'accompagnement des personnes, écoute et accompagnement des personnes', par rapport à l'image d'un pasteur traditionnel qui est plus un 'monsieur je sais', sachant, le prédicateur en chair le dimanche, le notable. Cette vision pastorale s'estompe, je dirais au fur et à mesure de la féminisation du corps pastoral", souligne Alain Spielewoy, directeur des ressources humaines de l'Union des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine. En reconnaissant les femmes, l'Église protestante se distingue des autres cultes.
La mixité s’impose alors petit à petit, et doit composer avec les époques. "On a souvent effectivement mobilisé, à mon avis, à tort, des arguments bibliques. Le pire étant que Jésus était un homme, donc ses disciples étaient des hommes. Pour moi, le sujet, c'est 'Comment est-ce que l'Évangile qui pour nous un message extrêmement vivant, pertinent, encore aujourd'hui, comment peut-il s'incarner concrètement, dans la vraie vie ?' Et cette vie est faite de femmes, d'enfants", expose Christian Albecker, président de l'Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine.
Quelques réserves encore
Restent tout de même quelques réticences. Stéphanie Ferbert se souvient encore des nombreuses questions lors de son installation, il y a 12 ans. Elle officie comme pasteur à Mundolsheim : "Des personnes avaient quelques questions, quelques questionnements, peut-être même des doutes, quant à ma capacité en tant que femme à pouvoir accompagner et servir la paroisse du fait effectivement de ma condition féminine et que j'étais une jeune maman, à l'époque prise avec trois enfants."
Elle reste encore marquée, même si elle relativise peu à peu, notamment au travers d'une anecdote. "Le dimanche matin, après le culte, j'ai pour habitude de saluer les paroissiens à la sortie : 'bon dimanche, bon dimanche'. Régulièrement, les gens ne pouvaient pas s'empêcher : 'Bon Dimanche, Monsieur le Pasteur'. En fait, ça sortait spontanément, parce qu'ils ont été conditionnés comme ça. C'était celui pour lequel on enlevait son chapeau dans la rue, quand on le croisait, comme les notables en fait des villages dans le temps. Aujourd'hui, on en est plus tout à fait là", relate-t-elle.
Qu'importe pour ces femmes pasteures : elles ne tiennent pas compte de ces réticences d'un autre temps. Mieux, la plupart des pasteurs d’aujourd’hui fondent un foyer. "C'est un des fondements effectivement de pouvoir vivre cette vie de famille. Je pense que de vivre sa foi dans le monde, tel qu'il est, nous permet, j'imagine, de mieux comprendre aussi les problèmes que peuvent rencontrer les gens, puisqu'on est confronté au même problème qu'eux", ajoute sa consœur Anne-Marie Heitz-Muller, pasteure à Bischheim. Des enrichissements pour l’Eglise, qui est parfois critiquée et vue comme "hors du monde".