Covid, un an après : "Je n'oublierai pas, cette histoire fait partie de moi pour toujours", Léa, infirmière en Ehpad

Le 15 avril dernier, j'avais appelé Léa. La jeune femme, infirmière dans un Ehpad avait témoigné de son quotidien. Fait de larmes, de morts, de souffrances, de peur, de solitude. C'était la première fois que la France savait. Savait ce qui se passait derrière les rideaux en nylon. L'enfer blanc. 

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S'il ne devait en rester qu'un ce serait celui-là. Le portrait de Léa, cette jeune femme de 30 ans, infirmière en Ehpad. Elle avait, pour la première fois, brisé le silence. Le silence de mort qui régnait alors sur ces établissements touchés de plein fouet par le Covid. Ces établissements dont on ne connaissait que des chiffres affolants et des courbes désincarnées. Ces établissements où la mort en embuscade emportait chaque jour des hommes, des femmes, parfois la raison et toujours une vie riche de ce qu'elle avait été.

Tout se jouait à huis-clos dans ces petites chambres fermées à double tour par peur de la contagion. Dans une solitude immense. Dans des souffrances inimaginables. Faute de personnel, faute de prise en charge. Oui, Léa nous avait ouvert les yeux. Sur ce que nous ne voulions pas voir. Le sort réservé à nos aînés. L'enfer blanc. 

 

 

Ce portrait, je l'ai écrit le 15 avril 2020. Ce jour là il faisait beau mais j'ai été plongée dans l'obscurité. D'un coup de fil.  Ce soir-là, après avoir appelé Léa, je n'ai pas pu dormir. Il fallait que je couche ça, tout ça, sur le papier. Vite le cracher. M'en débarrasser. Il fallait que je partage cette honte et cette souffrance mêlées. Je ne l'ai ensuite jamais relu. Ni jamais oublié. 

Léa non plus n'a rien oublié. Forcément. Elle m'avait déjà prévenue "je suis marquée à vie." 

 

La douceur

J'appelle Léa à reculons. Je n'ai pas envie de la replonger là-dedans. Je sais combien ça a été douloureux pour elle de le vivre et de le raconter. Elle hésite, dit qu'elle réfléchit. Je comprends, moi je n'aurais pas eu ce courage. Tout ce courage. Et puis un jour, sans crier gare : "C'est bon je suis d'accord mais pour aller de l'avant, pour parler de l'avenir."  

Et pour exorcicer le passé, nous décidons de publier son vrai prénom. Un petit pas vers la lumière. Clémence mérite d'être connue même si elle ne veut toujours pas être reconnue. Par pudeur. Clémence, clemens, douceur en latin. Tellement mieux que Léa. Clémence, c'est elle oui.

Sa voix est toujours aussi douce et l'écouter de nouveau me trouble et m'enserre la gorge. J'y reconnais cette justesse et cette fragilité : elle n'a pas changé. Elle a par contre changé de vie. " J'ai quitté l'Ehpad dans lequel je travaillais fin avril et je suis infirmière libérale depuis début mai dans le secteur de Strasbourg sud. Continuer comme ça je n'aurais pas pu."

Moi la fragile, la tendre, j'ai tenu bon. Je me suis découverte courageuse et forte

Clémence

 

Ce projet, Clémence le portait depuis longtemps. Bien avant le Covid. Disons que ce dernier n'a fait que la conforter dans ce choix, ce changement. "Je suis restée à l'Ehpad jusqu'au bout. J'ai eu la force de ne pas partir avant, de ne pas lâcher et je suis fière de ça. Moi la fragile, la tendre, j'ai tenu bon. Je me suis découverte courageuse et forte. Mais je n'aurais pas pu continuer comme ça beaucoup plus longtemps."

En voiture

 

Désormais Clémence fait donc des visites à domicile. Elle s'occupe d'une vingtaine de patients, les 3/4 sont des personnes âgées. "Je continue mon travail auprès des personnes vulnérables, âgées mais différemment. Au départ ça a été difficile, j'étais un peu perdue moi qui ai travaillé huit ans en Ehpad. Là du jour au lendemain, je me suis retrouvée toute seule face à eux sans une équipe sur qui je pouvais compter, sur laquelle m'appuyer en cas de doutes. C'était assez vertigineux. Mais j'ai appris à être débrouillarde. En Ehpad je vivais sur mes acquis, là c'est un challenge de tous les jours.

Leur intérieur c'est en soi toute une histoire. Je retrouve là le cœur de mon métier : le lien

Clémence

Tout s'apprend. Tout sauf le naturel. Cette bienveillance qu'a Clémence, je le sens, je le sais, elle la trimballe désormais avec elle. Dans sa voiture. "Pénétrer l'intimité des gens, dans des lieux où certains ont vécu toute leur vie, oui c'est intimidant. Ce n'est pas du tout la même chose que de rencontrer des gens dans leur chambre d'Ehpad puis d'autres après eux dans la même chambre. Leur intérieur c'est en soi toute une histoire. Je retrouve là le coeur de mon métier : le lien. Et j'ai un peu plus le temps de papoter même si les journées sont bien chargées. En Ehpad, on était une infirmière pour 100 résidents... Le lien avec les familles est aussi plus fort, elles sont plus présentes et je dois bien dire réellement reconnaissantes. Ça fait du bien.

Clémence a du retrouver des gestes qu'elle avait oubliés. "Je fais des toilettes, je remets les mains dans ce qui est sale. Il faut l'accepter c'est pas toujours agréable. Mais ça fait partie de mon métier et je suis aussi là pour cela."

Toujours là

 

Le Covid ne l'a pas quittée. Ni aucun de nous d'ailleurs. "Commencer dans ces conditions ça a été un peu compliqué et j'ai eu peur. Ce que j'avais vécu en Ehpad ne m'a pas aidé à être sereine. Là seule, sans structure, j'avais peur de transmettre la maladie à mes patients. J'ai du prendre du recul et prendre des mesures. Je me protège, je m'habille des pieds à la tête, je nettoie mon véhicule personnel, je fais des tests PCR très régulièrement. Je n'ai plus peur non, j'ai l'habitude. Nous sommes arrivés à un stade où nous nous sommes acclimatés au Covid ... nous sommes dans une routine. C'est triste oui mais c'est ça où on ne vit plus."

Clémence n'a jamais été atteinte par le virus. Elle aimerait se faire vacciner, elle ne peut pas. Les infirmières libérales ne font pas partie des publics prioritaires. "Moi, je suis pour la vaccination. Moi j'ai vu et quand on voit on ne peut qu'être en faveur de la vaccination. Quand je vois tous ces antis, ces adeptes de la théorie du complot et compagnie ça me hérisse le poil. Moi je veux être vaccinée, mes parents le sont, mes grands-parents aussi j'y ai veillé."

Moi j'ai vu et quand on voit on ne peut qu'être en faveur de la vaccination.

Clémence

Clémence, elle, attendra. Jusqu'à quand, personne ne le sait. "Nous, les petites mains, on a été vues et considérées pendant le premier confinement et puis c'est retombé comme un soufflet. Que nous ne soyons pas vaccinées, c'est incompréhensible." Que dire ? Rien c'est mieux. Alors à défaut d'immuniser son corps, Clémence panse doucement ses fêlures, celles, plus subtiles, de l'âme. "Durant un an, je me suis forcée à prendre du recul, à ne plus regarder les infos. Pour ma santé mentale. Non que j'essaie d'oublier, je n'oublierai jamais mais je vais de l'avant."

Non que j'essaie d'oublier, je n'oublierai jamais mais je vais de l'avant

Clémence

"Ce que j'ai vu, ce que j'ai vécu ça a existé, je ne dois pas le nier ni le renier. Désormais, ça fait partie de moi, de mon histoire professionnelle qui a contaminé ma vie personnelle. J'ai ces moments dans un coin de la tête et dans mon coeur mais j'essaie que cela n'empiète plus sur ma vie."

Happiness Therapy

 

Clémence n'est pas allée voir un psy. En avril dernier, elle avait pourtant évoqué l'idée, toute dans sa détresse. Clémence a choisi de s'aider soi-même. Le meilleur des remèdes finalement. "J'ai réfléchi, beaucoup. Je suis parvenue à la conclusion que de ce traumatisme je sortirai grandie, enrichie. Qu'il le fallait. Je me suis aperçue que cette faiblesse, cette sensiblité qui sont en moi depuis toujours étaient en fait une grande force. Et qu'il ne fallait pas que ça change. Toujours je resterai sur cette ligne de conduite. Empathique, bienveillante. Si c'était à refaire, je referais tout. Pareil.

 

Toujours je resterai sur cette ligne de conduite. Empathique, bienveillante. Si c'était à refaire, je referais tout. Pareil.

Clémence

De ce printemps en Ehpad, est née une fleur de rocaille. Fragile mais vivace. Avec des racines profondes, toujours un peu là-bas. "Après mon départ en avril, les choses se sont calmées en Ehpad. Je suis quand même partie le coeur gros mais soulagée. Je prends des nouvelles souvent de mes anciennes collègues, elles aussi vont mieux. J'y repasse. Je n'ose pas monter dans les étages afin de ne pas contaminer les résidents, je m'en voudrais tellement de réintroduire cette merde là-bas. Et de toute façon, il y a beaucoup de nouveaux résidents que je ne connais pas, on a connu une telle vague de décès..." Les souvenirs remontent. Comme une marée noire. Pour la première fois, le silence s'installe mais cette fois je fais barrage. Je le lui dois bien et moi aussi j'ai appris en un an.

Mes rêves à moi sont en train d'être réalisés

Clémence

Nous parlons de l'avenir. De son fils de deux ans qu'elle peut enfin voir tout son soûl. "Je travaille en moyenne deux semaines par mois. De grosses journées mais après je profite. Je suis libre. Ça n'a pas de prix." Clémence me raconte aussi son déménagement bientôt pour plus grand. Peut-être pour agrandir la famille. Son salaire le lui permet désormais. La vie presque retrouvée. Banale. Banalement belle. "En un an, j'ai changé de boulot et de vie. Tout est lié. Je ne sais pas quoi dire, mes rêves à moi sont en train d'être réalisés. Si, peut-être une chose. J'aimerais que tout cela cesse et faire découvrir le monde à mon fils. Voyager." Clémence rit. D'un rire clair et ça me bouleverse. Je ne l'avais jamais encore entendu.

Je regarde par la fenêtre. Aujourd'hui c'est tout gris. Pas comme ce 15 avril 2020 inondé de soleil. Mais encore une fois, les larmes montent, un peu. Je suis heureuse pour Clémence, sortie de l'ombre. Lumineuse malgré la pluie, à nouveau.

 

Soignants, malades, commerçants, employés de supermarché, artistes, élus ou encore parents : nous les avions rencontrés il y a un an. Aujourd’hui ils nous racontent leur année Covid. Pour les découvrir, cliquez sur un point, zoomez sur le territoire qui vous intéresse ou chercher la commune de votre choix avec la petite loupe

 

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