Des objets du quotidien de la Seconde Guerre mondiale retrouvés, des trésors oubliés : "c'est incroyablement émouvant"

À l'occasion des 80 ans de la Libération, une association strasbourgeoise a décidé de faire revivre l'histoire via les objets du quotidien. Pendant deux jours, un comité d'experts a analysé tout ce que les personnes lui ont ramené. Des choses insignifiantes, trouvées dans les greniers ou dans les caves, des trésors d'historien. Récit.

Sous les voûtes majestueuses de la salle de l'Aubette à Strasbourg, des petits riens posés sur une table. À leur chevet, lunettes sur le nez, des têtes blanches sont plongées dans des conciliabules sans fin. Ils sont "experts" que voulez-vous. Antiquaires, historiens, gardiens du souvenir français, tous penchés sur ces objets, un peu jaunis, écornés, poussiéreux. Des objets oubliés dans des caves, des tables de chevet, qui racontent une histoire, celle du quotidien. De la vie ordinaire pendant une période extraordinaire. La Seconde Guerre mondiale.

Col Claudine tricolore

Dans la salle, aux allures de cathédrale, le temps est figé. À peine quelques chuchotements, le bruit de la machine à café qui ne veut décidément pas démarrer, troublent l'instant. L'heure est à l'émerveillement. "C'est fantastique", "c'est fabuleux", Georges Bischoff, qui en a pourtant vu d'autres, en bafouillerait presque. 

L'historien tient tout près de ses yeux un col Claudine tricolore, délicatement brodé. La France autour du cou. C'est Agnès, pétulante septuagénaire, qui a ramené cet ornement de chez elle. Elle sort de son sac une voilette bleue fichée de fleurs tricolores, de plumes dans les mêmes tons patriotes. "Ces objets appartenaient à maman, c'est elle qui les a confectionnés, j'imagine. Je les ai retrouvés dans une table de chevet, ils dormaient."

Le père d'Agnès, Lucien Albert Becker faisait partie de la deuxième DB. Il a participé à la Libération de Strasbourg. Elle tend d'ailleurs un carré de soie des années 50 sur lequel est imprimé le serment de Koufra. Kitch et émouvant. Tous ces accessoires portent décidément mal leur nom. Pour Agnès, pour les historiens qui l'entourent, ils revêtent une importance capitale. 

"Tout ça, c'est notre histoire, c'est la mienne aussi et ça se perd, ça se délite. Ça me tient à cœur d'en parler, de le montrer, de le transmettre. Pendant longtemps, ma mère a refusé de me parler de la guerre, et quand elle l'a fait, j'ai découvert un autre pan de l'histoire, familiale. Aujourd'hui, je souhaite transmettre le flambeau. Moi, je suis née dans les années 50, je suis encore dans le bain pour ainsi dire, mais mes petits-enfants sont loin de tout ça. Il faut leur laisser des traces. Cet artisanat spontané, ça raconte des choses, ça raconte aussi l'histoire."

Le mystère de la robe américaine

Laisser une trace, conserver, archiver : c'est tout le travail d'Anne Heintz, présidente du comité Strasbourg ville du souvenir français et organisatrice de ce Stammtisch de la mémoire. Elle prend photos et notes dans son grand cahier, consigne scrupuleusement tous les objets en vue, peut-être, d'une exposition.

Toute trace parle. Nous nous devons d'être des passeurs.

Anne Heintz, présidente Strasbourg ville du souvenir français

"La sauvegarde de ce genre de choses est de plus en plus complexe, les gens vivent dans des appartements et au décès de leurs parents n'ont pas forcément la place ni l'envie de s'encombrer de tout ça. Nous, nous souhaitons redonner vie à ces objets, expliquer aussi leur contexte et leur importance. Toute trace parle. Nous nous devons d'être des passeurs."

Et Anne de me montrer cette robe retrouvée dans les encombrants, "ce qu'on veut éviter à tout prix". Rayée aux couleurs de la France, de facture grossière, l'étiquette en est américaine. "Un mystère complet. On imagine, vu sa piètre qualité, qu'elle a été fabriquée massivement. Elle a été retrouvée à côté d'une bible américaine de poche, nous supposons que les Américains devaient en distribuer à la Libération." 

L'épaisseur du vécu

Certains objets ont une histoire bien connue. Comme ce drapeau à caractère politique, touchant dans son nationalisme candide. Cousu main, brodé d'un médaillon à l'effigie du général De Gaulle, il affiche en capitales cette phrase "À bas les boches, À bas les Russes". Le couturier engagé avait 12 ans. Il s'appelait Guy Heitz. Ce petit garçon fera, bien plus tard, des mots son métier. Il deviendra journaliste et romancier.  

"Papa, comme tous les enfants de son âge, a écrit ça spontanément avec ce qu'il avait sur le cœur. J'ai déjà beaucoup donné de ses affaires au Musée historique de Strasbourg. Ce drapeau, je le donne aussi volontiers, mes petits enfants ça ne les intéresse pas. L'essentiel, c'est de transmettre, poser une petite pierre pour qu'il ne tombe pas dans l'oubli" raconte Annick.

Ces choses modestes, fragiles, improvisées sont essentielles pour sortir de l'histoire figée, celle des livres ou des musées.

Geroges Bischoff, historien

"Toutes ces choses sorties de la mémoire écrite et orale sont pour ainsi dire des témoignages archéologiques. Une mémoire non officielle si vous voulez qui a l'épaisseur du vécu. Elle a pour elle une dimension interne qui rend les choses insignifiantes extraordinaires. Sensibles. Ces choses modestes, fragiles, improvisées sont essentielles pour la transmission de l'histoire, essentielle pour sortir de l'histoire figée, celle des livres ou des musées. C'est pourquoi, il est si important que les gens qui connaissent les histoires de ces objets les transmettent, il faut garder le contact direct, les faire vivre."

Georges Bischoff interrompt son analyse. Une boîte à biscuits ornée du portrait du général Leclerc vient de faire son apparition sur la table. "C'est incroyable". Un jeu de dames décoré main de personnages alsaciens la suit de près."C'est unique." Cette première édition des greniers de la mémoire restera, c'est sûr, dans les annales.

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