Des restes humains africains identifiés dans les collections de l'université de Strasbourg

Il aura fallu un an de travail pour arriver à ces conclusions. Oui les ossements et les crânes stockés dans les collections de l'Université de Strasbourg appartiennent à des tribus de Namibie et de Tanzanie. Ils sont arrivés à Strasbourg à la fin du 19ᵉ siècle lorsque Strasbourg était encore allemande. Explications.

L'Université de Strasbourg (Unistra) a annoncé mardi 12 juin avoir identifié dans ses collections d'anatomie les "restes humains" de 34 individus provenant des actuelles Tanzanie et Namibie mais dont aucun n'est lié au génocide des Herero par les Allemands au début du XXe siècle.

Un travail de récolement avait été lancé il y a un an, après les demandes d'une province de Tanzanie et de la fondation namibienne Ovambanderu and Ovaherero Genocide Foundation, notamment sur la présence possible à l'Unistra de restes humains liés au génocide des Herero par les troupes impériales allemandes à partir de 1904. C'est ce qu'a rappelé lors d'une conférence de presse Mathieu Schneider, président du conseil scientifique ayant mené le récolement des collections de l'Institut d'anatomie normale.

32 individus

L'institution possède en effet de nombreux restes humains ramenés d'Afrique pendant la période impériale allemande (1871-1918). L'Alsace était alors intégrée au Reich wilhelmien, qui disposait de colonies en Afrique.



Pour la Tanzanie, "on a identifié les restes humains de 32 individus", "entrés en collection en avril 1897", donnés par le docteur allemand August Windenmann à ce qui était alors la Kaiser-Wilhelms-Universität, a expliqué Tricia Close-Koenig, historienne de la médecine à l'Unistra. Parmi ces restes, "29 crânes" de membres du peuple Chagga prélevés "dans un espace funéraire de la région de Moshi", celui d'une chef d'une "tribu insoumise" ou encore celui d'une "femme Massaï âgée", potentiellement collecté près d'Aruscha. Le seul squelette complet est celui d'un homme enrôlé comme porteur par les Allemands.

Concernant la Namibie, les restes sont deux crânes, donnés par le Dr Carl Christian Sick en 1903, ce qui exclut qu'ils puissent être liés au génocide des Hérero, les massacres ordonnés par le général Lothar von Trotha ayant été engagés en 1904. Il n'est toutefois pas exclu que ces restes, collectés pendant la période coloniale, puissent provenir de combats antérieurs au génocide.


L'Allemagne fut responsable dans le pays d'Afrique australe de massacres des peuples indigènes Herero et Nama, que de nombreux historiens considèrent comme le premier génocide du XXe siècle. Au moins 60 000 Hereros et environ 10 000 Namas furent tués entre 1904 et 1908.

Restitution ?

En mai 2021, l'Allemagne, qui a perdu ses colonies après la Première Guerre mondiale, a reconnu avoir commis un "génocide" sur ce territoire colonisé entre 1884 et 1915 et promis une aide au développement de 1,1 milliard d'euros sur trente ans, qui doit profiter aux descendants des deux tribus.

La présence de ces restes humains à l'Unistra "relève d'une collecte de pièces humaines assez courante au XIXe siècle", à des fins "d'anatomie anthropologique" pour tenter de "définir les races", commente Mme Close-Koenig. On peut ainsi trouver "des milliers de crânes (...) dans la plupart des facultés de médecine" à travers le globe.

Il y a dans cet envoi de restes humain un biopouvoir : un pouvoir sur des corps qu'on domine, qu'on extrait de leur contexte, qu'on prive des rituels auxquels ils ont droit

Odile Goerg, professeur émérite d'histoire de l'Afrique

"Il y a une double logique dans l'envoi de ces restes humains. D'une part, une logique anthropologique, médicale, qui va permettre de prouver l'infériorité des populations africaines, selon la logique occidentale évidemment, et d'autre part un biopouvoir : un pouvoir sur des corps qu'on domine, et qu'on extrait de leur contexte, qu'on prive des rituels auxquels ils ont droit dans leur propre société" précisait en juin 2023 Odile Goerg, professeur émérite d'histoire de l'Afrique.

C'est en engagement éthique de l'université de Strasbourg vis-à-vis de son passé

Mathieu Schneider, président du conseil scientifique, vice-président de l'Unistra

Il revient désormais aux États, Tanzanie et Namibie, de demander officiellement la restitution des restes s'ils le souhaitent, comme le prévoit la loi française promulguée fin 2023 sur la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, souligne M. Schneider, par ailleurs vice-président de l'Unistra.

"C'est en engagement éthique de l'université de Strasbourg vis-à-vis de son passé, de toute son histoire, coloniale aussi. Savoir ce qui s'est passé et agir. Agir dans le cadre de la loi et d'une certaine éthique vis-à-vis de ces restes humains que nous avons", a-t-il précisé.

L'université alsacienne, qui a déjà effectué un travail important pour faire la lumière sur son passé sous l'administration nazie, va désormais tâcher de mieux établir les conditions de collecte des autres restes humains africains, notamment camerounais, présents dans ses collections.

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