Deux contrôleuses alsaciennes expliquent pourquoi elles sont en grève le week-end du 17 février. Entre découchers, travail le week-end et sous-effectifs, elles témoignent d'un quotidien malmené.
"Quand est en congé, on perd de l'argent." C'est une des conséquences de la rémunération un peu spéciale des contrôleurs SNCF. Aussi appelés chefs de bord, ils sont entre 50 et 70% à être en grève dans le Grand Est vendredi 16 février, selon la CGT. Le salaire fait partie de leurs revendications.
Parmi eux, Christelle, 32 ans et syndiquée à la CGT, nous a montré sa fiche de paie. Elle se divise, après trois ans d'ancienneté, entre son salaire de base (1700 euros bruts) et les primes (1000€ bruts en janvier). Mais les primes, qui ne sont pas comprises dans le calcul de sa retraite, sont variables.
Une part fixe, une part variable
Ces primes sont délivrées en fonction des missions ou des trains sur lesquels les chefs de bord travaillent. Mécaniquement, pendant les vacances, elles ne sont pas versées et les salaires dégringolent. "Alors, on anticipe toujours l'impact des congés sur le salaire, on calcule, on ne va pas prendre trois semaines en août par exemple", détaille Christelle.
De même, un cheminot en arrêt maladie perd une part importante de son salaire. C'est la raison pour laquelle les grévistes ne sont pas satisfaits de la prime de 400€ promise par la direction pour le 1ᵉʳ mars (qui s'ajoute à une autre, du même montant, versée en décembre 2022). Ils réclament des augmentations de leur traitement de base (salaire hors prime).
Passer du temps loin de sa famille
Selon les grévistes, la rémunération n'est pas en accord avec la pénibilité de ce métier. Mais alors à quoi ressemble le quotidien des contrôleurs ? Être chef de bord, c'est d'abord passer beaucoup de temps loin de chez soi et travailler en décalé.
Pour Abygaelle, contrôleuse sur les TER depuis cinq ans, le maître-mot, c'est l'organisation. La jeune femme, également syndiquée à la CGT, dort en moyenne deux nuits par semaine dans une autre ville. Avec deux enfants à charge et un conjoint qui travaille de nuit, sa vie est régie par un agenda très strict. "C'est beaucoup de charge mentale, parfois, c'est ma belle-mère qui garde les enfants, parfois, ils dorment chez la nounou", témoigne-t-elle.
Il y a des choses qu'on manque, des spectacles d'école où je ne peux pas aller
Abygaelle, contrôleuse SNCF
Cette semaine, elle a dormi à Épinal et à Sélestat, et n'a pas vu ses enfants pendant 48 heures. "Il y a des choses qu'on manque, des spectacles d'école où je ne peux pas aller, ça me rend triste, mais on essaie de compenser quand on est là", soupire-t-elle.
Des voyageurs privés de vacances
Si la vie de famille est plus difficile à gérer, c'est aussi la santé qui en prend un coup, selon Christelle. "Nos horaires changent tout le temps, je n'ai pas de rythme, en ce moment, je dors quatre heures par nuit", confie-t-elle. "Mais évidemment, nous ne sommes pas les seuls, c'est tout le monde du travail qui souffre, les autres salariés aussi sont dans des situations difficiles", reconnaît-elle.
Lorsqu'on l'interroge sur la colère des voyageurs qui n'ont pas pu partir en vacances à cause de la grève, la contrôleuse répond qu'elle les comprend. "Ce sont des gens qui bossent, qui subissent aussi l'inflation, mais la grève, c'est le seul moyen, on essaie de lever la tête, de se bagarrer."
Des cadences qui augmentent
Les conditions de travail sont aussi au cœur de leurs revendications. Après cinq ans passés sur les rails, Abygaelle assure avoir vu les cadences augmenter à grande vitesse. "On doit faire plus de trains pour le même nombre d'heures, donc on doit faire plus vite", explique-t-elle.
Les deux contrôleuses insistent sur la responsabilité qui pèse sur leurs épaules, notamment quand elles sont seules dans le train. "Chef de bord, ce n'est pas juste contrôler les billets. C'est aussi assurer toute la sécurité avant le départ et dans le train, vérifier l'électricité, les portes, etc. On a de nombreuses tâches à réaliser", énumère Abygaelle.
Chef de bord, ce n'est pas juste contrôler les billets
Abygaelle controlleuse SNCF
Selon elles, ces cadences "élevées" sont liées au sous-effectif qui touche leur profession et contribuent aux différents retards de train. "On n'a plus de temps entre les tâches ou entre les trains, au moindre problème, on n'a plus de marge. Alors bien sûr, on prend le temps de faire notre travail correctement, mais ça provoque des retards", assure Abygaelle.
Elles dénoncent des situations qu'elles jugent "hallucinantes". "Pendant le marché de Noël de Strasbourg par exemple, ou lorsque des trains sont supprimés, les wagons sont bondés, on est seuls à bord et on ne peut pas faire nos tâches de sécurité correctement", alerte Christelle.
"Il faut bien comprendre qu'aux Chemins de fer, tous les métiers sont liés parce qu'il y a des réactions en chaîne, poursuit-elle. Quand on ne peut pas faire rouler les trains à cause du réseau ou faute de personnel, nous sommes aussi impactés." Les deux jeunes femmes réclament donc des embauches. Mais pour cela, il faudra attirer les candidats.