Elle s'y attendait mais la nouvelle a tout de même bouleversé la communauté ukrainienne d'Alsace : les forces russes ont commencé à envahir leur pays cette nuit, le 24 février et à bombarder Kiev. En liaison permanente avec leur famille, ces Ukrainiens expatriés sont terriblement inquiets.
Ils ont passé la nuit l'oreille collée à leur smartphone, en lien avec leur famille restée en Ukraine. Les ressortissants strasbourgeois de ce pays d'Europe de l'Est envahi par la Russie cette nuit, se sont rassemblés ce matin, le 24 février au consulat situé dans le quartier de l'Orangerie.
Sous le choc évidemment, ces Ukrainiens expatriés ont tenu pourtant à témoigner de leur effroi et de leur indignation, à commencer par l'ambassadeur, représentant permanent auprès du Conseil de l’Europe, Boris Tarasyuk. Des propos fermes, qui condamnent résolument l'offensive menée par la Russie.
"Les troupes russes ont commencé à tirer sur les villes pacifiques ukrainiennes et ont traversé les frontières nationales. Les masques sont tombés, cette nuit, le masque de l'agresseur est apparu, la Russie, qui ne respecte pas le droit international et le statut des Nations Unies et du Conseil de l'Europe. La Russie a complètement bafoué les accords internationaux, toute la responsabilité de ce conflit armé repose sur les épaules de la Russie".
"Quelle est la réaction du Conseil de l'Europe? Hier il y a eu une réunion du comité de ministres, cette réunion a démontré que tous les Etats membres supportent l'Ukraine. Aujourd'hui comme jamais auparavant nos forces armées sont puissantes, cinq avions et deux hélicoptères russes ont déjà été abattus. Tout le peuple ukrainien va se défendre contre l'agresseur russe. Il faut reconnaître que les conséquences peuvent être terribles.
Mais la guerre n'est pas le choix du peuple ukrainien, c'est une folie fanatique de Poutine, et nous voyons bien que le monde entier est du côté de l'Ukraine, nous avons besoin de la solidarité mais pas seulement, nous avons besoin du soutien financier, militaire, humanitaire dans ces heures difficiles".
La panique à Kiev
Cette réaction officielle rejoint le ressenti des Ukrainiens expatriés en Alsace et à Strasbourg. Olga Vavrynchuck a 43 ans. Elle est la présidente de l'association périscolaire "École ukrainienne de Strasbourg", qui promeut la langue, l'histoire et la culture ukrainienne auprès d'une quarantaine d'enfants depuis 2010. Elle réside en France depuis près de 20 ans. Ses trois enfants de 16, 14 et 6 ans, sont nés à Strasbourg. Mais sa maman, sa soeur, sa nièce et toute sa belle-famille sont restées à Kiev. Elle est accablée.
"Beaucoup, dès qu'il ont entendu les sirènes et les bombardements, ont essayé de partir, les habitants veulent protéger les enfants, les personnes âgées. Malheureusement, ma soeur n'a pas pu faire le plein d'essence pour quitter la capitale et puis il y avaient beaucoup de bouchons hier soir et cette nuit. Donc pour l'instant, toute ma famille est restée à Kiev. On est très inquiets. Même si nos soldats sont prêts à se battre pour l'Ukraine."
Une invasion de nuit, c'est évidemment un choc pour tout le monde, même si les Ukrainiens redoutaient que ça n'arrive. "Cela fait des mois que l'on voit des soldats russes s'amasser sur notre frontière, donc on ne pouvait qu'imaginer le pire. D'ailleurs les familles avaient préparé une valise pour s'enfuir au plus vite mais dès que ça arrive, on n'est pas vraiment prêt parce que au fond de nous, on espère, on attend la dernière minute. Il y a le travail, les enfants, l'école, on n'est jamais vraiment prêts à ça".
Ce qui est difficile aussi, ce sont évidemment les enfants. La nièce d'Olga vit à Kiev avec sa maman, elle est petite mais s'interroge depuis quelques semaines déjà. "Elle demande que l'on prenne ses patins parce qu'elle fait du patinage artistique, elle est petite, elle est très attachée à ça. C'est sa façon à elle de réaliser l'impensable, c'est une véritable catastrophe humaine."
Agir en informant le plus de monde possible
Pour Olga, enfin, pas question de rester les bras croisés. Avec d'autres personnes de la communauté ukrainienne, ils ont fait venir la presse, ont organisé un rassemblement place Kléber cet après-midi. "On peut parler avec les gens, avec les journalistes pour dénoncer la situation. Vous pouvez peut-être justement transmettre cette information : que l'Ukraine est la victime dans ce conflit. Surtout qu'il y a beaucoup de propagande, de fake news. En tant qu'Ukrainienne, ce que je peux faire c'est répondre honnêtement aux questions que vous me posez."
Un jeune homme s'approche alors timidement des journalistes. Olga se tourne vers lui, l'interroge et nous traduit. Il s'appelle Jaroslav, habite Kiev durant l'année et est à Strasbourg depuis une dizaine de jours pour les vacances. Il voudrait témoigner.
"Ma maman a voulu me mettre à l'abri pour me protéger. Hier, j'ai fait le test covid-19 pour rejoindre ma famille ce matin comme c'était prévu, mais le vol a été annulé. Alors je suis très inquiet pour ma famille parce que Poutine est capable de massacrer les gens juste parce qu'ils parlent ukrainien. Je suis très inquiet (il le répète plusieurs fois). Je vais devoir rester ici pour un temps indéterminé, je n'ai pas eu choix, il n' y a plus de vol."
Mais pour Olga, c'est surtout un enfant à l'abri.