Derrière les chiffres, impressionnants, 150.000 personnes porteuses du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en France, il y a des hommes et des femmes. Il y a Magloire Onana Aboa, séropositif depuis 2016 et qui "ne s'en cache plus". Un Strasbourgeois venu du Cameroun pour sauver sa vie et qui revient de très très loin.
En cette journée particulière de lutte contre le sida, je tenais à mettre un visage derrière cet acronyme, derrière des chiffres éloquents, mais qui ne parlent pas. En France, 150.000 personnes seraient porteuses du virus de l’immunodéficience humaine. Je pensais, pétrie de clichés et de fantasmes qui entourent cette maladie à la réputation encore sulfureuse, que mes recherches seraient difficiles. En un coup de fil à l'association Aides Strasbourg, l'affaire était entendue. "Pas de souci, Magloire arrive dans 5 minutes, il vous rappelle". Je n'y crois guère jusqu'à ce que mon téléphone sonne, effectivement, et qu'une grosse voix, sans même me dire bonjour, m'annonce "Je suis séropositif et je ne m'en cache pas."
"Cette fois je vais y passer"
Magloire a 60 ans cette année dont 5 avec le VIH chevillé au corps. A cause de lui, il a quitté son pays natal, son boulot d'instituteur, sa famille. A cause de lui, il a failli nous quitter. Définitivement. Magloire a été détecté séropositif au Cameroun où il vivait une vie "pas débridée" mais où le soir, souvent, dans la touffeur des nuits yaoundéennes il sortait s'esbaudir. Avec ou sans préservatif. "J'ai commencé à maigrir, j'étais tout le temps malade, mal partout. Je pensais avoir la goutte." Son rire tonne dans mes oreilles, amer au fond. "Tu parles de la goutte, le médecin m'a dit écoute vas te faire dépister." Et voilà.
Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même
Magloire Onana Aboa
"Je ne sais pas qui m'a contaminé, comment et en fait ce n'est pas important. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, j'avais qu'à être plus prudent." Le parcours du combattant commence alors. Trithérapie : fatigue, stigmates et pourboires. "Au Cameroun l'accès aux trithérapies est gratuite mais au bout d'un moment j'ai du payer un tel ou un tel pour avoir mon traitement. Des bakchiches quoi. J'étais instituteur je gagnais bien ma vie mais au bout d'un moment, je n'ai plus pu." Magloire passe des semaines d'angoisse, où son corps s'affaiblit et sa tête démissionne. "Je me disais cette fois je vais y passer, ça tournait en boucle dans ma tête sans pouvoir en parler à mes amis qui n'auraient pas compris. Là-bas, au Cameroun le sida c'est la fin du monde, c'est tabou, la punition à une vie de débauche. On est mis au ban de la société."
Là-bas, au Cameroun le sida c'est la fin du monde
Magloire Onana Aboa
Magloire se confie alors à sa famille proche. Ses frères et sœurs. L'une d'entre elle travaille à l'ambassade de France, elle lui obtient un visa de tourisme et un sésame pour la vie. "Je suis arrivé à Strasbourg en 2017 et j'ai pu commencer, recommencer mon traitement."
Une vie normale
Magloire est mis sous Triumeq (association fixe de trois antirétroviraux actifs). Une pilule par jour avec le café et la vie devant soi. "C'est tout, c'est aussi simple que cela. Je vais voir le médecin tous les mois pour des contrôles mais j'ai une vie normale." Grâce à ce traitement, la charge virale est si minime qu'elle en est indétectable. Magloire ne peut plus transmettre le virus. "Ça a été un réel soulagement même si depuis que je suis séropositif je n'ai plus de relation sexuelle, je n'ose pas, je suis bloqué même si je sais que je suis intransmissible, c'est le traumatisme je crois. Alors bon ben je drague mais ça s'arrête là."
En ces temps de disette sexuelle, son corps prospère. "Trop. Je suis passé de 78 kg à mon arrivée à 86. Je suis gras et mon ventre dépasse." Rien de grave. " Non évidemment, je voudrais surtout dire que maintenant on peut avoir le VIH et vivre une vie normale, tout à fait normale" avec, et oui, même des problèmes de poids. Sans emploi, Magloire consacre l'essentiel de ses journées à Aides. Permanences, sensibilisation, forums, ateliers de discussions. "Pour m'occuper l'esprit et me sentir utile. Quand on explique aux personnes qu'on est soi-même séropositif et qu'on est là, normal, souriant devant eux, je peux vous dire que ça fonctionne."
On peut avoir le VIH et vivre une vie normale, tout à fait normale
Magloire Onana Aboa
Car certes nous ne sommes pas au Cameroun mais le VIH jouit d'une réputation sale aujourd'hui encore en France. En 2021, 40 ans après sa découverte. De par son émergence, son histoire, le sida cristallise tous nos tabous et nos peurs : sexualité, homosexualité, drogue, débauche, honte. "Moi, je leur en parle librement. Je le dis et je le répète, le VIH est une maladie comme les autres, comme le cancer. Pourquoi s'en cacher. Beaucoup en ont honte, beaucoup confondent aussi VIH et Sida. Certains ne savent même pas qu'on peut vivre longtemps avec cette maladie."
Magloire sous ses lunettes voit clair. "Je leur dis en vous faisant dépister à temps vous avez des chances de vivre, comme moi. Si vous ne le faites pas vous mourrez et donnerez cette mort à d'autres. Je peux vous dire qu'ils vont faire le test fissa." Le nombre de découvertes de séropositivité VIH en 2020 a ainsi été estimé à 4856, soit une diminution de 22% par rapport à 2019. Conséquence de ce recul du dépistage: un retard du diagnostic et à l'accès aux traitements antiviraux. Ainsi, l'année dernière, 30% des infections à VIH ont été découvertes à un stade avancé de l'infection, ce qui constitue une perte de chance en termes de prise en charge individuelle et un risque de transmission du VIH aux partenaires avant la mise sous traitement antirétroviral. "Le sida ce n'est pas la maladie des autres mais de monsieur tout le monde." Nous raccrochons sur ce constat, terrible tout de même. Magloire a rendez-vous chez son cardiologue. Son cœur le préoccupe plus que son sang.