La cathédrale de Strasbourg fragilisée par le réchauffement climatique ? Une étude scientifique devrait le déterminer

Le changement climatique a-t-il un impact sur l'état de la cathédrale de Strasbourg ? Une analyse du monument durant trois ans devrait aider à identifier les effets des variations des températures et de l’humidité sur le grès.

Du haut de ses 142 mètres, la flèche de la cathédrale Notre Dame de Strasbourg domine la plaine d’Alsace. Ce monument emblématique millénaire, maintes fois blessé et réparé, a su faire fi des incendies, des révolutions et des guerres. Mais aujourd’hui, il est fragilisé par le changement climatique.

C’est du moins l’hypothèse – pour ne pas dire la conviction – de chercheurs du laboratoire strasbourgeois Epitopos, qui tiennent à la vérifier par le biais d’une étude scientifique prévue sur trois ans.

Ils sont en train d’installer sur le bâtiment des capteurs connectés, qui transmettront leurs données à des ordinateurs. L’objectif des informations récoltées sera, à terme, de mieux protéger la cathédrale à titre préventif.

Des capteurs en place pour trois ans

L’endroit est sublime, à peine décelable depuis la terre ferme. Un espace ouvert à tous les vents, à une centaine de mètres de hauteur, là où commence la flèche. En ce lieu plus familier des pigeons que des humains, Fabrice Surma, fondateur d’Epitopos, et Adèle Cormier, doctorante en chimie des matériaux du patrimoine, sont en train d’installer des capteurs qui resteront en place durant trois ans.

"Ce sont des capteurs qui permettent de mesurer l’humidité et la température ambiantes. Et d’autres qui permettent de mesurer la teneur en eau dans la maçonnerie, et de suivre les variations hydriques dans la maçonnerie, précise Fabrice Surma. L’idée est de comprendre l’impact des fluctuations climatiques, des températures, de la pluie, du vent, sur l’altération du matériau. La flèche est un monument où les variations de climat sont extrêmement importantes par rapport au sol. Donc c’est l’endroit idéal pour faire ça."

Ces capteurs transmettront en continu les informations récoltées à un serveur, situé dans les bureaux d’Epitopos, rue des Serruriers, à quelques centaines de mètres de la cathédrale. Et les chercheurs suivront ces données deux fois par jour.  

"Ça fait plusieurs décennies qu’on connaît l’impact du climat et l’accélération du changement climatique sur les œuvres et les objets monumentaux, reconnaît Adèle Cormier, qui mène cette étude dans le cadre de son travail de doctorat. Mais là, avec des modèles informatiques d’intelligence artificielle, j’espère que nous allons réussir à faire la corrélation entre l’altération de la pierre et les paramètres climatiques." 

L’eau, principal ennemi de la cathédrale

Le grès, cette roche sédimentaire très poreuse dont la cathédrale est constituée, est fragilisé par l’eau dont il se gorge en périodes humides. Par l’eau, et plus précisément le sel soluble qu’elle véhicule, le salpêtre, qui attaque la pierre.

Le phénomène est observé depuis des décennies par les artisans de la Fondation de l’œuvre Notre Dame, quotidiennement aux petits soins pour la cathédrale. Mathieu Baud, responsable de l’atelier de restauration de la Fondation, désigne une surépaisseur friable bien visible sur une corniche.

"Sur ce type de grès, des cloques se forment, c’est un soulèvement de la matière, explique-t-il. Et ici, on a carrément des concrétions salines qui se sont installées à la surface. Ce sel blanc caractéristique s’est formé sur les zones d’évaporation de l’humidité, et il recristallise ensuite en surface."

En certains endroits, la pierre paraît plus claire, comme creusée : "Ici on a perdu la surface de grès d’origine, les détails de taille et les anciennes gravures. La matière tombe, ne tient plus" décrit Mathieu Baud. Et le phénomène semble effectivement s’accentuer avec le changement climatique, depuis que l’alternance de périodes de précipitations, puis de grosse chaleur, se fait plus fréquente.

"C’est lié aux cycles humides et aux cycles de séchage, confirme Mathieu Baud. Les sels vont se solidifier en périodes sèches, et redevenir solubles en période humides. Ces solutions salines véhiculées à travers le grès bougent et circulent à l’intérieur de la maçonnerie. En cristallisant à nouveau en période sèche à différents endroits, à différentes profondeurs, elles vont aggraver ces phénomènes d’altération."

"Il y a trois jours, on n’avait pas loin de 30 degrés, ajoute Fabrice Surma. Aujourd’hui, on en a 5. Ce sont ces gros écarts de température et d’humidité, la succession de plus en plus importante de ce type de phénomènes climatiques peut avoir un réel impact sur l’altération des matériaux. C’est vraiment ça qu’on veut observer sur un objet comme la cathédrale."

Le responsable de l'atelier de restauration de la Fondation se réjouit que "sa" cathédrale fasse l'objet d’une telle étude. "Ce qui nous manque, à l’œuvre Notre Dame, c’est le côté démarche scientifique et ce travail de fond, s’exclame-t-il. Nous, on observe de manière empirique. De façon artisanale, moi j’ai déjà installé des pluviomètres, et mesuré la température et l’hygrométrie extérieure pendant un certain temps. J’ai fait mon petit tableau avec mes données, sur ces variations observables à la base de la flèche.

Mais c’est quelque chose qui doit être fait en continu. D’où l’intérêt de leur travail, avec leur équipement, leurs transmissions continues et leurs analyses par un programme informatique." 

Deux autres sites également à l’étude

La cathédrale de Strasbourg n’est pas le seul monument qui intéresse Adèle Cormier. En parallèle, elle mène une étude similaire sur deux autres lieux patrimoniaux : le site archéologique granitique de Bibracte (71) dans le Morvan, et la chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer (06), construite en pierre calcaire et décorée à l’extérieur comme à l’intérieur par Jean Cocteau. Trois monuments très différents, donc, tant par leur matériau que par leur taille et leur environnement climatique.

Pour parfaire son travail, la jeune femme installe également sur chacun des trois sites des "cubes témoins", de petits blocs constitués à chaque fois des trois matériaux d’étude de sa thèse : grès, calcaire et granit. Son but est de "les laisser vieillir pendant les trois années, et d’observer leur altération dans le temps", en fonction des aléas des différents climats. Tout en effectuant régulièrement "des mesures physiques et chimiques : masse, porosité, taille, couleur, teneur en sel et éléments chimiques qui vont évoluer."

À l’issue des trois années, l’ensemble de toutes les données rassemblées et analysées grâce à l’intelligence artificielle devrait permettre de confirmer le lien entre la dégradation des monuments et le réchauffement climatique. Mais aussi d’élaborer et de proposer des plans de conservation préventive. Et de prévoir les restaurations les mieux adaptées.

Car la finalité de tout ce travail est bien de pouvoir aider la cathédrale à résister le mieux possible à l’usure du temps. Et à défier fièrement, du haut de sa flèche, les siècles à venir. Et les intempéries, quelles qu’elles soient. 

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