Plusieurs mois après les débarquements en Normandie et en Provence, les premiers soldats alliés mettent un pied en Alsace, le 19 novembre 1944. Cinq jours de combats acharnés plus tard, Strasbourg est libérée.
Si les soldats des armées américaines et françaises mettent un premier pas en Alsace le 19 novembre 1944, la Libération de la région constitue un objectif dès le 2 mars 1941 avec le serment de Koufra (Lybie) tenu par le général Leclerc, et cette phrase qui lui a été attribuée : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg ».
C'est chose faite le 23 novembre 1944. Jour après jour, voici l'avancée des Alliés depuis l'entrée en Alsace à Seppois-le-Bas, premier village libéré, jusqu'à ce qu'un drapeau bleu-blanc-rouge flotte sur la cathédrale de Strasbourg.
Cinq jours de combats, et une avancée menée par deux fronts. Dans le Bas-Rhin, la 2ème Division blindée (DB), emmenée par Leclerc et intégrée à la 7ème Armée américaine du général Patch, arrive de Normandie et entre par le col de Dabo. Dans le Haut-Rhin, la 1ère Armée française, menée par De Lattre de Tassigny, arrive en Alsace depuis la Provence et entre par la Franche-Comté.
A suivre avec notre module de cartes.
19 novembre 1944 : jusqu'au Rhin
Dès 7h du matin, un millier de véhicules passent le pont de Delle (Territoire de Belfort) au-dessus de l'Allaine, à 10 km de la frontière du Haut-Rhin. C'est le seul passage possible pour les chars. Le 1er corps d'armée, mené par le général Béthouart, et la 1ère Division blindée s'engagent en direction de Mulhouse et de Chalampé, sur le Rhin.
Les chars avancent le long de la frontière suisse et arrivent, avec le concours du Régiment d'infanterie coloniale du Maroc (RICM), à Seppois-le-Bas, qui reste dans l'Histoire comme le premier village alsacien libéré. Les renforts allemands ne sont pas là, et la 1ère DB fonce à travers Feldbach, Jettingen, Helfrantzkirch, Kappelen, Bartenheim, et arrive à Rosenau à 18h30. Les chars du lieutenant de Loisy ont parcouru 50 kilomètres en six heures.
Les Allemands tentent par tous les moyens de percer les lignes françaises. Mais ils se heurtent à une résistance menée notamment par les Forces françaises de l’intérieur d’Alsace (FFIA).
Au nord, la 7ème Armée américaine est passée à l’offensive le 13 novembre et fait une percée à Badonviller (Meurthe-et-Moselle) le 17. Ce sera la porte que va emprunter la 2èmeDivision blindée menée par le général Leclerc pour passer à travers les Vosges et prendre Saverne et Phalsbourg à revers.
Côté allemand, Heinrich Himmler, nommé à la tête d’un groupe d’armées en Alsace, est chargé de stopper l’avance alliée avec la barrière naturelle des Vosges. La Vogesenstellung (position des Vosges) barre la route de Saverne entre Mittelbronn et Phalsbourg. Plus au sud, elle défend Saales, Sainte-Marie-aux-Mines, Le Bonhomme et la Schlucht.
Les nazis étaient certains de contenir les forces alliées de l'autre côté des Vosges au moins pour l'hiver 1944-45. Ils détruisent les communes vosgiennes de Saint-Dié et Gérardmer, au pied des cols, pour éviter que les Alliés ne s'en servent de base arrière. Ce 19 novembre, le général Leclerc est encore à Cirey-sur-Vezouze, à une trentaine de kilomètres du Reich et du Bas-Rhin.
20 novembre 1944 : aux portes de Mulhouse
En deuxième partie de journée, vers 13h30, les éléments de la 1ère DB remontent vers le Nord, en direction de Mulhouse. Trois heures plus tard, les objectifs sont atteints. Dewattre a dépassé l'Ile-Napoléon et prend position à Battenheim, au nord-est, coupant la route à une retraite allemande. Gardy entre dans Mulhouse par Riedisheim. Lépinay part vers l'ouest, à Reiningue et Lutterbach.
Mais ce succès est terni par des résultats plus mitigés. L'objectif de la veille d'atteindre le pont sur le Rhin à hauteur de Chalampé est freiné. Les forces envoyées sont bloquées à Hombourg. À l'arrière, la route entre Delle et Seppois-le-Bas constitue le seul axe de communication de la 1ère DB.
Mais après quatre ans de guerre, les routes sont en très mauvais état. La météo peu clémente rend les bas-côtés impraticables, les véhicules manœuvrent difficilement. Dans cette zone autour de Seppois-le-Bas, évoluent de nombreuses unités, en plus de nombreux convois. L'embouteillage est général, et les blindés s'intercalent dans les convois pour dégager les itinéraires de la présence de l'ennemi.
21 novembre 1944 : Mulhouse libérée
Les chars de la 1ère DB entrent dans Mulhouse. Peu nombreux, ils entament des va-et-vient dans les rues principales pour tromper les Allemands sur leur infériorité numérique. Les véhicules atteignent Bourtzwiller et Pfastatt. Ils sont rejoints par huit compagnies de Forces françaises intérieures (FFI) qui se battent à leurs côtés près de la gare de Dornach. Mulhouse est libérée mais la rumeur d'une contre-attaque se répand.
Les Allemands se reprennent. Ils passent à l'offensive et attaquent les positions alliées au nord-est de Mulhouse. Ils stoppent également la progression vers Chalampé, conservant pour de bon le pont et l'embranchement ferroviaire.
Au sud, les Allemands atteignent la frontière suisse et coupent à plusieurs reprises les liaisons du 1er Corps d’armée. L'axe entre Delle et Seppois-le-Bas est coupé par des bataillons allemands. À Suarce, un élément du Régiment d'infanterie coloniale du Maroc et du 9e régiment de zouaves sont décimés. Le soir, la RD 463, qui sert de ravitaillement en carburant et en munitions à toute la 1ère DB, est coupée entre Faverois et Seppois.
Dans le même temps, au nord, la 2ème division blindée du général Leclerc, renseignée et accompagnée par la résistance locale, notamment par les résistants du Groupe mobile Alsace (GMA) Vosges, empruntent les chemins forestiers du col du Dabo et prennent à revers les défenses allemandes près du col de Saverne.
22 novembre 1944 : Saverne en tenaille
Leclerc lance la manœuvre de la 2ème DB autour de Saverne à 10h30. Un premier sous-groupement blindé mené par Minjonnet contourne la ville par l'ouest, sur le col vers Phalsbourg. Un second, emmené par Massu, progresse lentement par Reinhardsmunster, ralenti par des abattis d'arbres.
À la mi-journée, Massu se situe à 3km à l'est de Saverne, et toutes les crêtes qui dominent la ville sont occupées. Minjonnet entre dans Saverne, et fait prisonnier le général allemand Bruhn, qui aurait déclaré : "non, tout n'est pas perdu". Une heure plus tard, Massu et ses hommes nettoient la ville. Une batterie de canons en position de tir est capturée, 800 hommes faits prisonniers.
Dans le Haut-Rhin, la 1ère Armée Française fait face à la contre-offensive allemande, et des troupes renforcées par la 30ème division SS et une brigade de chars. La jonction des 1ère et 5ème DB françaises à Altkirch échoue. À Mulhouse, les Allemands retranchés dans plusieurs casernes résistent, aidés par des renforts venus de l'autre côté du Rhin. Les Français abandonnent Sausheim, Baldersheim et Battenheim.
Dans le Sundgau, les combats sont acharnés et les pertes nombreuses, de part et d'autre. 200 morts et 700 prisonniers allemands, 50 morts et plus de cent blessés français.
Au soir de ce 22 novembre, date anniversaire de l'entrée des troupes françaises à Strasbourg en 1918, c'est la fête à Saverne. La victoire du jour est célébrée, le général Leclerc fête ses 42 ans. Dans la nuit, la 2ème DB reçoit l'ordre de prendre Strasbourg. La perspective d'entrer bientôt dans la capitale alsacienne fait presque oublier la réussite de la journée.
23 novembre 1944 : Strasbourg, "tissu est dans iode"
Depuis Saverne, le général Leclerc peut lancer son offensive sur Strasbourg, appuyé par des milliers d'hommes des Forces françaises libres (FFI) pour pallier le manque d'infanterie. À 7h du matin, la 2ème DB charge en cinq colonnes guidées par les FFI. Les ordres de Leclerc sont clairs : foncer. "Objectif : le pont de Kehl. Ne pas s'attarder, mais charger au maximum. Contourner les résistances et éventuellement ne pas hésiter à modifier légèrement les axes prescrits. Ne pas assurer la garde des prisonniers mais les désarmer."
Les cinq sous-groupements chargés de prendre Strasbourg – Rouvillois, Massu, Cantarel, Putz et Debray – partent simultanément par cinq itinéraires différents. Le plus rapide sera Rouvillois, par l’itinéraire nord. Sa colonne traverse Hochfelden en trombe, puis Brumath et Vendenheim. A 9h30, elle est aux portes de Strasbourg, place de Haguenau.
Les détachements Briot et Lenoir traversent Schiltigheim en trombe, et arrivent au centre-ville de Strasbourg où voitures et tramways circulent comme si de rien n'était. Ils poursuivent par la rue de la Nuée-Bleue, passent devant la cathédrale et continuent vers Kehl. 15 000 civils allemands sont faits prisonniers.
Dans le même temps, Rouvillois prend le chemin le plus direct vers la frontière : l'avenue de la Forêt-Noire. La reddition du siège du gouverneur militaire de Strasbourg est obtenue. A 10h30, Leclerc reçoit le message radio "Tissu est dans iode", qui signifie que Rouvillois est bien entré dans Strasbourg.
Le pont de Kehl est atteint rapidement, mais il est bien défendu par les Allemands, sous un feu nourri. La 2ème DB doit renoncer à établir une tête de pont de l'autre côté du Rhin.
À la mi-journée, les soldats français demandent à une bouchère de la place Saint-Etienne de coudre un drapeau bleu-blanc-rouge, fait de morceaux de blouse, de drap et, pour le rouge, d'un reste de drapeau nazi. Cet étendard fait de bric et de broc est hissé au sommet de la cathédrale à 14h20 par Maurice Lebrun, soldat du 1er régiment de marche des Spahis marocains, accompagné par trois de ses frères d'armes. Le serment de Koufra prêté trois ans plus tôt est réalisé. Les quatre hommes en profitent pour signer le registre tenu par les gardiens sur la plateforme de la cathédrale.
Strasbourg, et après ?
La libération de l'Alsace ne s'arrête pas à celle de Strasbourg, bien sûr. Et au lendemain de ce succès du 23 novembre, une décision retarde la libération alsacienne. Le général américain Eisenhower demande à la 7ème armée américaine et la 1ère armée française, de retourner leur axe d'attaque vers le nord de l'Alsace. Le général Patton et la 3ème armée américaine sont en difficulté face à la Sarre. Pourtant, à ce moment-là, la 19ème armée allemande est quasiment détruite, et se retrouve encerclée dans la poche de Colmar.
Autour de Colmar, la défense allemande résiste dans un bassin de plus de 50 kilomètres de diamètre. Cette poche ne fut pas réduite rapidement par les Alliés en raison des difficultés logistiques, les ports de ravitaillement étant de plus en plus éloignés. Et les nazis ont défendu plus ardemment ce territoire alsacien annexé au Reich quatre ans plus tôt.
Strasbourg est à nouveau menacée en janvier 1945 quand les Allemands lancent l'opération Nordwind. La délivrance de l'Alsace a lieu en mars 1945, dans l'indifférence du reste de la France, libérée déjà depuis de longs mois.