En septembre 2021, le lycée franco-allemand de Strasbourg ouvrira ses portes, ce sera le deuxième en France, et le cinquième établissement du genre en France et en Allemagne. Comment ont réagi les autres lycées, notamment ceux de Buc (Yvelines) et Fribourg (Bade-Wurtemberg) ?
Le proviseur français (ils sont toujours deux, un proviseur français et un proviseur allemand) du lycée franco-allemand de Buc (LFA de Buc), Alain Houille, a été surpris et content d'apprendre lundi 25 janvier qu'un deuxième lycée franco-allemand allait s'installer en France, à Strasbourg. "Nous sommes très heureux de cette nouvelle, on attendait depuis longtemps un deuxième lycée franco-allemand en France", a réagi Alain Houille, qui a été également proviseur adjoint au lycée Dr Koeberle de Sélestat de 2003 à 2007. "Jusqu'à présent, nous étions seulement trois établissements à délivrer un bac franco-allemand [avec Sarrebruck et Fribourg], donc ce sont très peu d'élèves qui en sortent chaque année avec ce diplôme spécifique qu'est le bac franco-allemand, et il faut en permanence expliquer à des établissements d'enseignement supérieur ce que cela signifie, quelles compétences ont nos élèves. Avec Strasbourg, ce sera déjà une deuxième académie qui sera au courant, et c'est une très bonne chose."
Le proviseur rappelle qu'à l'origine, quand le LFA de Buc a été construit, en 1975, il n'y avait pas le processus de Boulogne et la reconnaissance dans toute l'Europe du bacalauréat français, "donc notre bac franco-allemand était très fort". Il voit l'évolution en Europe d'un bon oeil, ainsi que la multiplication des reconnaissances et des mobilités.
Même son de cloche au lycée franco-allemand de Fribourg (LFA de Fribourg), la proviseure française, Christiane Poliwykow qui se réjouit de travailler avec les nouveaux collègues de Strasbourg. "Nous aurons peut-être un peu plus de visibilité et de reconnaissance au niveau des universités, c'est une bonne chose", explique-t-elle, même si elle regrette d'avoir appris la nouvelle par voie de presse, sans avoir été consultée ni informée de la création du nouveau lycée. "Je regrette le manque de concertation et le manque d'informations en interne", nous a-t-elle dit.
Le bac franco-allemand, un diplôme spécifique
Il s'agit d'un diplôme à 50% français et à 50% allemand. Le bac franco-allemand (BFA) est délivré par une commission qui émane des trois lycées (actuellement Hambourg n'a qu'une classe de 6e). "Notre BFA et tous nos programmes sont dérivés des accords de Schwerin, et sont signés par les ministères des deux pays, donc c'est vrai que nos modifications prennent du temps et sont complexes à mettre en oeuvre", explique Alain Houille. "Du coup, nos épreuves de bac n'ont pas beaucoup changé depuis 1975. Et étonnamment, la dernière réforme du bac en France nous a rapproché. Le BFA c'est quatre épreuves écrites (allemand obligatoire, français ou philo obligatoire, ainsi que des sciences ou de la littérature) et un grand oral. Nous avons encore trois filières (littéraire, économique et sociale, et scientifiques), mais nous souhaitons évoluer sur ce point et arriver plutôt à des dominantes, comme ça se fait en Allemagne et en France maintenant."
Même chose pour les programmes, qui évoluent lentement.
Le diplôme avec mention est accompagné de notes du contrôle continu et des options. "Les notes ne sont pas ni 5 ou 15 comme en Allemagne, ni sur 20 comme en France, elles sont sur 10, nous avons une notation spécifique. Et bien sûr, le bac franco-allemand donne une équivalence de fait avec le bac et l'Abitur", précise Alain Houille.
Former de jeunes européens ouverts sur les autres
La philosophie d'un lycée franco-allemande, "c'est de construire des élèves fondamentalement européens, et ici ils sont confrontés tous les jours à une double culture. Ce sont des éleves capables d’intégrer cette double culture, des jeunes qui se construisent sur les valeurs de deux pays, et de l’Europe. Ils ont l’habitude d’avoir des interlocuteurs variés et bilingues, et eux-mêmes sont plus ouverts et ils sont capables de s'adapter plus vite. Le franco-allemand politique c’est bien, mais le franco-allemand éducatif, il existe au quotidien et il permet de faire la synthèse entre les deux cultures. Nos lycées ne sont pas que bilingue, ils sont surtout bi-culturels".
Un exemple lui vient. Avec son collègue allemand, il partage la direction du LFA de Buc. "Parfois, j'ai une idée qui me vient, pour résoudre un problème, un conflit. J'en parle avec mon collègue, qui a très souvent une autre vision du problème. Et si on en discute avec les autres enseignants, français et allemands, une tierce voix apparait qui permet d’avance, c'est très enrichissant !"
Les enseignants français sont engagés et payés par la France, les enseignants allemands par l'Allemagne, chacun enseigne dans sa langue. Une parité qui n'existe nulle part ailleurs.
Cécile von Rhade est maman de plusieurs enfants, tous scolarisés au LFA de Fribourg, et elle apprécie énormément l'enseignement biculturel de l'établissement. "Les pédagogies françaises et allemandes sont très différentes, et complémentaires. Les enfants passent d’une langue à l’autre, et ça ne les gênent pas. Il faudrait que ca soit fait ailleurs en Europe, et avec d’autres langues et d’autres pays", explique-t-elle. Elle se réjouit aussi de l'implantation prochaine du lycée franco-allemand à Strasbourg. "Cest un enseignement public et gratuit, et ça aussi c'est très important. Et ça s'adresse à des enfants, qui viennent de familles complètement françaises ou complètement allemandes, et ça c'est une richesse. C'est une autre philosophie que celle des lycées français de l'étranger".
Le cinquième lycée franco-allemand
Il existe déjà quatre lycées franco-allemands des deux côtés du Rhin, un en France, à Buc (Yvelines) et trois en Allemagne : à Fribourg-en-Brisgau (Bade-Wurtemberg), à Sarrebruck (Sarre) et à Hambourg (Nord de l'Allemagne).
Ce sont Konrad Adenauer et Charles De Gaulle qui ont décidé de créer ces lycées, pour amener les jeunes français et allemands à se cotoyer pendant leurs études, pour une meilleure compréhension de l'autre et pour construire le monde d'après-guerre, sans cette haine entre les deux peuples, qui avait mené à deux guerres mondiales. Ce sont les accords de l'Elysée, signés le 22 janvier 1963 qui actent la création de ces lycées mais aussi plein d'autres mesures de partenariat et d'apprentissage de la langue du voisin européen.
A l'origine, les deux hommes politiques prévoyaient l'ouverture de 50 lycées. En 1961, le lycée franco-allemand de Sarrebruck voit le jour, suivent Fribourg-en-Brisgau (1972) et Buc (1975). En septembre 2020, le lycée français de Hambourg opère sa transformation : classe par classe, il devient donc le quatrième lycée franco-allemand, et devrait déménager dans un bâtiment neuf dans quelques années. Le lycée franco-allemand de Strasbourg devrait voir le jour en septembre 2021, dans les locaux du collège Vauban, avec une première classe de 6e franco-allemande à la rentrée, pour une évolution progressive, classe par classe, comme à Hambourg. Nous ne connaissons pas encore les détails de ce nouvel établissement.