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REPLAY. L'audiodescription : l'art de rendre visible un film aux aveugles et aux malvoyants, c'est "le cinéma intérieur de Benjamin Kling"

Quoi de plus évident que d'aller voir un film ? Mais qu'en est-il pour les personnes malvoyantes et les aveugles ? Pour les accompagner, il existe des audiodescriptions. Tout un art pour donner à voir sans déflorer, sans charger et sans perturber. Bienvenue dans "Le cinéma intérieur de Benjamin Kling".

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Avez-vous déjà eu la curiosité de visionner un film audiodécrit ? Si vous êtes touché par une déficience visuelle, c'est probablement votre habitude. En revanche, si vous n'avez pas de problème de vue, c'est fort peu probable. Cette voix off, qui comble certaines plages de silence en donnant moult détails sur l'image risque fort de vos importuner. Un peu comme des sous-titres sur un film réalisé dans une langue que vous maîtrisez.

Après avoir exercé son métier d'audiodescripteur sur près de 90 films, Benjamin Kling s'interroge. Comment ses restitutions sont perçues par les principaux intéressés, les personnes mal ou non-voyantes? Nécessaires, utiles, trop présentes, dispensables ? L'exercice, loin d'être une simple description, devient sociologique voire presque philosophique. 

Voici trois bonnes raisons de voir Le cinéma intérieur de Benjamin Kling en replay ci-dessus. Egalement disponible en version sous-titrée ou dans une version en audiodescription.

1. Pour découvrir une technique complexe

A priori, l'exercice paraît simple et pourrait se réduire à décrire ce que l'on voit à l'image. Puis placer les descriptions sur des plages de silence entre les dialogues. Cependant la technique d'audiodescription fait l'objet de cours à l'université, c'est bien le signe que ce n'est pas si simple. La technique a ses règles et sa définition précise : "Technique de description orale, destinée aux personnes déficientes visuelles, qui consiste à exposer les éléments de l'image dans une œuvre audiovisuelle." Simple comme bonjour. Enfin, sur le papier.

Mais en observant Benjamin et son épouse - également audiodescriptrice - dans l'exercice de leur profession, il apparaît évident qu'il les plonge dans des abîmes de perplexité : faut-il mentionner ce détail, décrire les couleurs, ce froncement de sourcil a-t-il un sens ou met-il au contraire trop l'accent sur un détail que tout le monde ne voit pas ? 

En même temps, la phrase de description va-t-elle pouvoir être prononcée dans le laps de temps que dure le silence entre deux dialogues ? Est-elle claire ? Ne vient-elle pas redonder par rapport à un dialogue ? Chaque mot est posé, soupesé, testé, remplacé parfois, menant à un texte au cordeau.

2. Pour se mettre dans la peau du spectateur

Alors que Benjamin Kling se penche sur des scènes du film Soupçons d'Alfred Hitchcock, nous partageons avec lui les questionnements auxquels il fait face. Il demande à un groupe d'étudiants de travailler sur une scène du film, et leurs échanges, lors d'une restitution, montrent toute la complexité de l'exercice. Si chaque spectateur comprend différemment la scène, comment la restituer de manière universelle ? Certains croient voir des détails qui ne sont pas là; d'autres en revanche sont tellement observateurs qu'ils décèlent plus de choses que les autres. Comme cette étudiante, qui comprend dans les gestes de l'actrice et la mise en scène du réalisateur, que le personnage regarde son alliance et non pas sa main, comme tous les autres l'ont cru. Subtile. 

Mais cette subtilité, chaque spectateur l'aura-t'il captée ? Faut-il la traduire dans la description ou seulement la suggérer, en ne parlant que de la main ? A la lumière de cet exemple précis, il apparait clairement que l'audiodescripteur a un rôle mais aussi des limites. Il appartient bien au réalisateur de suggérer, de diriger, d'embrouiller son spectateur, mais est-ce la fonction de l'audiodescripteur ? Le spectateur, voyant ou non doit comprendre à son propre rythme. Et les effets de surprise ne doivent pas être divulgâchés par la description. Le descripteur n'a pas à mâcher la lecture du film. Et doit se poser des limites éthiques conformes à la volonté du réalisateur. Ça se corse.

3. Pour se mettre à la place de l'autre

Alors, saisi par l'autre côté du miroir, alors même qu'il a rédigé plusieurs dizaines d'audiodescriptions de films, sans y réfléchir tout à fait, Benjamin Kling s'interroge sur la perception de son travail par les spectateurs non-voyants. Pour en avoir le cœur net, il enfourche sa bicyclette et part à la rencontre de ses "auditeurs". Il se "sent seul face aux films et manque de retours".

C'est un autre niveau de réflexion qui s'offre à lui, moins technique, beaucoup plus philosophique. N'y a-t-il pas un côté "paternaliste" à tenter d'expliquer à un aveugle ce qu'il ne voit pas ? "Je sais seulement qu'il y a autant d'interprétations de mon texte que de gens qui l'écoutent."

Un premier témoignage l'interpelle : Yves Wansi, président de l'association Vue (d)'ensemble, lui explique : "Le cinéma, 50% c'est le son (...). Ce que tu n'arrives pas à repérer sur l'écran, quand tu es malvoyant, tu le suis avec la voix off et tu suis mieux qu'un voyant parce qu'il y a des mouvements que le voyant n'a pas repéré." Ainsi son travail donne parfois plus de clés au malvoyant que nécessaire.

Puis Leila lui explique : "Certains films sont assez compréhensibles sans l'audiodescription. Surtout quand il y a beaucoup de dialogues. Certains films nécessitent de l'audiodescription, surtout lorsqu'il y a beaucoup de silences, beaucoup de gros plans. On ne sait pas trop ce qui se passe. Un paysage ? (...) Des fois c'est tellement bien raconté qu'on a l'impression d'être dans un livre."

Benjamin comprend alors qu'il n'y a pas qu'une seule méthode et qu'il doit s'adapter à chaque film. Ce que lui confirme en ces termes une collaboratrice déficiente visuelle à l'écriture de la version audiodécrite : "Dans ce souhait d'être le plus clair possible, le plus descriptif possible, les auteurs ont tendance à en dire beaucoup et parfois c'est trop et ça nuit à la compréhension et ça étouffe un peu le film. Je n'ai pas besoin de la petite voix qui va me dire des choses en plus."

"C'est aussi pour respecter le déficient visuel en tant que spectateur qui est là pour comprendre lui-même l'œuvre, pour la ressentir par lui-même : l'auteur de la vision audiodécrite n'est pas là pour interpréter à ma place." Et c'est tout l'art vers lequel tend Benjamin pour éviter le côté presque "colonialiste" évoqué par un de ses interlocuteurs. Un fil d'équilibriste pour donner à voir, sans déflorer, donner à comprendre sans spoiler. En un mot : respecter. Aussi bien l'œuvre, son réalisateur et ses multiples spectateurs. Une équation complexe.

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