C'est la fin d'un suspens savamment entretenu. L'enseigne Primark ouvrira son magasin strasbourgeois mardi 8 septembre à 10h. Ce sera la 19ème implantation en France de cette chaine irlandaise spécialisée dans la distribution de vêtements à bas prix. Une mode "jetable" qui ne fait pas l'unanimité.
5.200 m2 sur quatre étages. Le magasin Primark qui ouvrira en plein centre de Strasbourg, à l'angle du quai Kellermann et de la rue du Noyer, est attendu depuis 2017, année de lancement des travaux. Cette fois, c'est officiel : les premiers clients vont pouvoir découvrir cette enseigne irlandaise le 8 septembre, à 10 heures pétantes.
"C’est un grand événement, Strasbourg est une des plus grosses villes de France et l’emplacement que nous avons est juste magique, donc on est très fiers", abonde Christine Loizy, la directrice générale de Primark France. Situé à deux pas du H&M et tout près de ses concurrents de la place des Halles, le géant de la fast fashion aura pignon sur rue.
Des règles sanitaires pour éviter un cluster géant
Situation sanitaire oblige, la jauge maximale autorisée a été fixée à 2395 clients dans le magasin très exactement, en accord avec les autorités, selon la direction. "Nous avons l’habitude de gérer l’affluence de clients, nous avons travaillé main dans la main avec la mairie de Strasbourg et la police", afin de contenir l'effet de foule et la file d'attente à rallonge souvent causés par l'ouverture d'un magasin de l'enseigne, rassure Christine Loizy. Celui de Strasbourg est le 19ème à s'installer en France.Au niveau des cabines, la distanciation est marquée au sol, et une deuxième désinfection des mains est proposée. Une partie des cabines d’essayage servira à entreposer les vêtements essayés mais non achetés en quarantaine pendant 24 heures, par souci de décontamination.
"Nous suivons à la lettre les recommandations sanitaires du gouvernement", précise la directrice générale, devançant les critiques sur l'affluence prévue dans le magasin ces prochains jours.
250 emplois créés
Primark évoque également 250 emplois créés en CDI à l'occasion de cette implantation. "La majorité des employés sont de Strasbourg et pour 80% d'entre-eux, ils n'avaient pas de travail", ajoute Christine Loizy. La directrice souhaite rassurer également les commerçants qui pourraient craindre la venue de ce géant de l'habillement et potentiel concurrent. Selon elle, l'ouverture de Primark à Strasbourg va entraîner "une redynamisation de l'hypercentre qui profitera aux autres commerces".Le communiqué de presse met également en avant des gammes de produits fabriqués à partir de matériaux bio ou recyclés, à mille lieux de sa réputation de géant de la mode "jetable". Bref, tout irait pour le mieux, sauf que les opposants ne désarment pas.À chaque fois qu’un Primark s’installe quelque part, nous avons la chance et l’honneur de créer du trafic additionnel, c’est-à-dire qu’il y a des gens qui viennent de loin pour venir nous voir. Mais ils ne font pas les courses que chez nous, on observe une dynamique autour de nous, chez les commerçants qui vendent des vêtements mais aussi chez les restaurateurs, les cafés…
Les opposants dénoncent une industrie qui pollue et exploite ses travailleurs
Parmi les frondeurs, le collectif Extinction Rébellion et ANV-COP21 avaient réussi à mettre sur pied une campagne d'affiche publicitaire en février dernier, annonçant l'annulation de l'ouverture de Primark et le lancement d'un appel à projet pour l'économie sociale et solidaire à la place.Une belle utopie pour interpeller l'opinion, mais surtout les élus. "Il s'agissait de les mettre face à leur responsabilité, les inciter à se remettre en question, explique Carla, membre du collectif. Pour nous, il n'était pas question de faire fermer le Primark, on sait bien que c'est impossible, mais de comprendre pourquoi et comment ça s'est fait".
Car rien dans cette implantation n'est positive, selon les détracteurs. Primark est le symbole d'un système de consommation effréné, alors que l'industrie du textile est l'une des plus polluantes de la planète. Il faut des milliers de litres d'eau pour confectionner un Tee-shirts, et pourtant quatre millions de tonnes de vêtements sont jetés chaque année en Europe.
L'enseigne rétorque qu'il n'existe aucun rapport scientifique sur l'impact réel de la filière mode sur la pollution de l'eau, ou encore sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais en parallèle, Primark annonce également un ambitieux programme qui consisterait à former 160.000 producteurs de coton à des méthodes agricoles plus respectueuses de l'environnement d'ici fin 2022, en Inde, au Pakistan et même en Chine.
La marque est par ailleurs accusée de bafouer les droits humains dans les pays fabricant ses articles, et fait partie des enseignes mises en cause lors de l'effondrement de l'entrepôt Rana Plaza au Bangladesh en 2013, causant la mort d'un millier de personnes.
La direction déclare que depuis le drame, des audits sont menés régulièrement, et 120 personnes ont été recrutées pour travailler dans les pays de production d'Asie du Sud Est afin d'accompagner les fabricants vers les exigences qualité de la marque.
Nous faisons en sorte de traiter les gens et la planète avec beaucoup de respect, et nous accompagnons de plus en plus ce mouvement mondial de respect de l’individu et de la planète. Ces collaborateurs qui travaillent dans les pays de production, qui sont les mêmes pour tous le monde, accompagnent les fabricants dans le respect de la charte de qualité qu’on leur a demandé de respecter, ils contrôlent mais aussi forment ces fabricants qui travaillent avec nous depuis des années.
Une coalition contre la mode jetable
Les détracteurs de la marque dénoncent également le phénomène d'ampleur qu'est la fast fashion, dont Primark est la tête de proue. A Strasbourg, plusieurs associations ont décidé en novembre dernier de se rassembler au sein d’une coalition contre la mode jetable, qui pratique des prix toujours plus petits pour séduire les consommateurs. A l’origine de cette initiative, Léa Chemardin, du collectif Zéro déchet Strasbourg.
"Il y a une atmosphère qui incite à acheter toujours plus, explique-t-elle, avec des micro-collections et des vitrines qui changent tous les quinze jours. C’est très insidieux, mais le résultat c’est qu’à peine acheté, le vêtement est déjà un déchet".
Pour elle, il y a d’autres façons de consommer : en privilégiant les achats de seconde main, par exemple. En sachant ne pas consommer quand on n’a pas besoin. L’idée fait son chemin, même si les comportements seront sans doute longs à changer. Mais selon Léa Chemardin, pas question de culpabiliser les consommateurs, ce serait contre-productif: il faut être en mesure proposer autre chose. "Par exemple sur les presque 6 .000 m2 de Primark, pourquoi ne pas imaginer une boutique Emmaüs, en plein centre-ville ? Ça, ça aurait du sens. L’économie sociale et solidaire, plutôt qu’un modèle qui fonctionne grâce à des emplois dégradés.
Selon la direction de Primark, ce qui permet à la marque de proposer des prix cassés est tout simplement une différence de modèle économique, mais pas une différence de qualité. Primark rognerait sur ses marges et sur son budget publicité.
Nous avons une toute petite marge, en échange, il nous faut beaucoup de volume, sinon nous ne pourrions pas gagner notre vie. Il n’y a pas de publicité chez Primark, pas de musique dans les magasins, tous nos coûts sont extrêmement compressés pour pouvoir avoir un prix toujours le plus bas.
Que dit la nouvelle équipe écologiste à la mairie ?
"C'est sûr que la fast fashion de Primark n'est pas un modèle qu'on soutient. On n'aurait sans doute pas apporté le même appui" explique Joël Steffen, tout nouvel adjoint à la mairie de Strasbourg, en charge du commerce, de l'artisanat et du tourisme. Il est vrai que les élections municipales sont passées par là, et que l'état d'esprit n'est plus tout à fait le même. La nouvelle équipe veut examiner chaque projet à travers le prisme de l'éthique et de l'impact environnemental. Mais Joël Steffen reconnait que "tout n'est pas blanc ou noir"."L'ouverture de Primark va sans doute créer des flux de visiteurs, positifs pour Strasbourg, et c'est à saluer dans une période où les commerces ont beaucoup soufffert" dit-il. Cependant, l'implantation de grosses locomotives n'est pas la seule option pour améliorer l'attractivité des centres villes, selon lui. Il table sur une approche globale : les déplacements doux, la végétalisation, et aussi l'animation urbaine qu'il faudra réinventer explique-t-il, avec de l'évenementiel porté par la Ville, mais aussi par les associations, les citoyens, et bien sûr les commerçants eux-mêmes.
En revanche, si un dossier comme celui de Primark se présentait à nouveau, il serait accueilli avec un plus de circonspection, et éventuellement invalidé. Joël Steffen souligne toutefois que la Ville ne décide pas de tout " Il y a un cadre réglementaire très strict", dit-il. Pour autant, il estime que ce genre de projet ne va pas se bousculer. "J'ai quand même un doute sur l'avenir de ce type de modèle".
L'enseigne, qui compte 380 points de vente dans le monde, est la troisième chaîne de prêt-à-porter après H&M et Zara. Nul doute que le 8 septembre, il y aura du monde devant l'entrée du magasin, bien avant l'horaire d'ouverture. Le collectif Extinction Rébellion de son côté, prévient : les militants seront au rendez-vous .... Mais pas pour faire du shopping!