Strasbourg : un chien au tribunal, pour aider les victimes à témoigner

Placer un animal en compagnie d'une victime pour l'aider à témoigner devant le tribunal, cela s'appelle la médiation animale. L'initiative, née à Cahors (Lot) en 2019, a été reprise avec succès à Strasbourg (Bas-Rhin), avec le soutien de l'association Viaduq France Victimes 67.

Les animaux ont leur place au tribunal. Évidemment pas sur le banc de l'accusé (on n'est plus au Moyen Âge), ni dans le rôle du témoin (on n'est pas dans Black Mirror). On fait ici référence aux chiens d'assistance judiciaire, dans le cadre de la médiation animale dont peuvent bénéficier les victimes.

En clair, il s'agit pour elles de pouvoir témoigner devant la justice, avec une présence rassurante, chaleureuse... animale à côté de soi. À Cahors (Lot), c'est un labrador, Lol, qui assiste les victimes depuis 2019, révélait le Journal du Dimanche (JDD).

Et l'initiative fait des émules. Au palais de justice de Strasbourg (Bas-Rhin) aussi, on a recours au service d'une golden retriever, Orphée, âgée d'un peu moins de 4 ans (voir sur la carte ci-dessous).

France 3 Alsace a obtenu des précisions auprès de Sabrina Bellucci, la directrice de l'association Viaduq France Victimes 67. Un organisme "d'aide aux victimes et d'accès au droit, agréée par le ministère de la Justice", qui les "épaule" en travaillant avec "des équipes pluridisciplinaires composées de juristes, psychologues cliniciens, et travailleurs sociaux dûment formés à la victimologie". L'une de ses missions est la "prise en charge du vécu traumatique", et c'est là qu'intervient  la chienne Orphée : sa présence est une option proposée aux victimes, et n'est donc pas automatique.

Quelle est la mission d'Orphée ?

"Elle a pour mission d'accompagner et d'aider des victimes d'infractions pénales sur l'ensemble du ressort judiciaire de Strasbourg [le département du Bas-Rhin; ndlr]. Elle est arrivée au sein de notre structure le 14 janvier 2021."


Et à quoi sert-elle au juste ?

"Comme dans toute forme de médiation animale, elle va apporter un certain apaisement aux victimes, les réconforter pour leur permettre de s'exprimer à l'aise, de libérer la parole. Elle a le même objectif qu'un professionnel de l'aide aux victimes : c'est à dire rassurer et apaiser."

Orphée va réconforter les victimes pour leur permettre de s'exprimer à l'aise, de libérer leur parole.

Sabrina Bellucci, directrice de l'association Viaduq France Victimes 67

"Orphée est une forme d'éponge à émotions... Elle va être en capacité d'absorber toute sorte d'émotions que peuvent ressentir les victimes, notamment le stress, l'angoisse, la tristesse. Afin que la victime soit un peu plus prête à vivre toutes sortes de choses, telle une audition un peu compliquée."


Comment ça se passe avec Orphée en dehors du travail ?

"Elle dort chez moi [Sabrina Bellucci rit; ndlr]. Je suis son référent principal et celle qui l'héberge, afin de lui permettre de vivre sa vie de chien en dehors du travail. Elle a la chance d'avoir quatre référents au sien de la structure Viaduq, avec des profils différents : psychologue, juriste, travailleur social... Ils ont tous été formés à travailler avec Orphée et les victimes."


Quel budget cela représente pour Viaduq ?

"Un chien de médiation animale a un coût. Puisqu'il doit être formé une fois qu'il a été repéré dans un élevage. Cette formation, c'est Handi'chiens qui l'assure pendant deux ans. Après, bien entendu, il y a la partie logistique : croquettes, assurance santé, etc. Nous la prenons à notre charge via des fonds privés, soit par des subventions qui nous sont accordées. Je serais très encline à ce que d'autres structures d'aide aux victimes puissent avoir des chiens de médiation animale : Orphée rapporte bien plus que ce que coûtent ses croquettes, je peux vous le dire..."

Quel exemple pouvez-vous nous donner ?

"Elle a un certain effet et apporte de l'apaisement. Vis-à-vis du public-cible que sont les victimes d'infractions pénales majeures ou mineures. Et aussi pour des équipes comme les nôtres qui sont confrontées à la misère humaine et à des difficultés récurrentes. C'est très positif dans tous les sens du terme."

Orphée est allée immédiatement vers la personne qui avait peur des chiens... et elle ne l'a plus lâchée. Et là, quelque chose s'est décoincé chez cette personne.

Sabrina Bellucci, directrice de l'association Viaduq France Victimes 67

"Orphée est très douée, elle est à plus de 86 entretiens effectués au sein de notre structure, lors d'auditions de police ou de gendarmerie, ou devant la justice. Ce qui est émouvant, c'est que très souvent, quand on aborde la question avec les victimes, elles disent avoir peur des chiens. Et lors d'un accompagnement sur une situation d'assassinat, alors qu'il y avait cinq personnes dans la pièce, Orphée est allée immédiatement vers celle qui avait dit avoir peur... et elle ne l'a plus lâchée. Et là, quelque chose s'est décoincé chez cette personne : elle a remarqué qu'Orphée avait ressenti qu'elle avait besoin d'être plus accompagnée que les autres personnes."


Pourquoi c'est remarquable ?

"Ce qui est très étonnant avec Orphée, c'est qu'elle ressent tellement plus les choses que nous... Même si c'est notre métier et qu'on a l'habitude de travailler sur le non-dit : d'instinct, elle va vers ceux qui en ont le plus besoin et qui ne le formulent pas. C'est ça qui est très intéressant : voir qu'elle identifie la personne qui en a le plus besoin, et qui l'exprime le moins."