Sylvie Fritz est serveuse au café-brasserie Le Michel de Strasbourg (Bas-Rhin) depuis 1977. Elle a rencontré deux générations de clientes et clients, et raconte ses souvenirs à France 3 Alsace.
Depuis 1977, Sylvie Fritz a servi deux générations de clientes et de clients du café-brasserie Le Michel, adresse incontournable pour manger traditionnel et pas cher à Strasbourg (Bas-Rhin). Tout le monde connaît cette serveuse en ville, ou presque.
Le sac plein de souvenirs et d'anecdotes, elle a répondu aux questions de France 3 Alsace. Non sans être interrompue plusieurs fois par des passantes ou passants désirant la saluer...
"Mes clients, ce sont mes enfants", confie la serveuse guillerette. Elle a commencé à servir alors qu'elle avait 16 ans, et ne s'est jamais arrêtée depuis. Elle est aussi emblématique que l'établissement où elle travaille... On la trouve avenue de la Marseillaise, dans le quartier de la Neustadt (voir sur la carte ci-dessous).
Un lieu à la décoration reconnaissable entre mille : son carrelage, ses boiseries, ses appliques en laiton, ses sièges tendus de cuir cramoisi... Et sur un mur, une petite ardoise : "Souriez, vous êtes chez Sylvie."
Le sourire, on n'en manque pas avec elle. D'énergie non plus : "elle est chargée à 200.000 volts", précise le patron des lieux, Dominique Vonesch (elle le "booste"). Les clientes et clients, qui sont pour elles "mon coeur" ou "ma grande", sont unanimes. Elle connait les prénoms de tous les gens ayant ici leurs habitudes.
"C'est notre mère à tous, notre repère", narre Bruno, qui vient depuis 40 ans. "Elle est dans un endroit où on a l'impression d'être écouté et compris avec une véritable qualité d'échange", explique Philippe. On frise la madeleine de Proust avec Cléa : "Quand j'étais petite, elle était toujours très attentive, elle avait des crayons derrière le bar pour qu'on puisse dessiner, elle nous donnait un Kinder..." (témoignages présents dans le reportage vidéo ci-après)
Sa relation avec la clientèle, c'est très important pour Sylvie Fritz. "C'est beaucoup de convivialité. Quand on va boire un verre dans une brasserie, c'est d'abord pour se détendre. Mais c'est aussi un endroit où on peut se confier : parfois, à la maison, on ne peut pas. Mais on dit plus facilement à des gens qu'on ne connaît pas : nos joies, nos peines, nos angoisses... On partage ces choses-là parce que j'ai une écoute de l'extérieur, mais qui reste de coeur. Alors je pense que des fois, des personnes ont besoin de se rassurer : c'est aussi notre rôle, c'est une certaine forme de psychothérapie bienveillante."
Sylvie Fritz ne s'est jamais départie de sa joie de vivre. "J'ai une philosophie : chaque jour où je me réveille, c'est une journée pour moi. Alors il faut qu'elle se passe le mieux possible. Comment ne pas être heureuse en rencontrant un tas de gens ? C'est un échange permanent. J'ai un caractère très optimiste, donc je me dis qu'il faut aller de l'avant, et se rappeler aussi de ce qu'il s'est passé derrière, mais avec tendresse."
Pendant le confinement, l'irremplaçable serveuse est restée chez elle. Et en a profité pour se ressourcer. "J'aime beaucoup lire. J'ai ma fille Lucie et mon homme Thierry. Et j'ai un jardin." Mais ça ne fait pas tout. "Les gens m'ont énormément manqué, c'est normal. Le contact est très important pour moi."
"La restauration a un rôle majeur dans la vie des gens", souligne Sylvie Fritz. "Ils ont besoin de sortir, d'aller manger à l'extérieur. C'est justement une certaine forme de rupture du quotidien : il se passe quelque chose d'autre."
Comment ne pas être heureuse en rencontrant un tas de gens ? C'est un échange permanent.
Il faut aussi compter sur l'émotion. Quand on sert aussi longtemps, on voit une partie de la clientèle disparaître. Mais Sylvie Fritz ne l'oublie jamais. "Je vais parfois me recueillir sur la tombe de Jacques, un monsieur qui m'a accompagné toute ma vie, qui a fait mes débuts. Et qui venait pratiquement jusqu'à la fin : il y avait une grande tendresse, c'était comme un grand-père pour moi."
"Tous ceux qui sont partis là-haut", complète-t-elle, "je me dis qu'ils me surveillent. Alors de temps en temps, je leur fais un petit coucou." Comme à Simon, un client mort très récemment, et immortalisé sur l'un des tableaux fixés aux murs de bois ancien. "J'avoue que tous les matins, quand je passe à côté, je le regarde et je dis : coucou, bonjour Simon."
L'ironie de cette (belle) histoire, c'est que la serveuse ne pensait pas du tout rester sur place aussi longtemps. "Je suis tombée dans un très bel établissement, bien tenu et géré. Avec une direction très sérieuse qui m'a fait immédiatement confiance, qui m'a laissé m'épanouir dans la bienveillance : j'avais quand même 16 ans..." Elle compare la brasserie à un bateau, "où tout le monde rame dans la même direction" pour le faire toujours avancer.
Une adresse qui a su conserver un caractère authentique malgré trois agrandissements. "Les petits pains, la viennoiserie, c'est toujours la même spécialité : toujours de qualité, toujours délicieuse. La cuisine travaille toujours avec les matières premières livrées par le marché. Notre cuisinier est aussi là depuis longtemps, et nous avons une belle équipe." Pas qu'une équipe. Une famille. Dont Sylvie demeurera l'indéboulonnable matriarche.