Catcheuse le jour, ambulancière la nuit, "le catch ce n'est pas que du show, il faut encaisser les chutes, les coups"

Virginie Eisele est ambulancière la nuit, catcheuse le jour. À 44 ans, elle trace sa route à tombeau ouvert. C'est peu de le dire. Car derrière les sirènes hurlantes et les tatouages de guerrière nordique se dissimule un esprit, voire plusieurs. Virginie est aussi médium. Portrait de femmes.

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Virginie Eisele est sur la route. J'entends le clignotant qui s'agite. "C'est mon mari qui conduit, t'inquiète pas. Là, on fait un extra, normalement, on ne travaille pas durant la journée. Nous c'est plutôt le Samu de nuit."

Virginie parle vite, comme si sa vie en dépendait. Alors que c'est elle qui les sauve d'habitude. Pas de surprise au moins, Virginie est une fonceuse. Vu son pédigrée, je m'en doutais. C'est donc parti pour une "carpool interview", à distance et à tombeau ouvert.

Virginie a été bien des choses, intérimaire, pompier, maman et médium. La voilà, à 44 ans, ambulancière et catcheuse. On ne se refait pas. "Aider les personnes, c'est mon moteur : médium, pompier, ambulancier… je crois qu’il y a une certaine logique dans tout ça finalement."

Vitesse et empathie

Virginie passe son diplôme d'État en 2019. Ses premières sorties en ambulance seront celles des routes vidées par la Covid et des hôpitaux saturés." J'ai été dans le bain tout de suite, oui. J’ai passé mes stages aux urgences à Strasbourg et à Colmar en plein Covid-19, avec des sacs-poubelles en guise de protection. Il fallait avoir le cœur bien accroché, c’était costaud, un bon apprentissage en somme."

Pas de quoi baisser les bras, qu'elle a costauds. "J'adore ce métier. La nuit, c'est mon domaine. Tout est différent la nuit. Les gens sont différents." L'obscurité propice aux angoisses des patients, mais aussi aux confidences et aux mystères. " Mon côté médium m’aide dans l'ambulance. Je suis avec les patients, on discute, ils ont besoin de parler. Je leur dis des choses qu'ils n'entendent pas souvent, je les apaise." Le mystère restera. Il faudrait me faire hospitaliser en urgence dans le secteur de Wissembourg pour espérer le percer, une nuit. Bof.

Mon côté médium m’aide dans l'ambulance. Je suis avec les patients, on discute, ils ont besoin de parler.

Virgine Eisele

Un mystère que Virginie cultive depuis plus de vingt ans. "Je tire les cartes, communique avec les défunts. L'ésotérisme pour moi, c'est une ouverture d'esprit. Nous sommes tellement rationnels, tellement formatés. Il faut apprendre à réfléchir avec le cœur et pas seulement avec notre cerveau. Il dit tant de bêtises en plus. J'ai un don, mais tout le monde l'a. Il suffit d'y croire, d'avoir l'esprit large. D'être dans l'empathie en fait."

Je ne sais si Virginie parle avec son père aujourd'hui décédé, toujours est-il qu'elle le garde sur son cœur. Un parachute tatoué sur le plexus solaire. "Il était parachutiste, il m'accompagne toujours. C'est grâce à lui que j'ai connu le catch" 

Ingrid de Polaris, méchante au cœur tendre

Et par un de ces virages propres à la vie, nous voilà passant de l'ésotérisme au catch. Sans barrière de péage. "J'entends pas mal de souffrances, de mal-être dans cette ambulance, je les absorbe. D'une manière ou d'une autre, il faut que je les extériorise. Le catch m'aide beaucoup à cela."

J'entends pas mal de souffrances, je les absorbe. D'une manière ou d'une autre, il faut que je les extériorise.

Virginie Eisele

Et pour cause, Virginie passe 4 nuits sur 7 dans son ambulance avec son mari Lionel. Son coéquipier qui préfère les bassins aux rings et ne croit pas aux esprits si ce n'est à celui de Virginie. Je l'entends d'ailleurs émettre des commentaires à chaque phrase. Murmure rassurant. Présence terrienne.

"On regardait le catch avec mon père sur Canal+, ça me fascinait. Je croyais que c'était du cinéma." Croyais. Car quand en 2016, Virginie prend son premier cours de catch à Strasbourg, elle revient vite les pieds sur terre. "C'était très physique, très exigeant, d'autant que je n'étais pas du tout souple. Je ne savais même pas faire une roulade." 

En 2017, Virginie change de club, ce sera le FWC à Dabo (Moselle) où elle restera l'unique femme licenciée. "Je m'entraine trois heures par semaine aux chutes sur le ring. Le reste du temps, je fais de la muscu, de la boxe, de la course à pied. Il faut préparer le corps au combat."

Quand Virginie se lance, elle ne fait pas semblant. Pas même pour le catch, grand spectacle de tampons et de sauter de cordes. "Non, le catch ce n'est pas que du show. Je peux te raconter : il faut encaisser les chutes, les coups, les courbatures, les fractures, la douleur insupportable. Au début, j'étais sous perf de Doliprane. Et d'ailleurs 1/10 des personnes qui s'inscrivent au catch abandonnent la première année." Pas étonnant que les licenciés soient si peu nombreux. Ils seraient une centaine en France, dont une dizaine de femmes.

Non, le catch ce n'est pas que du show. Il faut encaisser les chutes, les coups, les courbatures, les fractures, la douleur insupportable

Virginie Eisele

"Je le dis souvent, on doit être maso. Mais s'il y a bien une chose qui transcende la douleur, c'est le public, les encouragements. Donner du plaisir, donner tout simplement, voilà mon moteur." Sur le ring, Virginie devient Ingrid de Polaris. Une guerrière nordique venue directement de son enfance, des années 80. "Polaris, ben oui ce sont les chevaliers du Zodiac, voilà. C'était une sacrée bonne femme, une sacrée guerrière."

Quant à Ingrid, n'ayez pas mauvais esprit comme moi. " Non et non, aucun rapport avec le sketch des Inconnus des années 80." Sketch que je m'abstiendrai d'embedder ici pour des raisons évidentes de bienséance.

Championne du show

Ingrid de Polaris s'est fait un nom, bien au-delà des frontières cathodiques du Club Dorothée. King of Contest en Belgique, championne du Grand-Est en 2019, ses heures d'entrainement ne sont pas vaines. Même si, et cela ne lui enlève en rien son mérite, ses concurrentes ne sont pas nombreuses. "Oui, c'est sûr, lors des matchs, on retrouve toujours les mêmes, on se connait par cœur sans, toutes, s'apprécier forcément." Voilà de quoi électriser les matchs.  

Petit détail d'importance, les matchs sont joués d'avance. C'est ça le catch. Même sportif, c'est du spectacle.  "Il n'y a pas à proprement parler de compétitions dans le catch. Des promoteurs organisent les matchs et en déterminent l'issue en fonction d'une narration, d'une logique et du public. En haute saison, de mai à septembre, je peux faire jusqu'à deux matchs par semaine. C'est usant même si un match ne dure que 15 minutes. Invariablement, il oppose une méchante et une gentille"

Dans ce duel manichéen, Ingrid préfère jouer le mauvais rôle : "On peut plus se lâcher dans la peau d'une méchante." Las, elle n'a parfois pas le choix que d'être du bon côté de la farce.  "Quand je catche à domicile surtout, afin de faire bonne impression." 

Et ce sera sans doute le cas le 28 mai prochain à Remelfing (Moselle). Ingrid participera au plus gros show international de catch du Grand-Est organisé par l'association FWC (Fan Wrestling Contact) pour ses dix ans. Même gentille, la "mamie du catch français" en a encore sous la pédale. 

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