Castroville, ville d’Alsaciens au Texas, a perdu une partie de son âme avec le décès de Justin Jungman, cow-boy originaire du Haut-Rhin

Justin Jungman était l’un des derniers habitants de Castroville, aux Etats-Unis, à maîtriser parfaitement notre dialecte. Héritier d’Alsaciens partis massivement pour le Texas en 1840, il vient de décéder, à 81 ans. Une page de l’histoire de la ville se tourne.

Il aimait autant les vignes et les châteaux d’Alsace que les ranchs du Texas. Justin Jungman était le parfait symbole de la double culture sur laquelle s’est construite Castroville. Le dernier acteur et témoin aussi du premier pan de l’histoire de ce grand village, étroitement lié à notre région. Son décès, le 9 mai 2020, marque la fin d’une époque. Une partie de l’identité de Castroville s’est envolée avec lui.

Justin Jungman, l’alsacien avant l’anglais

Justin Jungman n’a appris l’anglais qu’à l’école. Il avait l’alsacien pour langue maternelle et choisissait de s’exprimer en dialecte dès qu’il le pouvait jusqu’à ses derniers jours. Avec un vocabulaire riche et une fluidité naturelle. Impossible d’imaginer que ce cow-boy né au Texas, à des milliers de kilomètres de chez nous, n’a jamais vécu dans notre région et ne l’a même découverte qu’à la fin des années 1990, à 60 ans.

Depuis, il revenait quasiment chaque année et séjournait chez Paul et Christiane Zinck, viticulteurs à Eguisheim. L’Américain au chapeau faisait toujours sensation.

Personne n’arrivait à comprendre que ce cow-boy pouvait s’exprimer en alsacien comme nous 

- Paul Zinck, viticulteur à la retraite

"Quand les gens de passage voyaient Justin avec son chapeau de cow-boy, ils se mettaient à lui parler en anglais ou en français. Et il leur répondait à chaque fois : « ne me parle pas en anglais, ne me parle pas en français, parle-moi en alsacien ». Et personne n’arrivait à comprendre que ce cow-boy pouvait s’exprimer en alsacien comme nous, et parfaitement en plus. Il ne cherchait jamais ses mots", se souvient Paul Zinck, aujourd’hui retraité.

Sa femme complète : "Il aimait beaucoup l’ambiance et la vie ici. Il avait l’impression de replonger dans la façon de vivre de ses parents. Il a vraiment retrouvé ses racines".

Car les ancêtres de Justin Jungman étaient originaires d’Alsace. Avec 70 autres familles, principalement originaires du Haut-Rhin, ils ont répondu à l’appel d’un homme d’affaires, Henri Castro, en 1840 et émigré vers les Etats-Unis et la promesse d’un nouveau monde, loin de la misère qu’ils cherchaient à fuir. A leur arrivée sur le continent américain, les immigrants alsaciens se voyaient attribuer 200 hectares de terre et de quoi subsister jusqu’à la première récolte.

Castroville, la petite Alsace du Texas

A Castroville, les Alsaciens ont construit leurs églises, très ressemblantes à celles qu’ils avaient laissées derrière eux dans leur pays de naissance. Pendant longtemps, les maires de la ville étaient systématiquement dialectophones et dans ce pays où le football américain est roi, les joueurs de l’équipe de la ville se parlaient en alsacien jusque dans les années 1970 pour tromper l’adversaire. Les parties de cartes aussi se disputaient en alsacien. En 1975, 60% de la population de Castroville était d’origine alsacienne.

C’est à cette période-là, dans les années 1970, que l’histoire de Castroville a véritablement été redécouverte, de part et d’autre de l’Océan atlantique. Les échanges avec l’Alsace ont démarré en 1980, des associations, comme Alsace Medina County Texas ont vu le jour. Des professeurs de danse et de culture alsaciennes ont enseigné les danses traditionnelles aux jeunes américains. Une maison alsacienne a été installée à l’entrée de la ville, juste à côté du domicile de Justin Jungman. Les nouveaux restaurants sont désormais baptisés selon des noms alsaciens.

Comme la langue se perd, ils ont trouvé d’autres moyens de montrer que leur territoire est une terre alsacienne 

- Thierry Kranzer, auteur d'un mémoire sur l’"Identité alsacienne dans la petite Alsace du Texas"

"Comme la langue se perd, ils ont trouvé d’autres moyens de montrer que leur territoire est une terre alsacienne", estime Thierry Kranzer, qui a séjourné une dizaine de fois à Castroville et auteur d'un mémoire sur l’"Identité alsacienne dans la petite Alsace du Texas" pendant ses études d’ethnologie. Justin Jungmann était en effet l’un des derniers Castrovillois dont l’alsacien était la première langue.

Les jeunes générations ne parlent plus le dialecte et la part d’habitants originaires d’Alsace diminue d’année en année. La ville aborde un nouveau virage de son histoire, désormais marquée par une forte présence de Mexicains et d’hispaniques.

 

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