Ce qu’il faut savoir sur les troubles bipolaires, méconnus mais répandus

La journée mondiale des troubles bipolaires a lieu ce mercredi 30 mars. L'occasion pour plusieurs associations, comme Argos 2001, de faire de la sensibilisation. Son président, Dominique Guillot, a répondu aux questions de France 3 Champagne-Ardenne.

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Quand on parle de bipolarité, on s'imagine souvent une personne pouvant brutalement passer du calme à la tempête. Ce n'est pas forcément faux, mais pas forcément représentatif non plus.

C'est là l'une des idées reçues qui circulent beaucoup sur la bipolarité. Un trouble mal connu, qui a droit à sa journée mondiale ce mercredi 30 mars 2022. C'est la huitième depuis 2015. 

Cette journée particulière est très utile pour des associations comme Argos 2001 (qui ouvre des antennes partout en France depuis deux décennies, des numériques sont en projet). Elles en profitent pour sensibiliser sur ce sujet. Dominique Guillot, le président de cette dernière, a répondu aux questions de France 3 Champagne-Ardenne.

Troubles répandus mais mal connus

Les troubles bipolaires, qu'est-ce que c'est ?

"Ça fait partie de ce que l'on appelle des troubles de l'humeur. Ce sont des variations de l'humeur qui peuvent être sévères, avec des phases dépressives, et des phases qu'on appelle d'exaltation. Ces phases portent aussi un autre nom : ce sont les phases maniaques. Rien à voir avec le maniaque au sens où on l'entend habituellement : quelqu'un qui est attaché à des détails... Ça a vraiment une autre signification : une phase de grande excitation, voire dans certains cas de délire."

Qu'est-ce que ça entraîne dans la vie de tous les jours ?

"Ça va provoquer des variations de l'humeur. Et ça arrive assez fréquemment que ça entraîne des conflits : dans la famille, le couple, au niveau professionnel. En particulier dans les phases d'hypomanie et encore davantage dans les phases de manie. Quand le diagnostic n'est pas posé, l'entourage ne veut alors pas comprendre ce qui se passe, et on peut arriver à toutes sortes de ruptures amicales et affectives, professionnelles... À l'inverse, il peut arriver que la personne se retrouve en phase dépressive. Elle n'a alors plus du tout envie de rien faire, de s'investir. Que ce soit dans sa vie familiale, amicale, ou son travail."

On peut arriver à toutes sortes de ruptures amicales et affectives, professionnelles.

Dominique Guillot, président de l'association Argos 2001

"Il arrive parfois que des personnes souffrant de certains troubles bipolaires ne soient jamais diagnostiquées. Mais qu'elles enchaînent les difficultés : divorce, chômage, dettes car il y a des dépenses d'argent inconsidérées et des prises de risque, au niveau sexuel aussi. Avec des conséquences extrêmement graves." 

Prévalence et diagnostic

En quoi y-a-t-il plusieurs troubles bipolaires ?

"Il y a le type 1 et le type 2. Le premier constitue la forme la plus sévère, et représente 1% de la population. La seconde est moins sévère, mais pose tout de même des difficultés dans la vie des patients : à peu près 1.5% de la population. En fait, il y a donc au moins 2.5% des personnes qui sont considérées comme atteintes de troubles bipolaires. Ce n'est pas propre à la France ni aux pays occidentaux : ça touche l'ensemble de la population, à l'échelle de la planète, quelles que soient la culture ou la religion."

Comment apparaissent ces troubles bipolaires ?

"Maintenant, on connaît mieux cette pathologie, donc on sait a priori mieux la diagnostiquer. Mais ceci dit, lorsque ce n'est pas la forme la plus sévère, ça peut prendre parfois dix ans avant que le diagnostic soit posé. Elle se développe souvent vers l'âge de 20 ans, au moment de l'entrée dans la vie active, les études supérieures, la classe prépa, l'université. L'élément déclencheur peut être le stress des études, soit l'alcool ou le cannabis. Si on a les trois, c'est comme ça que beaucoup rentrent dans la pathologie. À noter que souvent, il y a des antécédents familiaux : chez les parents ou grands-parents, ou chez les oncles et les tantes... qui ne le savent pas forcément. Car il y a 20 ou 30 ans, c'était assez tabou; alors que de nos jours, le développement d'Internet permet un auto-diagnostic [à confirmer officiellement; ndlr]. Et les médias parlent assez facilement [de cette pathologie]."

Vous parlez de pathologie : doit-on parler de trouble ou de maladie ?

"Il s'agit d'une maladie chronique, comme l'est par exemple le diabète. Sauf qu'elle n'est pas somatique, mais psychiatrique. Elle est classée parmi les dix pathologies les plus invalidantes selon l'OMS [Organisation mondiale de la santé; ndlr]. Aujourd'hui, on n'en guérit pas. Mais en revanche, à partir de traitements médicamenteux et de psychothérapies, on peut aller vers un rétablissement : avoir une vie quasi-normale en prenant quelques précautions. Notamment faire attention à son hygiène de vie : sommeil, alimentation, activité physique... Et s'attacher à prendre son traitement régulièrement : la cause des rechutes est souvent liée à l'arrêt du traitement quand on se sent mieux et qu'on se dit qu'on n'en a plus besoin."

Comment savoir si l'on souffre de troubles bipolaires ?

"La plupart du temps, on va voir le médecin généraliste. On n'aime pas trop aller voir le psychiatre, parce qu'on se dit qu'on n'est pas fou, ou parce que ça fait peur. Mais le psychiatre peut recommander son patient à l'un des centres de la Fondation FondaMental. Ces centres experts pour les troubles, bipolaires, l'autisme... vont faire passer des tests pendant deux jours pour [pouvoir] confirmer ou infirmer [voir la carte de ces centres ci-dessous; ndlr]." 


"Sans passer par un de ces centres experts, car ils sont très demandés, le médecin généraliste est en relation avec le médecin psychiatre. Celui du secteur, libéral, va alors porter le diagnostic. Il arrive que ce soit les proches de la personne qui s'en rendent compte."

Une cause médiatisée...

Pourquoi en entend-on plus parler de nos jours ?

"Peut-être parce qu'ils sont mieux diagnostiqués. Mais il faut savoir qu'à l'époque des Romains, cette pathologie était déjà identifiée. C'est là qu'est née la notion juridique d'irresponsabilité pénale pour abolition du discernement [le cas peut se poser par exemple pour un criminel schizophrène reconnu irresponsable de ses actes lors d'un procès; ndlr]. Car ça peut arriver aussi dans le cadre d'un trouble bipolaire, ce qu'on appelait autrefois la psychose maniaco-dépressive. Ce terme a changé dans les années 80, car il faisait peur. On le trouve dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ce qu'on appelle le DSM."

Contre quelles idées reçues faut-il lutter ?

"On entend parfois aujourd'hui que tout le monde serait bipolaire, car on aurait tous des variations de l'humeur. C'est faux, ce n'est pas aussi simple. On est quand même dans un cas où ça relève de la maladie. Une autre chose qui est importante : on ne devrait pas parler d'un bipolaire, mais dire une personne atteinte ou qui souffre de troubles bipolaires. Également, les proches de ces personnes peuvent vouloir leur dire : 'quand on veut, on peut' alors que non, on ne peut pas. C'est extrêmement difficile à vivre [anhédonie, dépression; ndlr]. Ça demande du temps et le bon traitement [qui peut ne plus fonctionner après un certain nombre d'années; ndlr] pour pouvoir se rétablir." 

... et une cause représentée

Il paraît que certaines personnalités ont des troubles bipolaires ?

"On peut avoir une vie quasi-normale avec ces troubles. L'ex-directeur de Sciences Po pendant 15 ans, Richard Descoings, avait un trouble bipolaire [ce qui peut expliquer sa mort très remarquée, mais ça n'arrive évidemment pas à tout le monde; ndlr]. Une journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué, a écrit un livre qui explique assez bien ces phases d'euphorie et de dépression. Ce sont des gens qui, quand ils sont en phase haute, peuvent être extrêmement performants, qui sont hyper créatifs. On n'arrive pas à les suivre en tant que proches."

Ce sont des gens qui, quand ils sont en phase haute, peuvent être extrêmement performants, qui sont hyper créatifs.

Dominique Guillot, président de l'association Argos 2001

"Et à l'inverse, au bout de quelques temps, on a l'effet inverse. Ils vont tomber dans une phase down où ils ne sont plus capables de rien faire pendant un certain temps. Ça peut durer des mois avant de reprendre une activité normale. Les traitements ont donc pour effet que les patients ne montent pas trop hauts, et ne descendent pas trop bas : il peut y avoir des passages à l'acte, des suicides [le cas de Richard Descoings; ndlr]."

Qui d'autre peut-on citer ?

"Dans l'histoire, pour les Américains, la plus grande des personnes atteintes de troubles bipolaires, c'était Napoléon Bonaparte. Churchill, aussi. Et Frédéric Nietzsche, Abraham Lincoln, Virginia Woolf, Ernest Hemingway, Robert Schumann [le compositeur; ndlr] ou encore Goethe. On retrouve ce trouble aussi bien dans le monde de la politique, chez les cadres-dirigeants dans le public ou le privé, que chez les artistes."

"Bien sûr, tous les artistes n'ont pas un trouble bipolaire, mais par rapport à la moyenne de la population, il y en a beaucoup plus. On peut aussi citer le peintre Vincent Van Gogh, dont c'est l'anniversaire le 30 mars [d'où le choix de cette date pour la journée mondiale, voir au passage la très bonne représentation de cet incroyable artiste dans un épisode de Doctor Who ci-dessous; ndlr]."


"Un médecin a écrit un livre sur le sujet il y a quelques années, mais c'est toujours d'actualité [Le génie et la folie : en peinture, musique, littérature de Philippe Brenot; ndlr]. Parfois, le lien est assez ténu entre le génie et la folie..."

Que pensez-vous de la représentation grandissante de ces troubles dans la fiction ?

"Je connais la série américaine Homeland [en plus local, il y a Ici tout commence (ITC) diffusée sur TF1, où les troubles bipolaires font de Jasmine Kasmi une virtuose de la cuisine parasitée par des phases d'abattement ou d'hyperactivité; ndlr]. On n'a rien contre la représentation au cinéma ou dans les séries, dès lors qu'elle est correcte. On parle beaucoup de stigmatisation : si c'est le cas, ça ne va pas aider notre cause. Dans le cas de Homeland, je crois que ça mettait bien en avant ce que sont les troubles."

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