Selon nos informations, un douzième sidérurgiste de Florange serait atteint par le virus. La direction déploie un mode opératoire sanitaire qui ne convainc pas les syndicats. Ces derniers maintiennent la pression, via l’inspection du travail, et demandent un arbitrage du gouvernement.
C’est l’argument massue d’ArcelorMittal pour tenter de convaincre ses salariés de reprendre massivement le travail: un document en douze volets et quatorze annexes comportant des illustrations baptisé "mode Opératoire: mesures pour limiter les expositions au coronavirus pour le personnel". Dans ce document que nous nous sommes procuré, le groupe sidérurgique détaille point par point comment, sur la durée d’un poste, se comporter face aux risques de contamination, utiliser les produits de désinfection, se déplacer, interagir avec ses collègues dans les cabines, les vestiaires, les réfectoires…
Elaboré par le groupe au niveau national, le document a été envoyé aux managers opérationnels et aux chefs de poste afin que ces derniers le fassent appliquer dans leurs services depuis mercredi 25 mars: "ce sont les chefs de poste qui sont les garants de sa bonne application" nous confirme la communication d’ArcelorMittal. Le document est considéré comme une formation, qui doit être validée par la signature du salarié.
C’est là que le bât blesse pour les syndicats de Florange. "Hors de question de considérer cette signature comme une décharge de responsabilité! La direction sait où elle s’engage en demandant aux salariés de reprendre le travail, dans des conditions que nous estimons dangereuses, pas question que les opérateurs ou les chefs de postes portent seuls ce risque sur leur épaules", estime la CGT dans une communication à ses adhérents.
Inspection du travail
Face à ce mode opératoire, les organisations syndicales ont envoyé à l’inspection du travail, saisie par la CGT après le dépôt d’un droit d’alerte pour danger grave et imminent, leurs remarques et leurs interrogations sur les conditions dans lesquelles pouvait s’effectuer le redémarrage. Ils soulignent le manque de moyens, de masques, de gants, de gel hydro-alcoolique, et même la question des bleus de travail: doit-on en changer à chaque poste plutôt qu'à la fin de chaque cycle?L’inspecteur du travail avait déjà, dans un courrier électronique à la direction mercredi 25 mars, établit qu’"il (m)’apparait également important de souligner que ma première analyse des éléments transmis, en lien avec ma hiérarchie, fait apparaître quelques interrogations quant aux mesures mises en place".
Par ailleurs, Philippe Verbeke, représentant syndical national CGT ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, a écrit à sa direction et au Ministère du Travail mercredi 25 mars que "(le) groupe doit s’inscrire pleinement dans cette démarche et éviter de faire travailler des salariés pour des activités non vitales au bon fonctionnement de la nation pendant cette crise sanitaire sans précédent (…) pour l’essentiel, il faut stopper toutes les productions non vitales".
Redémarrage, vraiment ?
Interrogé sur le redémarrage des lignes de production, la communication du site de Florange refuse de commenter dans le détail, évoquant "des informations sensibles dont pourraient se servir nos concurrents".L’argument est recevable, à ceci près que ces informations sont diffusées en temps réel sur les réseaux sociaux par les organisations syndicales, et les salariés eux-mêmes. Il s’agit donc "d'un redémarrage progressif", car "la demande de nos clients a diminué". Très étonnant… Quand la direction tente de convaincre les salariés de reprendre le travail par la nécessité de répondre le plus rapidement possible aux commandes pressantes des clients ! "Franchement, ça sert à quoi de produire coûte que coûte des petits volumes, avec en plus une qualité merdique?" résume un cadre de l’entreprise, guère convaincu par la stratégie industrielle du groupe.
Dans les faits, le redémarrage acté pour mercredi 25 mars 2020 a du plomb dans l’aile. Le train à chaud, laminoir qui transforme les blooms d’acier en fine bobine, ne pourra pas redémarrer avant lundi 30 mars. Le laminoir à froid dit "5 cages" a tourné sur une équipe jeudi 26, mais ne tournera pas aujourd’hui vendredi 27, faute d’effectifs suffisants. Plus grave, la cokerie, dont l’activité doit être maintenue coûte que coûte en raison des risques liés au classement Seveso 2 de l’outil, bat tous les records d’absentéisme: 40 % des cokiers manquent à l’appel.
"A la logistique hier, 5 salariés sur une équipe de 17, chef de poste compris: ils ont réussi à charger une rame, mais c’est du bricolage, c’est pas sérieux... Ce week-end ça bossera pas, et ça m’étonnerait que lundi les gars retournent au boulot, avec un pic d’épidémie attendu dans les prochains jours" résume ce sidérurgiste plus que jamais convaincu: "notre place, elle est à la maison, confinés comme tout le monde".