Coronavirus : comment les vins d'Alsace pourraient bien finir en gel hydroalcoolique

Cela s'appelle la distillation de crise. Confinement oblige, les viticulteurs se retrouvent avec d'énormes stocks à la cave. Difficiles à écouler. Même maintenant. L'Etat les autorise donc désormais à transformer une partie de leur vin en... alcool pur. Un crève coeur. L'ultime solution à la crise. 

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Les viticulteurs alsaciens, au même titre que leurs homologues, ont payé un lourd tribut au Covid-19. Pendant plus de deux mois, alors que le travail dans les vignes se poursuivait (la nature ne connaît pas la crise du moins pas celle-là), les débouchés, eux, ont été quasi nuls. Pour la filière des vins d'Alsace, la perte sèche s'élève déjà à 70 millions d'euros. Le vignoble alsacien est en crise, pas de doute. A tel point que certains songeraient, et ce serait une première pour notre région, à distiller une partie de leurs stocks comme l'Etat les y autorise désormais. Un crève coeur.

 

Un printemps catastrophique

 

L'équation est simple. Les rendements sont là. Et les débouchés nuls ou quasi. Les caves vont donc être pleines à craquer d'ici fin août lors des vendages qui s'annoncent, qui plus est, très précoces. Que faire de cet excédent de stocks ? Comment écouler le vin d'Alsace alors que l'activité touristique, la restauration et l'export ne reprennent que timidement ? C'est toute la difficulté que rencontre aujourd'hui les viticulteurs alsaciens confrontés à une situation inédite.

Le 17 mars dernier, tout s'est arrêté net. Sauf la pousse de la vigne. "Nous on a subi la double peine. On devait payer nos salariés qui travaillaient dans les vignes alors que nos revenus étaient quasi nuls" explique Didier Pettermann, président du CIVA (Conseil interprofessionnel des vins d'Alsace). Une catastrophe économique. La route des vins rassemble chaque année 6 millions de visiteurs et la vente directe à la cave représente 25% du chiffre d'affaire des viticulteurs alsaciens. Une manne financière tombée à zéro pendant deux mois. 

 

Nous on a subi la double peine. On devait payer nos salariés qui travaillaient dans les vignes alors que nos revenus étaient quasi nuls

- Didier Pettermann, président du Civa

 

Sans compter les exportations qui ont chuté, elles, de 90% durant cette période. "Nos exportations étaient déjà fragilisées avant la crise Covid. L'année dernière, la taxation Trump nous avait déjà mis un gros coup. On estime à 100 000 le nombre d'emplois menacés dans le vignoble français par cette taxation." Les Etats Unis sont le premier marché à l'export pour les vins alsaciens.

Finie également la bonne bouteille de vin blanc sec pour accompagner la choucroute au restaurant. "Les ventes de nos bouteilles dans les établissements de restauration représentent 25% de notre chiffre d'affaire. Là c'est simple, il est passé à zéro pointé." Pour la grande distribution, le constat est à peine moins calamiteux. "Ca se comprend, les gens ont préféré acheter des biens de première nécessité mais là aussi, ça nous a fait du mal.  Les ventes en grande surface ont chuté de 60 à 70%."

Résultat : pour la filière des vins d'Alsace, de mars à fin avril, la perte sèche s'élève à 70 millions d'euros. Soit 10% environ du chiffre annuel. "C'est d'autant plus dommage que janvier et février ont été excellents avec une augmentation de nos ventes de 10%, on était sur une bonne dynamique. La crise a tout cassé." Maintenant il va falloir reconstruire. Et ce n'est pas une mince affaire.

 

Quelles solutions ?

 

Le principal problème est, outre le manque à gagner, le stockage de la prochaine récolte. "Nos caves sont pleines, nous n'avons pu écouler nos stocks, ça va déborder." D'autant que, manque de bol, les prochaines vendanges s'annoncent très précoces. Didier Pettermann table sur fin aôut. 2020 est une année dite "à fruits". Dommage. "C'est clair, nous n'avons que deux mois et demi pour nous retourner. Nous sommes face à une situation inédite et deux mois et demi, c'est très peu." 

 

Nos caves sont pleines, nous n'avons pu écouler nos stocks, ça va déborder

- Didier Pettermann, président du Civa

 

Certains viticulteurs ont déjà pris les devants. En procédant à ce qu'on appelle les vendanges vertes. Le principe est simple. Faire baisser les rendements de la vigne de manière artificielle en enlevant par exemple les doubles bourgeons ou certaines grappes encore vertes. "C'est déjà ça mais ça ne suffira pas." D'autres ont mis en place pendant le confinement des drive, des livraisons à domicile ou ont écoulé leurs vins via les commerces locaux. " Moi, j'avais donné quelques bouteilles au boucher de Dambach-la-ville pour qu'ils les vendent. Les commerces locaux nous ont donné un réel coup de pouce. C'est pour cela que nous ne sommes pas à zéro sur le marché des ventes en petite et moyenne distribution. Personnellement, moi, j'ai perdu 70% de mon chiffre d'affaire en avril, 65% en mai." 

Toutes ces intitatives font figure de rustine. Aussi l'Etat a décidé d'aider la filière viticole. En donnant son aval pour des distillations de crise. Depuis le 4 juin,  33 distillateurs agréés en France pourront collecter du vin et le distiller. Le dispositif exceptionnel, permis par Bruxelles et financé sur fonds publics européens, doit s'étendre jusqu'au 15 octobre. En Alsace inclus.

Les fonds débloqués devraient permettre de traiter deux millions d'hectolitres (sur une production française globale de 50 millions d'hectolitres) à raison de 78 euros d'indemnisation pour un hectolitre de vin sous appellation et 58 euros/hl pour un vin sans indication géographique. "En Alsace ce serait une première, mais je crois que cette année, nous n'aurons pas le choix. Il faudra s'y résoudre même si cela nous fait très mal au coeur de voir notre travail gâché à ce point."

Si ce dispositif a déjà été déclenché auparavant, les viticulteurs alsaciens s'y sont toujours refusés pour une raison simple. Les coûts de production du vin d'Alsace sont très élevés : 250 euros en moyenne par hectolitre. Bien loin des 78 euros d'indeminsation affichés. L'opération est donc à perte. "La distillation de crise est intéressante pour certaines régions françaises où les coûts de fabrication sont bas comme dans le Sud par exemple, pour nous c'est vraiment un pis-aller." 

 

En Alsace ce serait une première, mais je crois que cette année, il faudra s'y résoudre même si cela nous fait très mal au coeur

- Didier Pettermann, président du CIVA

 

Chaque viticulteur qui le souhaite a jusqu'au 19 juin pour souscrire le volume qu'il souhaite distiller auprès de son distillateur local. "2 millions d'hectolitres sur les 50 que produisent les viticulteurs français, c'est rien. Il y aura des arbitrages au prorata du volume produit. Ca va être serré pour nous."  FranceAgriMer indemnisera les distillateurs, ensuite chargés de répercuter les aides sur les producteurs.

 


L'alcool issu de la distillation de crise sera exclusivement réservé à l'industrie, pour la fabrication de bioéthanol, ou pour la pharmacie et les cosmétiques notamment pour la production du gel hydroalcoolique utilisé pour freiner la transmission de l'épidémie. Voilà comment le vin alsacien pourrait se retrouver sur vos mains.  A défaut de votre palais.

 

Un été décisif

 

Les viticulteurs français comme les PME et auto-entrepreneurs bénéficient également d'une éxonération de charges et d'impôts sur la période du confinement. La filière viticole alsacienne a également demandé à la Région Grand Est de mettre la main à la poche. Et de lancer un vaste plan de soutien à l'instar de l'Occitanie qui a, elle, déjà débloqué 14 millions d'euros pour sa viticulture"Sinon, il y aura de la casse c'est sûr. L'avenir est très sombre pour nous." Le dossier a été envoyé. Pas de réponse pour le moment. 

 

L'avenir est très sombre pour nous

- Didier Pettermann, président du Civa

 

Ce qui sauvera les emplois, les caves et le savoir-faire de nos viticulteurs se sont surtout les touristes. "Cet été sera décisif. Pas de mariage, pas de baptême, pas de communion, des restaurants avec de moindres capacités d'accueil, la foire aux vins de Colmar annulée, les fêtes des vins aussi .... il y a plein de petites choses qui font que cet été sera particulier. Nous ne savons pas quand ça va reprendre, ni comment ça va reprendre. La seule certitude c'est qu'il faut que les touristes reviennent dans nos caves." L'été concentre 90% des touristes sur la route des vins. Il sera donc capital. Vital. 

La filière viticole alsacienne représente à elle seule 4000 entreprises, 18 000 emplois directs et 21 000 saisonniers. Lever le coude, c'est leur donner un coup de pouce. Avec modération. Bien évidemment.

  

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