Qualifiées de jolies dans la chanson, les colonies de vacance ssont bie plus que cela. Celle filmée par Cyril de Gasperis, nichée dans la campagne, a sa propre philosophie. Entretien avec le réalisateur du documentaire "La vie commune" à voir en replay sur France 3 Grand Est.
Le film débute sur une scène de construction collective de cabane. Un animateur donne çà et là quelques conseils, mais le maître du jeu est sans conteste l'imagination des enfants. La vie commune de Cyril de Gasperis, présente le quotidien d'une colonie de vacances, tout un été durant, quelque part dans l'est de la France, à la fois comme les autres et si différente. Un documentaire sans commentaire dans une colonie, avec les copains et les moments d'ennuis, avec les pique-niques et les feux de camps, guitare-chamallows grillés. Mais une colonie un brin différente, où les animateurs proposent et les enfants disposent. Où le rôle majeur des adultes est d'éviter les conflits mineurs et d'assurer un équilibre dans le groupe. Nous avons posé trois questions au réalisateur de ce documentaire à voir en replay sur France 3 Grand Est.
Vous n'avez pas situé précisément la colonie de vacances. Pourquoi ce choix ?
"Ce n'était pas du tout le but de situer d'emblée le lieu. Dans un documentaire, on peut bombarder le début de telle ou telle image, expliquant qu'on est à tel endroit. Je ne suis pas sûr que ce soit le plus intéressant. Mais on peut aussi choisir de faire entrer le spectateur par une autre porte, plus universelle, qui montre ce qu'il raconte du monde. Le projet initial portait plus sur la sensation, sur la possibilité de laisser au spectateur la liberté de glaner les informations au fur et à mesure du documentaire, à travers l'image et les situations. J'ai aussi choisi l'option de ne pas ajouter de commentaires. On rentre dans le film de manière détournée d'abord, par le biais de l'imaginaire dans la scène de construction de cabane, par le biais du rapport à l'autre, le tout dans la bienveillance du lieu."
"Un des grands fils rouges de mon film consiste à suivre les échanges des animateurs le soir — parfois très tard — ce qui est la spécificité du lieu choisi. Cette colonie se caractérise par la manière dont les animateurs s'emparent de leur rôle, il s'agit d'un engagement spécifique. Ils consacrent beaucoup de temps sur la durée aux enfants. Ils sont très présents avec les enfants."
Pourquoi avoir mis l'accent sur certains enfants ?
"J'ai essayé d'aborder le documentaire avec le moins d'idées préconçues. J'avais envie de me laisser imprégner par les lieux. Je savais que dans cette colonie, il y avait trois mots-clés : la liberté, la mixité sous toutes ses formes, pas uniquement sociale, et la dimension active du travail en commun et du souci de l'autre. Je voulais repérer ces éléments. Et petit à petit, la question de la vie en communauté s'est dessinée. Comment faire pour montrer comment cette vie en communauté fonctionne ? Il ne faut pas montrer que les enfants peinards dans leur coin qui se fondent dans la communauté. Au début de l'été, malgré la grande mixité, il y avait peu de conflit, donc peu de choses à montrer."
"Et puis il y a eu cette séquence de construction de cabane où l'on découvre Linoé. Il a plus de mal, mais il cherche à s'intégrer à tout prix et il finit par donner des éléments pour se faire exclure. C'est lui qui est arrivé devant ma caméra. Il était tellement préoccupé de trouver sa place, qu'il nous ignorait totalement. On a commencé à communiquer avec lui et quelque chose s'est construit autour de lui. On a vu aussi les animateurs chercher à le prendre en charge, tenter de le ramener dans le groupe, sans le domestiquer, en essayant toujours de trouver l'équilibre. Car leur vocation n'est surtout pas d'éduquer les enfants, mais d'être dans le temps présent avec eux et de poser les limites. C'est une dimension très concrète : comment faire pour que ce petit garçon aussi passe de bonnes vacances ? Comment canaliser son énergie vers quelque chose de plus créatif, le mener vers une créativité canalisée."
"Les animateurs ne sont pas là pour se soucier de l'avenir des enfants, mais de les accompagner dans le présent face à la situation qu'ils rencontrent. Ainsi, dans une scène mettant en scène une fillette qui empile des briquettes en bois, l'animatrice se trouve face à une situation de prise de pouvoir de l'espace par un groupe de garçons. Ils viennent créer un déséquilibre et l'enjeu consiste à naviguer entre un groupe qui veut détruire toutes les constructions en briquettes et préserver cette fillette, qui essaye de construire sa propre tour. Il n'est pas question d'empêcher les uns de jouer à tout casser, ni l'autre de finir son empilement. Elle fait juste preuve de vigilance pour assurer l'équilibre. Mais ce qui est magnifique, c'est que cette petite fille n'est pas seulement victime de l'énergie insouciante des garçons, elle est aussi en lutte pour sa construction. Elle a sa philosophie et ne se laisse pas happer par l'espoir de bonbons..."
Qu'avez-vous voulu montrer dans ce documentaire ?
"C'est mon regard personnel sur ce lieu qui pratique une philosophie proche de la méthode Montessori. Je n'ai pas voulu tout montrer de cette colonie. J'ai intitulé le premier chapitre "Le dedans et le dehors". Ce sont des termes polysémiques. Il y a l'intérieur et l'extérieur, mais aussi le rapport à soi et au monde. J'ai voulu montrer une expérience sur la première fois de leur vie en communauté. Une communauté différente de l'école. Découvrir leur rapport à l'autre dans une très grande liberté. Cette très grande liberté les pousse à faire des choix, à se poser des questions. Ce qui n'est pas le cas à l'école où le cadre est très défini. Là, ils peuvent faire le choix de ne rien faire et ça peut être très perturbant pour eux d'être ainsi face à leur propre choix."
"Je pouvais montrer l'ennui, en tant que tel, comme cette fillette, installée sur les marches d'un escalier, sa difficulté à intégrer le groupe au moment d'un pique-nique. J'ai filmé d'autres séquences et la difficulté d'un format de documentaire, c'est de faire des choix, on ne peut pas tout montrer en 52 minutes. J'aurais voulu ajouter une autre séquence, où la petite se livre à un témoignage puissant [à découvrir dans une version longue à sortir en salle, ndlr]. C'est la difficulté de l'exercice : ne pas trop en dire, montrer des choses signifiantes et ne pas aller trop vite malgré tout. C'est pourquoi j'ai choisi d'alterner des phases d'apaisement et de conflit, de vitalité et de calme."
Parce que vous êtes arrivés jusqu'ici et parce que nous sommes dans le secret, si vous souhaitez découvrir un peu plus cette colonie à la fois commune et pourtant si différente, voici un reportage réalisé par nos collègues d'une des rédactions du Grand Est.