Une grève inédite des magistrates et magistrats a lieu dans toute la France. À Colmar (Haut-Rhin), le cortège partira du palais de justice le mercredi 15 décembre, à 11 heures. Jean-François Assal, délégué régional adjoint de l'Union syndicale des magistrats (USM), a expliqué à France 3 Alsace que la justice avait besoin de moyens.
Les magistrates et magistrats n'en peuvent plus. Et fait inédit, un appel à la grève a été lancé pour le mercredi 15 décembre 2021.
La principale revendication : plus de moyens, tant humains que financiers. La pression est telle qu'une jeune magistrate s'est suicidée à Béthune (Pas-de-Calais) pendant l'été.
À Colmar (Haut-Rhin), le cortège s'ébranlera du palais de justice (situé sur la carte ci-dessous) à 11 heures. C'est là où officie Jean-François Assal, juge d'instruction et délégué régional adjoint de l'Union syndicale des magistrats (USM), qui a répondu aux questions de France 3 Alsace.
Que se passe-t-il au juste ?
"Tous les personnels sont à bout. Ça fait longtemps que c'est le cas. Le mouvement de vouloir manifester est venu des plus jeunes d'entre nous. Nous, les 'anciens' de ma génération [il est magistrat depuis 2004; ndlr], on a enchaîné les projets et les réformes, un empilement, un mille-feuille qui surcharge la barque. Et on a fait quand même."
"Mais pour les plus jeunes, c'est un choc, une brutalité, ce surcroît de travail. Des journées qui font douze heures, travailler le samedi et le dimanche, les astreintes, les permanences, l'absence de récupération... Jusqu'à ce que notre collègue finisse par se donner la mort. Parce que c'était trop. Voilà. On ne peut pas continuer comme ça."
Quelle serait la solution ?
"Plus de moyens. J'ai un exemple : notre guide des principales infractions pénales poursuivies chaque année en France. Il a triplé de volume en six ans. La complexité est triple pour des moyens humains constants. Le ministre de l'Intérieur a annoncé une augmentation de 10% des violences due à l'effet covid, et ça se voit, on a un 'rattrapage' [d'avant le confinement; ndlr]."
La complexité est triple pour des moyens humains constants.
Jean-François Assal, juge d'instruction à Colmar et délégué régional adjoint de l'Union syndicale des magistrats (USM)
"Mais c'est surtout à cause de la complexification des normes [phénomène d'inflation législative; ndlr]. Un dossier d'il y a dix ou quinze ans prenait 45 minutes à traiter : aujourd'hui, il prend cinq heures. Et tous les deux ans, on a un nouveau garde des Sceaux, qui va changer ce qu'a fait son prédécesseur avec une nouvelle réforme... On n'a que des complexifications : je n'ai jamais vu de simplification, la réforme de l'application des peines, par exemple."
Que demandez-vous ?
"Une adéquation des moyens humains avec ce qui nous est demandé. L'exécutif veut qu'on travaille : il a le droit. Mais en contrepartie, il faut fournir les moyens. Et ça fait 20 ou 30 ans qu'on entend ça. Ce n'est plus possible. Notre syndicat, le principal chez les magistrats, appelle à la grève pour la première fois de son existence [depuis 1974; ndlr]. Ce n'est jamais arrivé : vous vous rendez compte ? C'est quelque chose de fort. Si le garde des Sceaux ne comprend pas ça..."
"Les audiences vont donc être renvoyées. Mais c'est un peu comme à l'hôpital : on maintiendra les urgences pour éviter que des gens dangereux se retrouvent en liberté [travailler sans salaire donc; ndlr]. Pour tout le reste, on sait très bien que ça va causer des retards longs et complexes, mais on n'a plus le choix. Car ce n'est pas normal que des magistrats prennent sur leurs vacances pour combler les retards. Un chef d'entreprise qui se comporterait comme ça avec ses salariés, je vous garantis qu'on virerait ce chef d'entreprise."
Pourquoi n'avez-vous pas profité de la hausse du budget de la justice ?
"C'est un fait que le budget de la justice a augmenté, et même pour la deuxième année consécutive. Mais la quasi-totalité est ponctionnée par l'administration pénitentiaire. Ce qui est normal vu le retard qu'on a dans le réaménagement et la construction de nouvelles prisons. On paye comptant le retard de tout ce qui n'a pas été anticipé depuis 50 ans."
La quasi-totalité du budget est ponctionnée par l'administration pénitentiaire, pas nos tribunaux.
Jean-François Assal, juge d'instruction à Colmar et délégué régional adjoint de l'Union syndicale des magistrats (USM)
"Donc cette augmentation du budget, on ne l'a pas vue arriver. On a recruté quelques contractuels - pour une durée limitée - et ça ne représente qu'un poste, voire un demi-poste par tribunal ou cour d'appel. Rien qu'à Colmar, où nous sommes 20 magistrats, nous avons calculé qu'il nous fallait cinq postes : un substitut, un juge d'instruction, un juge d'application des peines, un juge des libertés et la détention, et un président de correctionnelle. Sinon, pour pallier les insuffisances de la justice pénale, tous les autres services sont ponctionnés : civils, commerciaux, affaires familiales [ce qui entraîne des retards importants dans les procédures; ndlr]."
"Les policiers peuvent arrêter tous les délinquants qu'ils veulent. Si on ne peut pas les traiter : ça ne sert à rien. Ce travail ne sert tout simplement à rien..."
De quels soutiens pouvez-vous vous prévaloir ?
"Les avocats vont nous rejoindre lorsque notre cortège atteindra la cour d'appel. On a eu beaucoup de motions de soutien du Conseil national des barreaux. Et spontanément, le bâtonnier de Colmar et la bâtonnière de Mulhouse ont proposé leur appui : je les en remercie vraiment, du fond du coeur. Car eux aussi souffrent [et manifestent parfois aussi; ndlr] de nos incapacités à traiter convenablement les affaires qu'ils plaident."