Haut-Rhin : une journaliste ukrainienne écrit pour ses lecteurs restés sous les bombes

Elle s'appelle Maryna Osipova. Avant, elle était journaliste dans un des plus grands hebdomadaires régionaux d'Ukraine. Comme beaucoup, Maryna a dû quitter son pays, fuir les bombes. Depuis avril elle loge au dessus de l'école de Horbourg-Wihr (68) où elle réapprend la normalité et reprend son stylo de journaliste.

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Maryna Osipova a le regard bleu acier de ceux qui ont connu des heures sombres. Cette mère de deux enfants a dû fuir l'Ukraine son pays, sa famille, son métier et les tombereaux de bombes en mars dernier.

Aujourd'hui elle loge à Horbourg-Wihr (68), un appartement prêté par la mairie au-dessus de l'école. La vie reprend son cours, presque normal. Maryna a repris son stylo ou plutôt son portable pour contribuer, bénévolement, à son ancien journal. Histoire d'informer ceux qui sont restés là-bas, coupés du reste du monde.

Des caves au ciel bleu

Maryna est partie de chez elle le 3 mars dernier. Valises et enfants sous le bras. Elle habitait Tchernihiv, ville à soixante kilomètres de la frontière russe et biélorusse, devenue cible des bombes. 

"Une semaine avant la guerre, j'ai commencé à mettre mes documents dans une valise, à me préparer sans vraiment y croire, même journaliste je n'y croyais pas. Au début je ne voulais pas partir, j'ai appelé mon rédacteur en chef, il m'a dit tu peux rester ici tu es en sécurité. Et puis, le bruit des armes est devenu tellement fort que nous nous sommes réfugiés à la cave, à dormir par terre, comme dans une prison. J'avais le sentiment que je ne retournerai jamais dans ma maison. Je l'ai fait deux fois pour aller chercher des affaires, de la nourriture, mon fils de un an sous les bras, mais ce n'était plus possible."

Le bruit des armes est devenu tellement fort que nous nous sommes réfugiés à la cave, à dormir par terre, comme dans une prison.

Maryna Osipova, journaliste ukrainienne

"Chaque jour on était bombardés, sans cesse, l'espoir que ça s'arrête est mort. Chaque jour était plus violent que le précédent. Un immeuble a été bombardé le 3 mars, juste à côté de nous, toute la maison a tremblé. Une cinquantaine de personnes sont mortes dans mon quartier. Alors je suis partie. C'était devenu trop dangereux pour les enfants." 

Maryna pleure à cette évocation. Les souvenirs font encore trembler ses propres fondations. En l'absence de couloir humanitaire, d'essence pour sa voiture, de train, Maryna fait du covoiturage avec un de ses amis qui fuit, lui aussi. Sur la seule route encore praticable. Ils traversent l'Ukraine. Elle rejoint ensuite la Pologne en bus, la France en train. Le périple jusqu'à Strasbourg durera une semaine.

Après avoir été hébergée dans un hôtel à Colmar pendant un mois, elle atterrit finalement à Horbourg-Wihr le 5 avril, au-dessus de l'école, dans un appartement prêté par la mairie.

Ici, le ciel est paisible, c'est ça le plus beau je crois

Maryna Osipova

"On a tout reçu ici, des soins, des bons d'aide alimentaire, des tickets de transport, un toit. On ne manque de rien. Mon fils ainé va à l'école, juste en bas. Les gens ont fait preuve d'une grande gentillesse, une grande humanité. Ici le ciel est paisible, c'est ça le plus beau je crois."  En contrebas, les enfants sortent de l'école. Leurs rires envahissent la pièce par la fenêtre grande ouverte. Le soleil aussi.

Informer, rétablir les faits

En Ukraine, Maryna était journaliste au Visnyk Ch, hebdomadaire régional, tiré à 36.000 exemplaires, un des plus gros d'Ukraine. 

Extrait du journal hebdomadaire by France3Alsace on Scribd

Un métier encore plus important aujourd'hui à ses yeux. Même loin. Même sans matériel. Avec son téléphone pour seule arme, Maryna a décidé de poursuivre sa mission : rétablir la vérité, informer ses compatriotes. Tous ces gens, qui si proches de la Russie, ne reçoivent pour informations qu'une propagande grandiloquente, des fake news au râteau télé.

La liberté passe aussi par là. Par la plume, ou pour Maryna, la pulpe des doigts. "Notre rédaction a recommencé à travailler le 5 mai. Avant tout était fermé. Je travaille en distanciel, le contact avec les gens me manque mais je suis très reconnaissante de pouvoir continuer à travailler, ça me rapproche d'eux, des gens qui sont restés là-bas. Je me sens utile. Je suis maman et journaliste. Quand j'allaite mon plus petit, je peux écrire mon article. Sur le téléphone. Quand j'appelle quelqu'un pour mon reportage c'est le grand qui garde le petit. Je crois que les enfants de journaliste savent ce genre de choses." 

Je travaille en distanciel, le contact avec les gens me manque mais ça me rapproche des gens qui sont restés là-bas. Je me sens utile.

Maryna Osipova

Pour la première fois Maryna sourit. Elle appelle dans la foulée son rédacteur en chef. Par Skype. Son petit sur les genoux. "Le dernier numéro que nous préparons sera consacré au journaliste français Frédéric Leclerc-Imhoff, tué par un éclat d'obus lors d'un reportage. Nous pensons que si nous n'arrivons pas à arrêter cette guerre, là maintenant, elle va déborder partout, en Europe. C'est pour cela qu'il faut continuer à informer. D'autant que la proximité avec la Russie fait que nous ne recevons à la télé que les informations russes, la propagande. Il n'y a plus accès à l'information libre. Nous sommes les seuls, les derniers. On a peur de travailler mais il faut dépasser cette peur, il faut continuer" explique Sergui Narodenko, son rédacteur en chef.

Ici, il n'y a plus accès à l'information libre. Nous sommes les seuls, les derniers.

Sergui Narodenko, rédacteur en chef

Tous les journalistes de Visnyk Ch travaillent désormais chez eux ou dans les sous-sols, dans l'ombre, bénévolement. Dehors la vie s'est arrêtée, dans les caves l'information continue de circuler. Souterraine. Lointaine parfois. De Horbourg-Whir. Maryna prépare son dernier article. Un couple de bénévoles qui se marient en pleine guerre. "Nous voulons continuer de vivre, de raconter de belles histoires." Celle de Maryna en est une, aussi. 

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