Observer les chamois gambader entre les sapins ravit les promeneurs et les photographes amateurs des Vosges. Mais il semblerait que sa population de plus en plus importante, selon certains indicateurs, menace la flore unique du massif du Honeck.
Depuis 1979, Michel Simon sillonne les pentes du massif du Honeck, dans les Vosges, et recense méthodiquement toutes les plantes et fleurs qu'il aperçoit. Ce n'est ni son métier, ni son gagne-pain : seulement une passion dévorante pour tout ce qui pousse et qui fleurit. Alors quand il tire la sonnette d'alarme, comme il l'a fait récemment dans la presse locale, il convient de l'écouter un minimum.
"Les gens ne s'en rendent pas compte, il y a peut-être même des usagers réguliers et des amoureux de la nature qui n'en ont pas conscience, mais si on ne fait rien, d'ici à 10 ou 15 ans, ce paysage pourrait ressembler à l'Écosse." Son constat, partagé par l'ensemble de la Société botanique d'Alsace, ne souffre d'aucune contestation : la végétation s'est considérablement rabougrie sur les contreforts des Hautes-Vosges depuis 50 ans. L'arnica, fleur symbolique des Vosges, disparaît progressivement. Les prairies, autrefois abondantes en fleurs, sont presque toutes fauchées.
Là où, en revanche, son analyse n'est pas partagée par tout le monde, c'est qu'il attribue cette dégradation, en partie, à la présence trop importante de chamois. "Il y a aussi l'impact de l'agriculture, du réchauffement climatique et du surtourisme. Chacun de ses facteurs affecte chaque secteur différemment. Mais l'autre cause principale, c'est clairement qu'il y a trop de chamois."
Un animal source de conflits entre usagers
Eric Babilon, adhérent du Groupe d'étude et de protection des mammifères (Gepma), organise des sorties dans le massif pour observer les chamois depuis dix ans. Il estime que la population de chamois "approche les 1 200 ou 1 300 individus" et que c'est "sans doute trop" pour la biodiversité locale. "C'est chouette pour nous les promeneurs, mais j'ai conscience qu'il y a un problème. Je suis photographe et j'aime beaucoup les fleurs, j'avais repéré une année un plant de lys martagon, j'ai patiemment attendu pendant des mois qu'il fleurisse et un jour, j'ai vu qu'il avait été entièrement brouté."
La science est claire sur un point : les chamois sont des herbivores qui se nourrissent en effet des fleurs qui se trouvent dans leur environnement. Mais comment un animal pourrait-il être à l'origine d'un tel déséquilibre ? "C'est qu'il a été introduit par l'homme dans les années 1950 pour des parties de chasse, et que, comme il n'a pas de prédateur dans les Vosges, la population s'est démultipliée depuis", estime Michel Simon. C'est sur cette question de la densité de population du chamois qu'il y a un véritable débat. Les chasseurs, par exemple, estiment qu'il n'est pas juste de parler d'une surpopulation.
La Fédération départementale des chasseurs du Haut-Rhin a d'ailleurs lancé une pétition alertant sur "une diminution alarmante de la grande faune". "Les grands cerfs, mais aussi les chamois, les daims et les chevreuils sont directement menacés", poursuit le document, dénonçant les pressions constantes exercées sur les chasseurs pour augmenter les prélèvements.
Selon Eric Krauser, chef du service départemental de l'Office français de la biodiversité (OFG) du Haut-Rhin, il y a pourtant une augmentation "constante et progressive" des chamois tirés depuis 1970. "On est sur une moyenne de 5,8 chamois tirés en plus tous les ans", ce qui, selon lui, "sous-entend que la population de chamois augmente aussi doucement chaque année".
Des couloirs pour relancer une dynamique ?
Quoi qu'il en soit, et en attendant une régulation plus ou moins importante de la population des chamois - c'est à la préfecture de fixer les quotas tous les ans - Michel Simon fait une suggestion qui n'engage aucune des parties. "On pourrait clôturer deux couloirs, un sur le versant sud, l'autre sur le versant nord du massif, inaccessibles aux brouteurs. Ils feraient par exemple une centaine de mètres de long et 50 de large. C'est une méthode utilisée en Suisse, je crois."
Ainsi, le long de ces deux corridors, les plantes pourraient repousser sans l'intervention des animaux. "Non seulement cela permettrait de se rendre compte de l'impact, ou non, des chamois. Mais en plus ça relancerait ce qu'on appelle une banque de semences, en botanique, et ainsi démarrer un nouveau cycle de repousse."
Selon le parc naturel régional des Ballons des Vosges, sept espèces de fleurs ont déjà disparu depuis les années 1970. Cinquante sont en forte régression.