En passant son brevet de pilote privé, Tristan Vuano a découvert l'Alsace sous d'autres lumières et de nouveaux angles. Il a emmené un appareil photo, et depuis, la photographie aérienne est devenue son second métier. Un métier 100% plaisir.
D'ordinaire, lorsqu'il quitte l'aérodrome de Mulhouse-Habsheim, Tristan Vuano ne sait pas encore où son ULM va le mener. Rien de prémédité, rien de systématique. "Je décolle, et je regarde où le soleil m'offre une belle lumière" explique-t-il. Alors il prend cette direction, tout simplement. A la recherche de couleurs surprenantes, d'un sommet qui sort de l'ombre, de jeux de brume sur la route des vins… "C'est toujours par feeling, par envie"
Arrivé dans le secteur voulu, il met son engin en pilotage automatique, ce qui lui permet de le stabiliser à une vitesse et une altitude (environ 180 mètres de hauteur) constantes. Il ouvre la fenêtre de l'ULM – ce qui est impossible dans un avion "où vous avez des verrières et des reflets." Et, avec son appareil photo reflex numérique bien en main, il immortalise les paysages qu'il est le seul à pouvoir contempler. "Et quand tu trouves un sujet qui te fait vraiment plaisir, tu rentres content", reconnaît-il.
Un "double actif" pour qui le travail est un plaisir
Tristan Vuano, la petite trentaine, se définit comme "un double actif". Il travaille à mi-temps à l'Euroairport de Bâle-Mulhouse, comme conducteur de… camion : "le push back, un gros camion qui sert à faire reculer les avions avant le décollage, car ils n'ont pas de marche arrière." Et de préciser : "C'est moi qui pose la dernière main sur l'avion avant son départ. Je suis en quelque sorte le pilote de l'avion au sol." Le reste du temps, il vole lui-même, pour le plaisir, et celui de photographier. "Je ne vis pas de ça", précise-t-il. Mais la vente de ses photos lui permet de couvrir ses frais.
Cette double vie si complémentaire lui est venue peu à peu. "J'ai commencé en 2009, en passant le brevet de pilote privé d'avion privé." Mais dès ses premiers vols en solo, il a découvert qu'il était avant tout "un observateur", émerveillé par les beautés qui s'offraient ainsi à lui. Des points de vue dont peu de gens pouvaient profiter, car "c'était bien avant l'époque des drones." A chacun de ses vols, il a donc emporté un petit appareil reflex, pour immortaliser ses découvertes. Puis s'en est acheté un autre, plus performant. Et la photo aérienne est devenue sa passion, tout autant que le vol.
"De Habsheim au Haut-Koenigsbourg, il me faut 20 minutes."
Au départ, il avait un paramoteur, "mais le souci, c'était d'être dépendant du vent." Il y a trois ans, il s'est donc acheté son ULM, "plus écologique qu'un hélicoptère, avec seulement 10 à 12 litres de carburant pour 150 kilomètres en moyenne" – avec des pointes de 180 à 190. "Ça permet de franchir rapidement de grandes distances. De Habsheim jusqu'au Haut-Koenigsbourg, il me faut 20 minutes."
A cette vitesse-là, il se rit des kilomètres. Compréhensible, donc, que toute l'Alsace s'ouvre à lui en fonction de ses envies. Il affectionne les vols du matin tôt, ou du soir, "pour avoir les plus belles lumières." Et comme il travaille souvent à l'Euroairport les week-ends, il peut effectuer de nombreux vols en semaine. En se faisant un malin plaisir d'avoir une petite pensée faussement empathique pour les malheureux coincés dans les bouchons. Tout en bas, sur les rubans d'asphalte, très loin sous ses pieds.
Un bonheur qui se mérite
Mais un tel sentiment "de liberté, et de détachement complet", casque sur les oreilles pour écouter de la musique, se mérite. Car l'hiver, partir aux aurores, "il faut en avoir envie", alors qu'à 180 mètres d'altitude, la température peut avoisiner les moins 16 degrés ("avec un ressenti de moins 30"). Et que, bien sûr, l'ULM n'a ni chauffage, ni isolation.
Au fil du temps, Tristan Vuano a aussi appris à se laisser porter par les variations saisonnières, et sait ce qui l'inspire le plus. "Chaque saison apporte son sujet, ce n'est pas l'inverse" précise-t-il. L'hiver, "ce sont principalement les crêtes", pour magnifier les paysages enneigés. "Au printemps, le Sundgau, et ses arbres en fleurs." L'été, le Ried avec les champs de céréales. Et l'automne, "les Vosges, les lacs et la route des vins" pour mettre en avant la palette de couleurs du vignoble.
"Je ne me considère pas comme photographe professionnel, mais comme auteur."
Mais pas question pour lui de faire des photos sur commande. "Je n'aime pas être pris dans un étau, devoir faire quelque chose que je n'ai pas envie de faire" reconnaît-il. "Je ne me considère pas comme photographe professionnel, mais comme auteur. Je vends mes photos après les avoir créées."
Des banques de données d'images et un livre
Et vu leur qualité, ses photos trouvent preneur. Il travaille régulièrement avec une banque de données parisienne, et propose ses images sur son tout nouveau site A vue de coucou, qu'il considère comme sa "vitrine". En décembre dernier, il a aussi créé le site Villages-Alsace.com, qui recense ses photos aériennes d'environ 450 communes alsaciennes. Une base de données qui peut intéresser bon nombre de villes, villages et communautés de communes. En ULM, le survol des grandes agglomérations, comme Mulhouse ou l'Eurométropole de Strasbourg, lui reste interdit. "Mais rester à la périphérie suffit souvent pour réaliser de superbes vues d'ensemble."
Voici deux ans, il a été contacté par un éditeur parisien. Il en a résulté l'ouvrage "L'Alsace vue du Ciel" agrémenté de textes de Gilles Pudlowsky, et toujours en vente "en librairies et en grandes surfaces." Car même si, aujourd'hui, le grand public s'est habitué aux images des drones, les photos de Tristan Vuano conservent leur beauté et leur magie. Lui-même n'y voit aucune concurrence, simplement une complémentarité. Il avait aussi testé cette nouvelle technologie, mais préfère rester fidèle à son appareil photo. "Et j'arrive à me démarquer" assure-t-il.
Des projets et un rêve
Selon lui, la variété du relief alsacien est quelque chose d'unique en France. "En quelques minutes, je passe de la montagne au vignoble, puis au Rhin." Et même s'il manque la mer – son seul regret – "on a les Seychelles"… ou du moins ce qui y ressemble fort, vu du ciel : "les survols des gravières, c'est fantastique", avec leur palette de turquoise indécelable d'en bas.
Puisque ses vols quasi-quotidiens continuent de lui ouvrir des horizons inédits, il n'a pas besoin de se bercer de projets irréalisables : "Pas grand-chose dans l'immédiat", reconnaît-il. Sauf, parfois, l'envie de jeter un oeil à d'autres paysages : "J'ai déjà fait la Corse, les Alpes, le Lubéron, la Provence..." Ou alors, si, un rêve... : "Participer un jour à l'émission Des Racines et des Ailes"... dont le titre correspond si bien à sa vie.