A la Haute école des arts du Rhin (HEAR) de Mulhouse, un module universitaire propose aux étudiants de travailler en binôme avec des artistes en situation de handicap. Une expérience humaine et plastique unique en France, mise en place par des artistes et encadrés par des enseignants.
"Rencontres singulières", tel est le nom de ce module permettant à des étudiants en art plastique et à des artistes en situation de handicap de vivre une expérience artistique hors du commun. 8 étudiants, 8 artistes handicapés, formant 8 binômes, se retrouvent tous les jeudis après-midi, pendant 4 heures, d’octobre à janvier, dans une salle de la Haute école des arts du Rhin (HEAR).
La genèse
Après une phase d'expérimentation en 2017, le module est intégré au cursus universitaire dès l'année suivante, permettant aux étudiants qui le suivent de le valider dans leur parcours. "Ces quatre heures de création intenses sont un exemple radicalement novateur pour une école d'art. C'est un cas unique en France", affirme Jan-Claire Stevens, professeur de dessin à la HEAR et qui encadre le module."L’essence de ce travail, c’est d’abord une rencontre plastique. On est vraiment dans ce but de partager des univers, d’aller vers l’autre à travers le travail plastique, explique Céline Martin, plasticienne, à l'origine de cette expérience avec Fanny Munsch. Fanny et moi, on est artistes, on ne se situe pas du tout dans le champ de l’art thérapie mais dans celui de l'expérience artistique et humaine".
Toutes deux sont éducatrices à la résidence Cap Cornely, un foyer pour personnes en situation de handicap mental. "On travaille à temps partiel à l’atelier du Vestiaire, à la résidence du Cap Cornely. Une partie de la semaine on accompagne des artistes en situation de handicap qui viennent à l’atelier pour poursuivre un travail artistique personnel. On ne fait rien à leur place, c’est eux qui choisissent les directions qu’ils veulent donner à leur travail". Des artistes adultes et confirmés qui pour certains montrent une appétence particulière pour la matière artistique. Ce sont eux que Fanny et Céline ont dirigé vers le module de la HEAR "pour les amener à travailler avec de jeunes artistes en devenir et pour voir ce qui pouvait se construire entre eux ".
L'expérience
"Mary, quand elle a vu mon travail, ça l’a tout de suite intéressée", affirme, enthousiaste, Camille Nozay, étudiante en 3e année de design textile. Camille forme un binôme avec Mary Pan, une des huit résidentes du foyer Cap Hornely. "Je travaille mon imagination, j'essaie de trouver ce qu’il y a de précieux en nous, d'aller plus loin vers soi et les autres. C’est un travail d’ouverture", explique quant à elle Mary, artiste de longue date. Elle dit avoir besoin de s'échapper de la réalité par la lecture et l'écriture."On part souvent de phrases que Mary écrit. On a des styles assez différents, je suis quelqu'un de très spontané alors que Mary est plus ordonnée. On s’est enrichie mutuellement parce qu’on est différentes et qu’on se pousse chacune hors de nos cadres habituels", explique Camille Nozay, ce à quoi semble adhérer Mary en affichant un large sourire.
Jeannot Meyer préfère, lui, dessiner des animaux. Et lui aussi a trouvé son double : Margot Lepenant, étudiante en 2e année de design. Jeannot et Margot travaille sur le quotidien et la façon d'en sortir parce que, explique Jeannot "je viens ici pour changer d'air, sortir du quotidien".
Pauline Keiflin, en 3e année d'art s'est inscrite au module parce que dit-elle "ça m’intéresse de travailler avec des personnes en situation de handicap. Ça m’apporte beaucoup de choses à moi comme à lui, en terme d’échanges et de collaboration, ça fournit un travail singulier et hors du commun". Pauline travaille en binôme avec Christophe, qui n'est pas très causeur mais débordant d'imagination. "Au départ on pense qu’on part d’une idée et puis ça évolue de plus en plus parce que moi j’ai des idées, il en a d’autres, la jointure de ces deux univers ça créée quelque chose de très florissant." Christophe aime dessiner ou sculpter des têtes de mort. Avec Pauline, ils ont eu l'idée d'en faire toute une série en argile. "On fabrique, nous deux, tout un peuple de tête de mort et si le projet s'étalait sur 10 ans on en ferait sur 10 ans".
Mais le module ne dure que quatre mois. Court mais suffisant pour produire beaucoup d'oeuvres. Suffisamment, en tous cas pour faire l'objet d'une exposition. A cette occasion les portes de la HEAR seront ouvertes au public, pendant deux journées, les 7 et 8 février 2020, "une façon de contribuer à changer l’image qu’on peut avoir de ces personnes en situation de handicap" , espère Céline Martin.