Les Horter, à la tête du Mulhouse Olympic Natation, sont une famille importante et influente depuis des décennies dans la natation française. Leur renvoi en correctionnel pour abus de confiance et abus de biens sociaux, risque de dégrader encore davantage l'image du club, jugée déjà sulfureuse. Thierry Vildary, journaliste à Franceinfo Sports a mené l'enquête.
Quatre membres de la famille Horter, Lionel, l'entraîneur du MON, sa femme Marjorie, son frère Franck et leur mère Marie-Octavie sont renvoyés en correctionnelle par le parquet de Mulhouse. Présentés le lundi 5 juin devant la procureure de la république du parquet de la ville, Edwige Roux-Morizet, ils sont soupçonnés d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux et recels pour des faits remontant aux exercices de 2015 à 2019.
"Cela concerne plusieurs centaines de milliers d'euros. Les sommes qui ont été utilisées, j'allais dire à de mauvaises fins, sont des sommes dont les victimes sont les structures, elles-mêmes, c'est-à-dire, ou l'association MON [Mulhouse Olympic Natation] ou la SARL MON club", précise la procureure. L'audience se tiendra le 16 novembre au tribunal judiciaire.
Le journaliste de la cellule d'investigation de Franceinfo Sport, Thierry Vildary, suit ce dossier depuis plusieurs années. Il revient, pour nous, sur toutes les facettes de cette affaire mettant en jeu un des plus célèbres noms de la natation française.
Vous vous attendiez à ce renvoi devant la justice ?
"C'est une surprise puisqu'il y a deux enquêtes actuellement ouvertes, avec des juges d'instructions qui ont été nommés, mais dont on n'a pas de nouvelles depuis maintenant de longues années. On n'était pas au courant de cette enquête préliminaire déclenchée par le parquet en 2020 suite à une lettre anonyme qui, véritablement, a pointé les faits. Cette enquête de la brigade financière de la police judiciaire de Mulhouse a été menée dans le plus grand secret. J'ai eu un peu vent, par différents aspects, de choses qui se préparaient en coulisses mais on pensait que c'était relatif à ces deux informations judiciaires et pas à cette enquête préliminaire. Enquête, qui semble-t-il, a découvert suffisamment de faits graves pour un renvoi directement en correctionnel des quatre membres de la famille Horter".
Quels sont les faits reprochés aux Horter ?
"Il est difficile de dire qui sont les victimes et qui sont les auteurs. C'est la justice qui devra le faire et le tribunal correctionnel en l'occurrence. On parle d'abus de confiance et d'abus de bien sociaux, on suppose que ça concerne directement les deux structures du MON, c'est-à-dire le club de natation de Mulhouse et le MON club, la structure privée créée autour du MON pour gérer des activités commerciales. Se pose la question des collectivités locales, en particulier de la M2A qui a été un grand financeur, un grand pourvoyeur de subventions parfois jusqu'à hauteur de 700.000 euros par an du MON. L'agglomération a dû reprendre la gestion en direct, il y a quelques mois de cette structure vu les problèmes financiers qui étaient connus".
Les collectivités ont elles fermé les yeux ?
"La M2A [Mulhouse Alsace Agglomération] n'a-t-elle pas été assez regardante ? Cela tient du débat public. Elle a commandé un rapport d'audit il y a maintenant quelques années au cabinet Deloitte qui a pointé des dysfonctionnements. La M2A a pris son temps pour réagir. Il y a quelques mois, j'ai contacté les services et les élus de l'agglomération. On m'a fait savoir qu'ils ne comptaient pas se constituer partie civile parce qu’ils avaient demandé à un cabinet spécialisé d'étudier le dossier juridique. Celui-ci leur avait dit que ce n'était pas nécessaire, alors qu'il il y a des millions d'euros de subventions versées sur plusieurs années. Subventions versées par les collectivités, en particulier par l'agglomération. C'est une réponse assez incompréhensible. Il y a une audience le 16 novembre prochain, la collectivité a le temps d'ici là d'étudier le dossier sérieusement et de décider de se constituer partie civile ou non. Cela permettrait de savoir si, dans d'éventuelles malversations de la famille Horter qui gérait ces deux structures nourries abondamment de subventions publiques, il n'y aurait pas eu un préjudice à l'encontre des impôts locaux, des impôts fonciers et de ceux qui les payent".
Peut-on parler d'un clan Horter ?
"Dire qu'il y a un système Horter, ce serait déjà presque un peu les condamner. Ce qui est certain, c'est qu'on avait du mal à y voir clair dans ce qui fait quoi dans cette famille, entre le MON natation et le MON club. On sait que, par exemple, il y avait un magasin Tyr, de l'équipementier de fournitures de maillots de bain et de lunettes de natation qui était installé au sein du centre nautique. Tyr était représenté en France et en Europe par Frank Horter et on ne sait pas exactement comment ce magasin s'est installé. Est-ce qu'il y avait une convention ? Est-ce qu'il payait un loyer et à qui ? Est-ce qu'il y a eu un appel d'offres pour installer ce magasin au sein du MON club ? Tout cela, ce sont des choses qui sont à définir, à clarifier. Ces questions seront soulevées lors de l'audience au tribunal".
"Comme par exemple aussi, des histoires de voitures de fonction qui appartenaient au MON natation et qui auraient peut-être pu être utilisées par des dirigeants du MON club entreprise. Voilà, il y a plein de pistes différentes plus ou moins connues sur la place publique à Mulhouse depuis maintenant des années et qui n'ont pas toutes encore été forcément investiguées".
"On parle aussi de la nécessité d'investiguer à l'étranger, peut-être du côté suisse. Ce sont des enquêtes compliquées. Est-ce qu'on en verra le bout un jour, je ne sais pas, en tout cas le 16 novembre prochain, on aura quelques informations sur ce qui est reproché à la famille Horter et quelles réponse ils peuvent apporter sur des suspicions d'abus de biens sociaux et de d'abus de confiance".
"Hier, [lundi], la procureure a demandé contre Franck Horter un contrôle judiciaire, mais elle n'a pas été suivie par le juge des libertés. Il pourra continuer à gérer le MON sportif et la structure privée, le MON club".
Quel avenir pour le MON ?
"L’image du club dans le milieu de la natation française est sulfureuse depuis de nombreuses années. On sait qu'il y a des athlètes qui se sont plaints, à tort ou à raison, de ne pas avoir eu de rétrocessions sur les subventions, auxquelles ils avaient droit et qu'ils auraient dû toucher. Pour ce club, qui est un grand club, qui a fourni une championne du monde et une ministre des Sports à la France [Roxana Maracineanu], l'image est catastrophique. La natation avait déjà été touchée par différentes affaires mais ça s'était calmé un peu ces temps-ci. Les Horter, dans la natation française, sont une famille importante et influente depuis maintenant des décennies. Le débat va être relancé sur la place qu'on leur a accordée. Peut-être qu'on leur accorde encore puisque le club avait retrouvé son son statut de centre de formation nationale assez récemment".