Bernard Stoehr se définit comme un "passeur". Ce pasteur retraité connaît chaque plante du massif des Vosges où il a grandi. À 70 ans, il continue d'emmener des groupes sur les hauteurs pour les sensibiliser à la beauté du lieu, en souffrance face au réchauffement climatique et au comportement de l'homme.
Il marche comme il respire, sur les sentiers des Vosges. Peut-être même marche-t-il pour respirer. Là-haut, sur la montagne, Bernard Stoehr puise son oxygène. Ses racines sont profondément ancrées dans le massif et plus il prend de l'âge, plus l'appel de ces sommets est fort. À 70 ans, le Haut-rhinois - qui a grandi à Stosswihr - ne se sent mieux nulle part ailleurs que "chez lui".
"J'ai vécu ailleurs en Alsace et même cinq ans à la Réunion, mais j'ai eu besoin de rentrer. Mes racines sont ici, c'est quelque chose qui ne s'explique pas", confie le botaniste. Une vieille histoire d'amour qu'il doit à son grand-père. À l'époque, ce dernier envoyait le petit Bernard cueillir des plantes pour préparer de la tisane. De quoi attiser la curiosité du garçon devenu adolescent.
"J'ai eu envie de mettre un nom sur ces plantes et aussi de savoir ce que les hommes faisaient avec", indique-t-il, citant l'exemple de la betonica officinalis croisée le long du chemin, jadis très utilisée dans la médecine populaire. Ou encore de l'ail victorial (allium victorialis) : longtemps, les marcaires ont accroché le bulbe de la plante dans les maisons et les étables pour chasser les mauvais esprits, détaille-t-il encore.
Un passeur qui veut sensibiliser à la beauté de l'environnement... et à sa fragilité
Durant ses études de théologie protestante, Bernard Stoehr a d'ailleurs consacré son mémoire à ces us et coutumes au Moyen-âge. Des histoires qu'il aime faire connaître, se définissant comme un "passeur". D'abord, dans la sphère religieuse tout au long de sa carrière, aujourd'hui au service de la nature. Toute l'année, il organise des sorties pour partager sa passion de la montagne avec le grand public, et notamment les jeunes.
Il leur montre les jolis silènes des rochers, digitales ou autres crêtes de coq. Il leur présente le fenouil des Alpes, dont l'odeur évoque l'anis et donne un fromage (munster) savoureux. Il aime aussi raconter comment les premiers végétaux ont émergé, comment les plantes ont survécu malgré les grandes catastrophes naturelles.
Les mousses et lichens sont des miracles de la nature.
Bernard StoehrBotaniste
L'objectif n'est bien sûr pas de donner des acquis scientifiques, mais de toucher, voire carrément émouvoir, pour sensibiliser à la beauté de l'environnement. Car le guide de montagne, également titulaire d'un brevet d'alpinisme, perçoit les dégâts causés par le réchauffement climatique et la surfréquentation du massif.
Dans ce contexte, les lichens et les mousses, dont il est un spécialiste, sont pour lui des "miracles de la nature. Les lichens sont très résistants, assure-t-il. Ils sont apparus ici il y a 300 millions d'années, ont connu les dinosaures. Puis les dinosaures ont disparu il y a 66 millions d'années lorsqu'un astéroïde est tombé sur la terre, mais les lichens sont toujours là ! Et c'est grâce à eux et aux mousses, et à l'oxygène qu'ils ont produit, que la vie a doucement pu reprendre."
Une Nouvelle flore d'Alsace en cours d'écriture
Selon Bernard Stoehr, ces mousses et lichens continueront à jouer un rôle très précieux à l'avenir : "Les mousses sont très intéressantes, car même si elles restent sans eau pendant six ou huit mois, elles survivent. Et dès qu’il pleut, l’eau pénètre dans leurs cellules et nourrit la mousse qui reprend vie. C’est merveilleux ! C'est une vraie éponge qui absorbe l’eau, la contient, et lorsqu’il fait sec, la diffuse dans l’atmosphère. Les plantes qui vivent à proximité bénéficient naturellement de cette humidité."
Le pasteur botaniste est actuellement en plein travail. Il arpente les Vosges - le Kastelberg, le Wormspel, le Rothenbach... - pour répertorier les espèces : celles qui ont disparu et celles, invasives, qui sont apparues. Car la société botanique d'Alsace veut actualiser La flore d'Alsace, ouvrage de référence sur les plantes à fleurs.
Avec ses collègues, il mène une réflexion autour du chamois, à la fois agréable à observer et dangereux. L'animal, introduit en 1956 à la faveur d'un cadeau diplomatique fait par l'Allemagne à la France, a colonisé le massif au point d'être une menace pour certains végétaux dont il se délecte. Entre paradis pour les randonneurs et poison pour les paysages... un monde de paradoxes et un équilibre difficile à trouver.
Bernard Stoehr, lui, a en revanche trouvé le sien, dans ses montagnes. Celles qui le nourrissent au quotidien. Ce musicien, chanteur et guitariste, se laisse porter par ses balades, qui l'inspirent. "Quand on marche, on est embarqué dans un rythme. Des pensées nous traversent l’esprit. Des mélodies naissent... La vie est comme ça. Il faut la croquer à pleines dents, avec passion", sourit, entre deux chansons, celui qui a animé de nombreux camps au Svalbard, un archipel norvégien situé dans l’océan Arctique, ainsi qu'en Islande.