Il est né loin de l'océan, à Mulhouse mais il a le vent en poupe. Gabin Navéos, 22 ans, a pour projet de traverser l'Atlantique en solitaire en 2023. Pour l'heure il s'entraîne sur les côtes bretonnes. Un pied ici un pied marin. Portrait.
Gabin est un homme pressé. Il m'accordera 30 minutes montre en main avant de retourner à ses préparatifs. Demain, lundi 2 mai, est un grand jour. Demain,13h pétantes, Gabin s'élancera sur son mini 6.5 pour sa première course en solitaire. La Corsica Med. Six jours en mer, le bleu aux yeux, le sommeil en suspens. En attendant, sa voix mêlée d'embruns et de soleil, me fait, le temps d'un appel, prendre le large. Portrait d'un jeune navigateur mulhousien gonflé à bloc.
Il s'appelle Gabin Navéos. Comme si, son patronyme, par quelque hasard heureux de la généalogie, le prédestinait à prendre la mer, à naviguer. Pourtant Gabin est né très loin dans les terres. A Mulhouse. "J'ai toujours eu cette passion pour les bateaux, je ne saurais pas te l'expliquer. Peut-être mes vacances en Bretagne avec mes parents, où je regardais les voiliers avec émerveillement, je sais pas c'est comme ça en tout cas."
Accent alsacien, pied marin
Gabin s'inscrit à l'adolescence au Club de voile de Mulhouse (CVM). C'est sur le plan d'eau de Reiningue qu'il fait ses premières armes. Il y a de l'eau, du vent, des dériveurs : ça suffit. "De toute façon je me suis vite aperçu que tous les manuels du monde ne remplaceront jamais la pratique, l'observation, les conseils des autres navigateurs". Pour cela oui Reiningue a ses limites. Gabin se rapproche alors de l'océan, à Concarneau où il fait des études de commerce spécialisé à l’Institut nautique de Bretagne.
La Bretagne, terre de mer et de grands navigateurs. "C’est un peu la capitale des courses aux larges en solitaire et en duo. L'océan est un autre univers, c'est pas les gravières c'est sûr, le vent y est plus stable mais il y a les vagues et les courants." Porté par le sien de courant, Gabin s'installe à Arzon, dans le Golfe du Morbihan. Il y vend et installe des caisses de bateaux la semaine. Navigue le week-end. "Je suis fatigué, c'est clair je me repose jamais. C'est compliqué mais je tiens bon la barre. Acheter un bateau, l'entretenir ça coûte un bras alors faut pas les baisser."
Acheter un bateau, l'entretenir ça coûte un bras alors faut pas les baisser.
Gabin Navéos
Gabin rit de sa fougue, de sa jeunesse. C'est beau et ça me décoiffe. Il en veut, il a les crocs aiguisés. Son bateau, un mini 6,50, s'appelle justement Fenrir, le dieu loup de la mythologie viking. Le jeune loup de mer a trouvé sa monture. "Ces bateaux là sont plus accessibles à la manœuvre, et au portefeuille. C'est l'école de la course au large. Tous les grands skippers ont commencé par là. Moi je suis encore en phase d'apprentissage. C'est un prolongement de moi, je suis à l'écoute du moindre de ses bruits, je l'entends, je lui parle, je l'entretiens. On s'apprivoise."
Pour acquérir Fenrir, le jeune Gabin a dû se saigner à blanc. "Un mini 6.5 c'est 50.000 à 70.000 euros à l'achat, d'occase évidemment. C'est un prêt bancaire, montrer patte blanche, justifier que c'est pas une bêtise même si ça en est souvent une, faire des croix sur certaines choses, dormir dedans aussi plutôt que d'aller à l'hôtel pour pouvoir participer aux courses, qui elles aussi, coûtent un autre bras." Fenrir est surtout un pari sur l'avenir.
Mini bateau, maxi rêves
Avec Fenrir, ce sera demain sa quatrième course. La première en solitaire. Leur meilleur palmarès, c'était il y a à peine un mois, lors de la Calvados Cup. Quatrième sur 44, arrivée à Deauville en conquérants. "De toutes les courses, je suis le plus jeune, c'est encourageant. Moi j'aimerais arrêter de bosser, me consacrer à mon bateau, rien qu'à mon bateau mais bon j'ai 22 ans, j'ai le temps a priori même si au fond je suis pressé."
Fenrir n'est pas confortable ni moderne. C'est là tout le charme des mini. A l'ancienne quoi. "J'ai un bateau qui flotte, j'en suis le commandant, on va faire en sorte qu'il flotte encore à l'arrivée. Tout est minimaliste là-dedans. Pas de WC, pas de GPS, pas de cartographie. C'est interdit à bord lors des courses. On regarde nos cartes, c'est formateur."
Demain Fenrir et Gabin mettront les voiles pour la Corse, pour ce qui sera un baptême du feu sur l'eau. "J'ai même pas le temps d'être stressé, je dois encore préparer les cartes, bien repérer le parcours, ne rien oublier de l'eau, de la nourriture et ... un réveil. Il sonnera tous les quart d'heure la nuit afin que je vérifie le bateau et ma position. Il est capital celui-là. C'est ça aussi les courses en solitaire."
J'ai un bateau qui flotte j'en suis le commandant, on va faire en sorte qu'il flotte encore à l'arrivée
Gabin Navéos
La Corsica Med c'est quatre à six jours de navigation. Marseille, le Cap Corse, l'île italienne de Capria et retour Marseille. "J'ai hâte d'être en pleine mer. Quand on est seul en mer, on est face à soi-même, à compter sur ses propres ressources. C'est une certaine philosophie de vie. Un défi constant, un dépassement de soi. Franchement chaque fois que je reviens d'une course, je me dis plus jamais, j'en ai trop chié. Une fois le pied à terre j'ai déjà le mal de mer, je veux repartir."
La Corsica Med oui mais avec en ligne de mire la 24e Mini Transat, en 2023. Pour participer à cette course mythique, Gabin doit avoir fait ses preuves sur différentes courses, et notamment sur une course en solitaire d’au moins 24h. Pas question de se louper ou de chalouper en Méditerranée. D'autant que la saison a été très prometteuse. "J'ai disputé la Plastimo Lorient début avril avec le navigateur Nicolas Boidevézi, Mulhousien lui aussi. C’est quelqu’un d'expérimenté, vice-champion de France qui a participé à près de 40 régates internationales et réalisé plusieurs courses transatlantiques, inspirant quoi." Les Alsaciens ont terminé 15e sur 70.
"La Mini Transat c'est un parcours de 7.500 km entre les Sables-d’Olonne et la Guadeloupe. 20 jours en mer à peu près. C'est un cap à passer au sens propre et au sens figuré. La Transat c'est la fin d'une histoire et le début d'une autre, plus grande." Grande comme la planète bleue. Après La Transat ? Gabin dérive, loin, très loin, autour du monde. "Le Vendée Globe, je l'ai dans la tête depuis ben heu... je sais même plus, toujours. C'est l'Eldorado."
L'appel du large est aussi un appel aux dons. "Pour le Vendée des Globes, il faut des bateaux Imoca 18 mètres. On triple la taille, on décuple le budget. Ce ne sera possible qu'avec de gros soutiens financiers, des sponsors qui me suivent. C'est de la Formule 1 là. Un sponsor alsacien ce serait vraiment chouette, pour la petite histoire." Et peut-être aussi pour la grande.