La pluviométrie importante de ces derniers mois a eu un effet bénéfique sur les nappes phréatiques en France : 65% d'entre elles sont à un niveau "très satisfaisant". Dans le Haut-Rhin, en revanche, le niveau reste anormalement bas. On vous explique pourquoi.
Un océan de bleu et de vert...et une petite zone d'orange, dans le Nord-Est. L'Alsace, et plus particulièrement la partie Sud du Haut-Rhin, fait figure d'exception notable et visible sur la carte des nappes phréatiques de France métropolitaine, publiée cette semaine par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). "L'état des nappes est très satisfaisant sur une grande partie du territoire (...) mais est très défavorable, avec des niveaux bas à très bas, sur la nappe inertielle du Sundgau (sud Alsace) et sur les nappes de l'Aude, du Roussillon et de l'est de la Corse", écrit l'organisme dans son rapport.
Il a pourtant beaucoup plu sur cette zone du Sundgau comme partout en France : entre 50 et 70 mm sur la partie sud du Haut-Rhin selon le dernier bulletin hydrologique de l'Aprona (l'observatoire de la nappe d'Alsace), soit un excédent de 10% par rapport à la normale de référence du territoire.
Pourquoi, alors, les nappes y sont-elles encore en déficit, comme c'est le cas depuis plusieurs années désormais ? Qu'est-ce qui explique que d'autres secteurs, situés dans le rouge il y a un an (au nord de Lyon ou autour de Marseille), se retrouvent aujourd'hui "haut" voire "très haut", et pas le Sundgau ?
Une nappe profonde et des obstacles divers pour l'écoulement de l'eau
"Pour nous, ce n'est pas du tout une surprise", confie Elodie Giuglaris, hydrogéologue au BRGM. Cette spécialiste de la nappe d'Alsace estime que les eaux souterraines du Sundgau sont "parmi les plus complexes en termes de comportements". "Il y a un décalage important entre l'infiltration de l'eau dans le sol et l'impact sur le niveau de la nappe, poursuit-elle. En gros, le niveau qu'on a en ce moment est dû aux pluies d'automne. Et tout ce qui est tombé depuis le mois d'avril, on en verra les conséquences d'ici trois, quatre, voire six mois."
💧 État des nappes d’eau souterraine au 1er mai 2024
— BRGM (@BRGM_fr) May 22, 2024
Que retenir
🔸 39% des niveaux sont en baisse (16% en mars)
🔸 22% des niveaux sont sous les normales mensuelles (27% en mars)
🔸 Les niveaux baissent sur les nappes réactives et continuent de monter sur les nappes inertielles pic.twitter.com/QUkua2OJxC
Le niveau peu élevé de la nappe n'est donc pas étonnant d'un point de vue scientifique, et ce malgré la pluviométrie importante des derniers jours, tout simplement parce que le voyage de la goutte d'eau qui pénètre le sol est loin d'être direct dans le Sundgau. "La particule d'eau va rencontrer plein d'obstacles divers, à travers des formations géologiques plus ou moins imperméables sur cette zone", explique Elodie Giuglaris.
De surcroît, la nappe exploitable de cette zone (c'est-à-dire celle que l'on utilise pour l'eau potable ou l'irrigation, par exemple) se situe très profondément dans le sous-sol. "Il est clair qu'entre le sud de Mulhouse et le secteur de Bâle, la nappe est relativement profonde et donc plus longue à atteindre pour l'eau de pluie, confirme Fabien Toulet, chargé d'études au sein de l'Aprona. Il y a aussi très peu d'interactions avec les cours d'eau en surface. Tout cela fait qu'on ne rattrapera pas le retard accumulé depuis 2021 en un hiver ou un printemps."
Un impact potentiel du réchauffement climatique
En somme, il faudrait plusieurs hivers et printemps similaires à ce que l'on a connu ces derniers mois pour que le Sundgau atteigne les catégories vert ou bleu, comme ailleurs en France. Il se pourrait, en revanche, que le rattrapage ne se fasse pas. Le réchauffement climatique, et les sécheresses de plus en plus fréquentes, pourraient bouleverser les connaissances scientifiques sur la recharge en eau de cette zone particulière. "Il y a toujours eu des cycles pluriannuels : 15 ans de niveau élevé, 15 autres de baisse, explique Fabien Toulet. On est au cœur du cycle de baisse, on a entamé une remontée depuis quelques mois mais rien ne dit que ça se passera comme d'habitude. Déjà, on est descendus à un niveau plus bas qu'historiquement."
Selon Elodie Giuglaris, la recherche identifie déjà quelques pistes en lien avec le réchauffement climatique, indiquant que la recharge en eau des nappes phréatiques sera de plus en plus complexe, notamment dans le Sundgau. "On ne sait pas encore à quel degré il y aura un impact, mais on constate quand même une corrélation avec la diminution du manteau neigeux dans les zones de moyenne montagne, ou mixtes entre montagne et plaine, comme le Sundgau. En plus, la période où l'eau de pluie n'est pas absorbée par la végétation se réduit, car avec la hausse des températures la flore se développe de plus en plus tôt dans l'année...Tout cela retarde la fenêtre de tir de la recharge efficace pour les nappes phréatiques."
Les études se multiplient à ce sujet et devraient aboutir dans les prochains mois ou années, "car le réchauffement est déjà là" et les conséquences peuvent déjà se mesurer. Une chose est sûre, cependant : il ne faudra pas s'étonner si la nappe du sud de l'Alsace reste à un niveau "bas" pendant encore quelques mois, et ce même en cas d'été pluvieux.