CARTE. Sécheresse : "il faudrait deux mois de pluie en continu", un risque accru pèse cet été sur la nappe phréatique d'Alsace

Après trois mois déficitaires en pluie durant l'hiver 2023, la nappe phréatique d'Alsace commence à se recharger grâce aux précipitations tombées ces dernières semaines. Mais, très disparates selon les secteurs, ses niveaux pourraient ne pas suffire à éviter une sécheresse d'ampleur cet été.

Alors que l'été 2022 a enregistré des températures et une sécheresse records, l'année 2023 pourrait s'annoncer autant, voire plus compliquée si les nappes phréatiques ne se rechargent pas. En Alsace, les niveaux de ce mois d'avril sont inférieurs aux normales saisonnières.

Le premier trimestre affiche un déficit pluviométrique de l'ordre de 15%, selon Météo France. En février, ce pourcentage atteint même 80%, avec seulement 12 mm de pluie, soit le deuxième mois de février le plus sec en Alsace depuis 1959. 

Malgré ce début d'hiver marqué par la sécheresse, le cumul de pluie de la saison de recharge, soit de septembre 2022 à mars 2023, reste légèrement au-dessus de la normale. Il s'élève à 510 mm contre 500 mm en moyenne, mais ne suffit pas à assurer une saison estivale sans stress hydrique (période durant laquelle la demande dépasse la quantité d'eau disponible). 

Des situations contrastées

"Pour que nous n'ayons pas de difficultés cet été, il faut que les niveaux soient trois fois supérieurs à ce que nous avons actuellement", explique Carmen de Jong, professeure en hydrologie à l'université de Strasbourg.  

Dans la région, de grandes disparités existent au sein de la nappe. Par exemple à Haguenau (Bas-Rhin), elle est en hausse de 8 centimètres, avec une courbe qui se situe au-dessus de la moyenne. Tandis qu'à Lipsheim (Bas-Rhin), le niveau a fléchi de 8 cm et se situe à des seuils historiquement bas, selon les relevés de l'association pour la protection de la nappe phréatique de la plaine d'Alsace (Aprona). 

La situation est encore plus inquiétante dans le Haut-Rhin. Le secteur d'Habsheim est touché par une sécheresse dont l'ampleur ne se produit qu'une fois tous les 20 ans. Même chose pour la nappe de Cernay, dont la profondeur a baissé de près de 2 mètres par rapport à la normale. 

Les années avec des nappes phréatiques inférieures aux moyennes sont de plus en plus fréquentes

Victor Haumesser, chargé de communication à l'Aprona

Un "état des lieux" préoccupant, mais qui ne permet pas, selon l'Aprona, de dégager une tendance générale pour l'été. "Ce que l'on peut dire, c'est que les années avec des nappes phréatiques inférieures aux moyennes sont de plus en plus fréquentes depuis le début de nos mesures", indique Victor Haumesser, chargé de communication à l'association. L'année 2023 ne fait pas exception.

Carmen de Jong rappelle que "la nappe a été sous un niveau critique pendant un quart de l'année dernière". Et surtout, "on observe une augmentation des semaines sans infiltration des pluies dans les sols, et donc sans recharge de la nappe. Il faudrait deux mois de pluie en continu pour espérer avoir des niveaux de la nappe supérieurs à la moyenne cet été". 

La pluie ne fait pas tout

Au manque de pluie s'ajoute l'évapotranspiration, c'est-à-dire l'émission de vapeur d'eau dans l'atmosphère depuis le sol et la surface des végétaux. "On pense souvent que toute l'eau de pluie part dans les nappes phréatiques, mais c'est loin d'être le cas, et encore moins lorsqu'il fait chaud", ajoute l'universitaire.

Le phénomène s'accroit lorsque les températures sont élevées et l'air sec. En raison de l'augmentation d'épisodes de sécheresse et de douceur en hiver, l'évapotranspiration peut intervenir précocement dans l'année.

 "Avec l'herbe et les plantes qui poussent parfois bien plus tôt, la quantité d'eau de pluie qui s'infiltre dans les nappes est moindre", constate la professeure en hydrologie. De plus, la pluie doit d'abord humidifier les sols, puis nourrir les plantes avant d'atteindre les nappes phréatiques. 

L'impact sur les cours d'eau 

Les cours d'eau et les rivières ont également été durement touchés par la sécheresse en 2022. Leurs niveaux sont d'ailleurs étroitement corrélés avec ceux des nappes phréatiques. À titre d'exemple, le débit de l'Ill entre le 15 juillet et le 15 septembre 2022 était proche, voire égal, à 10 mètres cube par seconde. Le débit serait proche de 0 si la rivière n'était pas alimentée par le Rhin. Sur la même période, avec quelques jours de décalage, la nappe phréatique de la zone a aussi nettement baissé. 

Au mois de mars 2023, les débits moyens observés par l'Aprona sont repartis à la hausse sur tous les cours d'eau au gré de précipitations excédentaires. Leurs niveaux restent toutefois déficitaires. L'hydraulicité de la Zorn et de la Moder, c'est-à-dire le rapport de son débit mensuel ou annuel comparé à sa moyenne interannuelle, connaît un déficit de 30%. Pour la Bruche ou le Giessen, il s'élève même à 40%. 

Depuis quelques années, les crues habituelles au printemps sont de plus en plus précoces. "Plus ces événements arrivent tôt, plus la sécheresse estivale est propice, sous condition qu'il n'y ait que très peu de pluie", affirme Carmen de Jong. 

Un risque sanitaire et écologique 

Ainsi, pendant l'été 2022, 55 km de cours d'eau se sont retrouvés dans un stade critique. Et l'impact sur la biodiversité a été dramatique. De nombreux poissons sont morts. "Il y a toute une chaîne alimentaire qui dépend de ces rivières. De plus, lorsqu'un poisson remarque qu'un cours d'eau est à sec, il s'installe ailleurs et ne revient plus, même lorsque la situation revient à la normale", explique la professeure. 

La diminution des ressources en eau peut aussi créer des risques sanitaires. "Lorsque le volume d'eau est moindre, les différents polluants qui s'infiltrent dans la nappe sont plus concentrés, car ils n'ont pas assez de volume d'eau pour se dissoudre. Cela représente donc un risque pour l'eau potable", observe Carmen de Jong. En Bavière (Allemagne), la situation s'est déjà produite. Les autorités avaient alors procédé au mélange de l'eau de source avec celle contenue dans la nappe pour diluer les concentrations de polluants et retrouver des niveaux acceptables. 

On l'a compris, les nappes phréatiques, fragiles et essentielles, sont sujettes à de nombreuses variations provoquées notamment par le dérèglement climatique. S'agissant de l'été 2023, la situation reste incertaine, la météo des semaines à venir pouvant encore changer la donne.

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