Arnaque au faux président : 300 000 euros dérobés à une entreprise de Haute-Marne

Les Forges de Courcelles, installées à Nogent en Haute-Marne, ont été victimes d'une arnaque au faux président. 300 000 euros ont été subtilisés. Huit hommes ont été interpellés, ils sont soupçonnés d'avoir également ciblé un promoteur immobilier parisien et obtenu le versement de 38 millions d'euros.

C'est la plus grande "arnaque au président" enregistrée en France. Huit hommes ont été interpellés en région parisienne et en Israël. Ils sont soupçonnés d'avoir blanchi plus de 38 millions d'euros, a-t-on appris ce vendredi 17 février 2023. 

"L'arnaque au président" est une escroquerie dont le mode opératoire consiste à usurper l'identité du dirigeant d'une entreprise pour convaincre un salarié de réaliser un faux ordre de virement.

En 2021, la CDER, une entreprise comptable installée à Châlons-en-Champagne dans la Marne, avait été victime de ce type d'arnaque et avait perdu 14,7 millions d'euros. Cette fois-ci, c'est une entreprise de métallurgie qui a été visée. Selon nos informations, il s'agit des Forges de Courcelles. 300 000 euros ont ainsi disparu. Un promoteur immobilier parisien a été également victime des mêmes escrocs, et a validé une quarantaine de virements pour un total de 38 millions d'euros.

Six suspects ont été interpellés en France, en juin 2022 et janvier dernier. Ils ont été laissés libres sans poursuites à ce stade, selon le parquet de Paris. Deux autres arrestations ont eu lieu en Israël. Aucune demande d'extradition n'a été formulée à ce stade, d'après une source proche du dossier. 

Le colonel Jean-Paul Douvier, commandant de la section de recherches de la gendarmerie de Reims, a répondu à nos questions ce vendredi 17 février sur cette affaire hors-norme.

Comment cette entreprise a-t-elle été piégée ?

Colonel Jean-Paul Douvier : "Tout débute en décembre 2021. Une société haut-marnaise est contactée par le soi-disant directeur de la société. Il contacte le comptable et le convainc de faire un virement à hauteur de 300 000 euros sur une opération qui devait rester tout à fait confidentielle. Ce comptable est mis en confiance par le fait qu'un cabinet d'avocats connu rentre également dans la boucle."

Une fois le virement fait, comment l'argent a-t-il été blanchi ?

"Très rapidement, l'argent part sur un compte hongrois. On se rend compte qu'une société a été créée avec des faux documents d'identité, des faux documents de domiciliation.

La création de cette société permet d'ouvrir des comptes bancaires. L'argent est dispatché sur plusieurs comptes bancaires dans une dizaine de pays européens, avant de partir hors de l'Europe."

Comment l'enquête a-t-elle été menée ? 

"La plainte est déposée de manière classique auprès de la brigade de gendarmerie le jour-même où l'escroquerie est découverte. La section de recherche de Reims, qui a vocation à travailler sur toute la Champagne-Ardenne, est alertée. 

Très rapidement, on lance des investigations à la fois sur la téléphonie, mais aussi sur les adresses IP puisqu'il y a eu des contacts également par messagerie. C'est ainsi qu'un lien est fait avec une autre escroquerie d'une ampleur beaucoup plus importante, à hauteur de 38 millions d'euros, au préjudice d'une société basée sur Paris.

Un travail en commun se met en place sous l'autorité de la Junalco, la juridiction nationale spécialisée dans la criminalité organisée auprès du tribunal judiciaire de Paris. Nous travaillons en cosaisine avec la brigade des fraudes aux moyens de paiement de la direction régionale de police judiciaire de Paris. Sous l'autorité de la Junalco, nous avons la direction d'enquête."

Comment êtes-vous remonté aux escrocs ?

"Le lien est fait entre l'escroquerie commise en Haute-Marne et celle faite auprès de cette société parisienne par un numéro de téléphone commun qui appelait ces deux sociétés. C'est comme ça que les investigations menées conduisent à Israël.

Dès le mois de décembre, une opération en coopération avec Israël est menée pour interpeller un escroc domicilié dans ce pays. Il sera en définitive interpellé courant janvier, avec des perquisitions qui vont apporter des éléments de preuve et qui vont être déterminants pour la suite des investigations."

Quels sont ces liens ?

"Ce sont des éléments de preuve qui sont recueillis à la fois à partir des éléments de téléphonie, à partir de mails, mais également à partir de documents qui seront découverts lors des perquisitions menées en Israël. On met au jour tout un système d'escroquerie, mais aussi derrière un système de blanchiment avec une dizaine de pays concernés. Notamment l'Espagne, le Portugal, la Croatie, la Hongrie.

C'est ainsi qu'une coopération internationale se met en place sous l'égide d'Europol, avec tous ces pays européens."

L'enquête est-elle terminée ?

"Les investigations se poursuivent. À ce jour, huit personnes ont été interpellées : deux, sur le territoire israélien, six sur le territoire français, avec une coopération notamment avec l'Espagne et le Portugal qui a été extrêmement fructueuse.

Les investigations ont pour but de saisir un maximum d'argent détourné. Aujourd'hui, nous sommes à 2,2 millions d'euros saisis sur différents comptes. On espère pouvoir récupérer encore un certain nombre de sommes détournées."


Fausses identités et sociétés fictives

À Paris, c'est le promoteur immobilier Sefri-Cime qui a été touché. Le comptable de la société a tout d'abord reçu un appel. Au bout du fil, un homme qui se fait passer pour un avocat d'un grand cabinet.

L'escroc prétexte "une opération confidentielle de rachat de sociétés", le tout avec l'accord du président de l'entreprise, explique à l'AFP le commissaire Vincent Kozierow, chef de la Brigade des fraudes aux moyens de paiement (BFMP) de la police judiciaire parisienne. Pour crédibiliser davantage le scénario, le comptable reçoit dans la foulée un courriel usurpant l'identité du PDG qui lui confirme que l'opération est réalisée à sa demande. 

Au total, plus de 40 virements vont être effectués en quelques semaines pour un montant total de 38 millions d'euros, un record en France. La direction finit par déceler l'escroquerie et dépose plainte au commissariat du XIVe arrondissement de Paris, siège du groupe.

Les investigations sur les flux bancaires font voyager les enquêteurs dans une bonne partie de l'Europe, sur différents comptes bancaires ouverts sous de fausses identités et au nom de sociétés fictives.

Nous sommes face à des individus beaux parleurs, expérimentés et très bien renseignés.

Colonel Jean-Paul Douvier

Pour démasquer ces "mules bancaires" cachées derrière des noms d'emprunt, les enquêteurs ont eu recours à un logiciel de reconnaissance faciale pour les identifier dans un fichier de police - le TAJ, traitement d'antécédents judiciaires -, les escrocs ayant souvent laissé leurs vraies photos sur les faux papiers.

"C'est un dossier significatif par le préjudice très fort et son importante dimension internationale", souligne le chef de la BFMP, ajoutant que l'enquête n'est pas terminée. Le précédent record en France remontait à 2013 avec le groupe Vallourec, délesté de 23 millions d'euros.

Les arnaques aux faux ordres de virements (FOVI), ou arnaques au président, sont apparues vers 2010 et se sont multipliées avec le développement d'internet. "Nous sommes face à des individus beaux parleurs, expérimentés et très bien renseignés sur les activités des entreprises ciblées", souligne le colonel Douvier.

Pour se prémunir, les entreprises doivent systématiser le "double contrôle" avant la validation des virements et sensibiliser leurs salariés à "se méfier des numéros masqués, vérifier les en-têtes de mail et toujours demander un contre-appel", ajoute-t-il.

(avec AFP)

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