A Fresnes-sur-Apance, en Haute-Marne, un village de 146 habitants, un leg important réalisé par un couple aujourd'hui décédé, contribue à diviser la population. L'ancien maire et la nouvelle élue s'opposent sur le sujet. Une enquête judiciaire est en cours.
Dans le village de Fresnes-sur-Apance, en Haute-Marne, où résident à peine 150 habitants (146 selon l'Insee) aux confins des Vosges et de la Haute-Saône, deux camps s'affrontent. Et la moindre étincelle provoque un incendie. Les thermes de Bourbonne-les-Bains sont à dix minutes en voitures. La vue est dégagée. Et les résidences secondaires font partie du paysage. On y vit bien. Mais l'ambiance est pesante.
Depuis quelques temps, comble du paradoxe, un leg destiné à la commune est venu diviser les habitants. Il fait suite au décès d'une villageoise de 94 ans, survenu le 8 janvier 2022. Son mari Gilbert Clerc, natif du village, avait fait fortune dans le commerce. Sans descendance, il avait rédigé un testament transmis à un notaire de Bourbonne-les-Bains. Dans lequel il fait don à la commune du patrimoine de sa famille.
Des appartements, des maisons, un commerce, des assurances-vie, même des parkings en Haute-Marne et en Côte d'Or...Le tout pour une somme qui fait débat, mais qui s'élèverait à 6 millions d'euros, selon l'estimation de l'ancien maire Jean-Marie Thiebaut, cité par nos confrères du Journal de la Haute-Marne.
Le montant du leg a de quoi faire jaser. Les conditions du légataire sont définies : fleurir la tombe des époux Clerc, entretenir le patrimoine local, et construire une maison de retraite de 24 lits au sein de la commune. La mort de Madame Clerc en janvier 2022 avait ouvert la voie à la transmission du leg. Mais en ce début du mois de juillet 2022, sept mois après le décès, il ne s'est toujours rien passé.
L'heure est aux règlements de compte sans fin, entre l'ancien maire, Jean-Marie Thiébaut, et la nouvelle, Nathalie Blanc, fonctionnaire du conseil départemental de Haute-Marne. Contactés tous les deux, chacun livre sa version, entre rage et désespoir. Il faut rappeler que même l'élection municipale de mars 2020 a donné lieu à une querelle.
"Le 17 Septembre 2020, le Tribunal administratif a annulé cette élection municipale ainsi que celle des deux adjoints, pour faute de procédure, rappelle Bourbonne infos. Le conseil municipal a donc dû se réunir à nouveau le 31 Octobre pour élire un Maire et ses adjoints". C'est finalement Nathalie Blanc qui a été élue en cette fin octobre 2020. Un changement de taille dans ce village.
Face-à-face
Cette dernière parle vite, elle est bien décidée à changer de braquets dans tous les dossiers municipaux. Sur l'histoire du leg, elle confirme que la commune a hérité d'une somme rondelette. "J’ai vu les conditions et j’ai l’estimation des biens. Avec assurance vie et patrimoine. Récemment , j’ai reçu un testament qui explique les conditions et charges. Mais le testament n’était pas complet, nous déclare l'élue, donc je n’ai pas pu le soumettre au conseil municipal. J’ai demandé l’intégralité du document. On me répond qu’il n’y a rien de plus. L’affaire n’est toujours pas résolue. J’ai porté plainte en diffamation. J’ai pris un avocat personnel, la gendarmerie de Langres est saisie de l’affaire. C’est compliqué, mais je veux sortir la commune de ce bourbier. Je suis en train de faire la clarté. Je veux qu’on y vive sereinement. Il faut aller de l’avant".
Pas facile, car le camp d'en face a ses arguments. L'ancien maire, Jean-Marie Thiébaut, élu pendant quatre mandats, visé par ailleurs pour une plainte concernant des déchets dans une carrière se sent visé. Il ne décolère pas. "La mairesse (sic) ne veut pas suivre la règlementation. On lui demande de nous présenter ça au conseil municipal, et elle veut d’abord choisir un notaire. Mais elle est hors la loi. Elle est prévenue. Ce leg date de février 2022. Moi je suis dégoûté car j’avais été tuteur de Madame Clerc et de son mari. Je me suis occupé d’eux. J’ai mis en place des appartements meublés pour les louer pour la commune. Et aujourd’hui l’architecte m’a appelé car des factures ne sont pas payées. On a vendu des maisons. Le notaire de Bourbonne-les-Bains n’a pas de solutions. Et au conseil municipal, on est cinq contre cinq. Au départ on était 7 contre trois".
Quand ça ne sent pas bon, tout le monde se sauve
Nicolas Lacroixprésident du conseil départemental de Haute-Marne
Les bâtiments légués sont laissés à l’abandon, soupire l'ancien maire. "Une maison à Langres, un magasin à Nancy, loué. J’ai porté plainte car il n’y a pas six millions, mais il y a des assurances vie qui ne font pas partie du leg, au nom de la commune. Une histoire de dingue".
En haute-Marne, les autorités sont bien embarrassées quand on leur demande un avis. "Quand ça sent pas bon, tout le monde se sauve", confirme le président du Conseil départemental de Haute-Marne, Nicolas Lacroix. "La prefecture doit faire le contrôle de légalité". Mais la préfecture, elle, botte en touche. "Il n'appartient pas à l'Etat de s'exprimer sur des affaires pour lesquelles il y a des enquêtes judiciaires", nous répond elle par sms. Voilà qui n'augure pas d'une issue rapide.
"Est-ce qu’on est tous irréprochable ?"
Quant aux habitants, ils comptent les points et se rangent dans les deux camps. Le restaurateur, Romain Toffin a acheté une auberge à la maire du village. Il ne mâche pas ses mots pour parler d'elle. "Je dis ce que je pense. La gendarmerie est au courant de tout ça. Je reste poli. Mais elle est contre le développement du village quand ça ne passe pas par elle. Sur l’histoire du leg, il y a à boire et à manger. Qu’est ce qu’on aurait fait, est ce qu’on est tous irréprochable ? Je ne parle pas de ce que je ne connais pas. Je pars du principe que ça ne me concerne pas". Un autre habitant incrimine la maire. Sur une histoire de tilleuls promis à l'abattage et qui fait polémique, une fois de plus.
"Le leg c’est un serpent de mer, affirme d'entrée Jacques Bralé, un résident. Une journaliste locale (du JHM) a enquêté, elle a évoqué une somme de 6,3 millions d’euros. Ce n’est plus à l’ordre du jour. La veuve est morte le 8 janvier dernier. Depuis, impossible d’obtenir l’intégrale du testament. La plupart des habitants sont écoeurés. Au départ personne n’y croyait. Maintenant ils se disent ce n’est pas possible. Il fallait construire une maison de retraite de 24 logements. Il y a eu suffisamment d’indice pour dire qu’il y avait une magouille. Car subitement, le conseil a laissé tombé le projet de création d'une maison de retraite. Une plainte a été portée au procureur de la République. J’ai été auditionné par un gendarme en juin 2021".
Ainsi va la vie du village de Fresnes-sur-Apance. L'affaire est encore loin de trouver un épilogue. Le nouveau député (RN) de la circonscription, Christophe Benz, sera bientôt lui aussi mis au parfum. Pour l'instant, pas de nouvelle date du conseil municipal, mais à coup sûr, il promet une fois de plus d'être explosif. Quant au leg, il dort, en attendant d'être réalisé un jour. Ou pas.