"L’homme qui voulait savoir" : un documentaire sur les collabos présumés dans les Vosges

Une famille de « collabos », d’après la rumeur. En août 1945, une mère, sa fille et son petit-fils sont retrouvés morts dans une ferme vosgienne. Un mosellan a mené l’enquête. Un documentaire illustre ses recherches. À voir ce lundi 27 janvier à 23h30.

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Plus de 70 ans après les faits, un homme épris de justice, Gérard Villemin, veut rompre le silence et affronter les tabous de l’une des pages les plus sombres de la Résistance française.

Qui étaient les vrais collabos, les faux résistants ? Et surtout qui a tué de sang-froid trois membres d'une famille vosgienne, dont deux femmes et un enfant de trois ans, à la sortie de la Guerre 39-45 ? Ce pan méconnu de l'histoire fait l'objet d'un documentaire diffusé ce lundi 27 janvier sur France 3 Grand Est, réalisé par Robin Hunzinger

"Ce qui m’a le plus choqué, c’est qu’on ne connaissait pas cette histoire, explique Gérard Villemin avec détermination. Son père a été déporté, il est devenu expert sur ces événements. Les gens ont été écrasés par une chape de plomb. On ne cause pas dans cette vallée. Même les élèves de l’école de Moussey ne connaissent pas cette histoire".

L’objectif était de mettre en lumière la période. C’est pas un hommage. On vit de connaissance, d’exemples, on a besoin de connaître l’Histoire pour avancer.


C’est incroyable, personne ne connaissait ça. Robin Hunzinger, le réalisateur a été époustouflé. Plus de 90 % des hommes de ce secteur des Vosges ont été déportés pendant cette période. Depuis, une chape de plomb a été mise sur ces événements. 

A la fin de l’avant première du documentaire, un silence absolu s’est fait dans la salle à Senones. Un message qui signifiait : enfin on nous dit la vérité"
.

Le film de 52 minutes débute dans la salle à manger d'un homme de la vallée, qui a connu cette époque de l'après guerre. Il revient sur la mort de cette famille vosgienne abattue au sortir de la guerre. 

« C’était des collaborateurs. Ils jouaient aux cartes avec les Allemands », affirme cet habitant de la vallée du Rabodeau dans les Vosges, à propos de la famille décimée.

Gérard Villemin lui pose la question simplement :
- qui vous a dit qu’ils jouaient aux cartes avec eux ?  
Pfff, alors là, j’en sais rien », répond le brave homme. 
Ce que je sais, c’est que lors de la reconstitution, c’est ce qui a été dit.

Voilà comment se transmet l’histoire de la famille Sublon. Comment elle s’est muée en légende au fil du temps.

 

"Le déclic pour produire ce film, c'est surtout la méconnaissance totale de ce sujet, raconte l'un des producteurs, François Ladsous. L'histoire se passe dans un endroit où je suis arrivé récemment. Et en terme de cinéma ce secteur des Vosges évoque quelque chose. J'ai été interpellé par le combat de Gérard". 

Ce triple assassinat a eu lieu dans la nuit du 27 au 28 août 1945 à Saint Stail dans les Vosges. Marie Chaudre 54 ans, veuve Sublon, Marie-Madeleine Sublon, 22 ans et Jean-François Sublon, 3 ans, ont été tués dans leur ferme isolée.
 

L’enquête de Gérard Villemin, aujourd'hui installé près de Metz, à Marly, remonte à la source. Liliane Jérôme, elle aussi, a tenté de rencontrer les personnes qui ont connu cette famille. Beaucoup sont morts. Alors cette fille de déporté s’est donnée pour mission de retrouver les fusillés déportés du ce secteur pour les mettre à l’honneur au Centre européen du résistant déporté.

"Cette enquête historique est un cri du coeur qui rappelle à sa façon ce qu’a été le cadre de la vie des gens de Moussey et de la vallée du Rabodeau, écrit Gérard Villemin sur son blog. Ces gens mis sur la frontière du Reich pendant ces 5 années de guerre. Ils étaient nos parents et grands parents. Pour mesurer et comprendre leur "tous les jours". Ce qu’ils ont dû faire pour refuser, ce qu’ils ont su faire pour fabriquer de l’espoir, ce qu’ils ont risqué et payé en faisant ce qu’ils ont fait. Mieux comprendre aussi cette étrange marque que nous, leurs enfants, portons".  

La presse en a peu parlé à l’époque. Comme si ce drame de la vallée du Rabodeau n’avait presque pas existé. Or il concerne 1000 déportés, et de nombreux fusillés.

On était tous des orphelins de déportés. Les femmes ont dû se débrouiller toute seule. Des vrais héroïnes, qui se sont efforcées de rester debout, ajoute Liliane Jérôme.

 


Cette rafle d’une grande envergure est survenue le 24 septembre 1945.  Sur les 453 déportés, 317 ne sont pas rentrés. Puis en octobre, nouvelle rafle de 392 hommes dans le secteur du Donon.

Le bilan est catastrophique, c'est devenu la vallée aux mille déportés, la vallée des larmes. 500 familles ont été brisées, des veuves et des orphelins


La Libération a ainsi engendré son lot de "profiteurs". En réécrivant l’histoire. "Alors qu’Oradour est mis à l’honneur, l’histoire de la vallée est oubliée", continue Gérard Villemin.


Ce documentaire laisse place au décor. Pas de voix narrative, ce qui laisse encore plus de force aux images. 

Le 5 octobre 1944, 345 habitants de Senones ont été arrachés à leurs familles, parqués sur ordre de la Gestapo. Accusés de résistance, certains ont subi de cruelles tortures. Admirables par leur courage, ils furent tous déportés le 6 octobre. Dans les camps d’extermination allemands. 245 n’en sont pas revenus.
 


"En arrivant à Auschwitz, chacun était tatoué. On attendait de passer à la casserole, précise un des déportés interrogés dans le documentaire. Pendant le retour, chacun posait des questions. On se disait : qu’est ce qu’on va dire ? On n’a rien dit du tout".

Pourquoi certains ont ils tués ces soit-disant "collabos"  ? Le "chef de la résistance" locale Fernand Caritey est au centre de l’enquête de Gérard Villemin. "Il s’en est pris à des faibles, c'était un vrai faux résistant, un profiteur mis en cause, pour de nombreuses affaires de droit commun. Les survivants de la déportation ont demandé des comptes. Il a voulu finir le travail avec la chasse aux collabos. En fait il n’y avait pas grand chose à  reprocher à cette famille Sublon".

C'était des gens qui parlaient alsacien ou allemand. On les traitait facilement de boches. Le portrait du salaud, c’est celui qui est différent. Ils n’auront personne pour les défendre.


Ce triple meurtre  pose aussi la question du rapport à la population féminine dans cette vallée pendant la période d'après-guerre. "Elles ont été les boucs émissaires lors de la Libération pour ceux qui se sont mis à les tondre. Alors qu’elles ne menaçaient pas la sécurité publique. En 1945 les femmes n'ont pas voix au chapitre dans la société. Le droit de vote est juste acquis. Sans parler du caractère taiseux des habitants de la vallée du Rabodeau".

Pas à pas, le documentaire de Robin Hunzinger nous emmène dans les bas-fonds de l'Histoire. Celle dont on parle peu dans les livres. Un témoignage pour que l'on oublie pas ce passé gênant, teinté de honte et de sang. 
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