En Champagne-Ardenne comme ailleurs, le marché agricole souffre de la guerre russo-ukrainienne, avec notamment une flambée du court des huiles végétales. La culture du tournesol dans notre région pourrait-elle être une réponse à cet emballement ? La filière des oléagineux, elle, y croit. Explications.
A mesure que passent les étés, ses pétales jaune vif colorent un peu plus les plaines de Champagne-Ardenne. Le tournesol fait peu à peu sa place au soleil dans la région, et c'est d'autant plus vrai dans un contexte international troublé par la guerre russo-ukrainienne.
Via un communiqué commun, plusieurs instituts et fédérations de la filière des oléagineux entendent donner un coup de fouet à la culture du tournesol, au nom de la souveraineté alimentaire, comme le relaie sur les réseaux sociaux le président Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux (FOP).
Mais quel rapport entre la culture de la fleur de soleil en Champagne-Ardenne et un conflit à plus de 2000 kilomètres de là ?
Un marché agricole déstabilisé
Selon Mathieu Dulot, ingénieur de développement à Terres Inovia à Châlons-en-Champagne, la guerre russo-ukrainienne a bouleversé le marché agricole : "On a assisté à une montée du court des huiles à cause de ces tensions ainsi qu'à une augmentation du prix des engrais".
Les chiffres lui donnent raison : selon l'ONG Transport & Environment, la Russie et l'Ukraine fournissent 60% de l'huile de tournesol dans le monde, utilisée surtout en cosmétique et en cuisine. Avec le conflit, l'Ukraine exporte difficilement et la production elle-même est frappée de plein fouet, comme le déclarait lui-même le président ukrainien, dans un discours en visioconférence devant le forum de Doha, la semaine dernière.
Les troupes russes minent des champs en Ukraine, font exploser des machines agricoles, détruisant les réserves de carburant nécessaires aux semis.
Volodymyr Zelensky, président ukrainien
Et c'est tout le marché qui s'emballe, puisque la tonne de tournesol est passée de 630 euros la veille de l'invasion russe à plus de 1000 euros actuellement.
Parce qu'il faut bien se fournir quelque part, pourquoi ne pas faire le choix du local et favoriser la culture française ? C'est en tout cas le point de vue des instituts et fédérations de la filière des oléagineux, avec leur communiqué commun.
Le tournesol, plutôt que le colza ?
Une expression, un peu barbare, résume cette pensée : la "souveraineté protéique", évoquée par le président de la République Emmanuel Macron en septembre 2019, pour dénoncer la dépendance de la France vis-à-vis des importations de protéines végétales.
En clair : pour être souverains, soyons producteurs et produisons au plus simple. Or, le tournesol est une culture moins contraignante que son cousin le colza, et ces deux cultures pourraient même être complémentaires.
C'est une culture plus économe en temps de travail, moins gourmande en engrais, plus tolérante aux maladies, plus robuste face aux contraintes hydriques et qui demande moins d'intrants.
Mathieu Dulot, ingénieur de développement chez Terres Inovia
De nombreux avantages, dont un, qui retient particulièrement l'attention de la filière : l'économie en engrais. Là aussi, le marché s'emballe, avec une flambée des prix de 79% entre novembre 2020 et 2021. Une culture moins gourmande en engrais serait donc forcément plus avantageuse selon les professionnels de la filière.
"Il ne s'agit pas pour autant de remplacer totalement la culture du colza, tempère Mathieu Dulot, il faut proposer une offre multiple, d'autant que le colza est semé à l'automne et que le tournesol est semé au printemps."
Une complémentarité, certes, mais la culture du tournesol reste encore à la traîne, même si la surface de ses cultures a presque triplé entre 2019 et 2021 selon Terres Inovia.
Dans le Grand Est, elle représente toujours à peine 7% des surfaces et de la production d'oléagineux selon la Direction régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF). Le colza, lui, en représente 90% et continue de faire de l'ombre à la fleur de soleil.