Grand format. Pour les mineurs étrangers isolés, la double peine

Ces dernières années, les mineurs isolés arrivent plus nombreux en Europe. Les départements les prennent en charge, mais pour être protégés, leur minorité doit être reconnue. Bien souvent, leur âge est remis en question. Et une fois la majorité atteinte, il faut tout recommencer. Enquête.

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"Bienvenue dans l'émission de RCF Couleurs du monde. Bonjour, moi c'est Kevin, je viens de Côte d'Ivoire." De la couleur dans la voix et des histoires du bout du monde à raconter. Ces voix sur les ondes sont celles de jeunes exilés non accompagnés, qui s'expriment au micro de RCF dans la Marne. Des mineurs, pour beaucoup, qui doivent être protégés.

Marie-Pierre Barrière est bénévole à Réseau éducation sans frontière (RESF). C'est elle qui tend le micro à Kevin et aux autres. "J'ai l'intuition que c'est important de les rendre auteurs, de leur donner l'occasion de dire qui ils sont, explique-t-elle. Il ne faut pas donner l'impression qu'ils ont forcément besoin d'aide, que ce sont des assistés. Ils ont eux aussi des choses à transmettre. C'est dans ce partage là qu'on peut aussi intégrer."
 

Des mineurs épaulés par le milieu associatif

Kevin se livre au micro de la Châlonnaise. "Moi aussi j'aimerais commencer l'école, fréquenter les amis à l'école.
- Tu te sens seul ?, lui demande-t-elle.
- Oui je me sens seul."

Une solitude que Marie-Pierre Barrière et Ibtissam Bouchaara tentent de rompre. Cette dernière, syndicaliste et bénévole à RESF, est devenue par la force des choses une spécialiste des droits des personnes exilées, notamment auprès des très jeunes comme Mohamad. Cet Afghan a traversé l'Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie et l'Italie avant d'arriver en France en 2017. Un voyage de près d'un an, des milliers de kilomètres à pied. Il n'a que 15 ans.

La bénévole est ce fil très fragile qui permet au jeune exilé d'être debout. "Ne maitrisant ni la langue ni les rouages de la justice, ni tous les dispositifs… il a du mal à comprendre sa situation et à mettre des mots dessus", explique Ibtissam Bouchaara.

Elle lui lance, bienveillante : "J'ai vu que tu restes sur internet jusqu'à 4h du matin." Car pour le jeune homme, les terreurs nocturnes, quotidiennes, deviennent des angoisses. Et pour cause, l'âge de Mohammad est remis en question en permanence. A son arrivée en France, l'aide sociale à l'enfance de Paris atteste de sa minorité à travers un rapport d'évaluation, puis le confie à ses collègues de la Marne.

Mohamad est alors placé dans un foyer de l'enfance à Châlons-en-Champagne. Un mois après, il est mis à la porte.

"Je suis mineur, mais la juge me dit que je ne le suis pas. Pourtant je suis mineur, je ne comprends pas pourquoi elle m'a dit ça."
-Mohammad, jeune Afghan arrivé en France en 2017


Commence alors un long combat. L'aide sociale à l'enfance de la Marne réévalue le jeune homme. Ce deuxième rapport confirme sa minorité. Pourtant, le procureur de la République demande un test osseux. Après cet examen, Mohamad devient un majeur de 19 ans. Le juge des enfants est saisi. Mohamad est, à nouveau, débouté. Deux ans après son arrivée, le jeune Afghan et Ibtissam ne baissent pas les bras. "On est partis dans un cabinet de radiologie indépendant, appuie la bénévole marnaise. On a fait pratiquer ce test qui déclarait bien que Mohammad a 17 ans, ce qui était en concordance avec l'âge donné." Une décision qui permettrait à Mohamad d'être réhabilité dans son identité. A 17 ans, le jeune Afghan mérite une autre vie.


Une situation "particulière" selon le conseil départemental

Du côté du département, en charge de l'aide sociale à l'enfance, on parle de sens des responsabilités. On évoque les 200 mineurs étrangers pris en charge en occultant les situations dites "particulières", comme celle de Mohamad. Christian Bruyen, président LR du conseil départemental de la Marne, répond en bloc : "Je ne peux pas répondre sur un cas particulier. Ce que je sais c'est qu'il y a des lois qui s'appliquent dans notre pays. Dans la Marne, c'est reconnu, on fait un travail remarquable, parce que les mineurs sont tous pris en charge et jamais pour être placés dans un hôtel alors qu'il a fallu trouver 200 places, alors que nous n'avons pas l'aide de l'Etat. Alors que tout cela relève de politiques migratoires de l'Etat, qui ne sont absolument pas du ressort de ma responsabilité."

Dans une étude, la Cimade évoque notamment ces départements qui refusent "de considérer un jeune, mineur, au prétexte" qu'il vient d'une région trop laxiste. L'association, aux côtés des opprimés depuis plus de 80 ans, témoigne dans ce rapport au titre sans détour : "Des enfants mal protégés car étrangers."

Le défenseur des droits, Jacques Toubon, s'offusque aussi régulièrement de ce qu'il considère être des violations du droit des enfants. Les tests osseux en font partie. Pourtant le 21 mars dernier, les sages du Conseil constitutionnel ont jugé cette pratique conforme à la protection de l'enfance.

Retrouvez le premier épisode de ce grand format : 

Une fois majeurs, une nouvelle peine pour ces jeunes isolés

Quand Maxime, un jeune Guinéen, raconte son arrivée à Reims, il ne peut s'empêcher de mentionner Marie-Pierre et Ibtissam, qui ont marqué sa vie pour toujours, avec un trémolo dans la voix. "J'étais dans la gare de Reims, j'avais même pas un centime. J'ai appelé et je lui ai dit que j'étais à la gare sans rien à manger. Finalement c'est Ibtissam qui est venue me chercher." Ibtissam, elle, relativise son influence, pourtant essentielle.

"Mon rôle, c'est de mettre du lien. Ne pas laisser le jeune seul. Mettre le lien entre le jeune et le lycée. Je m'assure aussi qu'il y ait bien une scolarité, parce que ce qui les sauve, c'est bien qu'il y ait eu une scolarité parce que c'est incontournable pour être régularisé, d'avoir engagé une formation professionnelle."
- Ibtissam Bouchaara, bénévole chez RESF


Reconnu mineur, Maxime est, pendant deux ans, sous la protection de l'aide sociale à l'enfance de la Marne. Cinq jours après ses 18 ans, il est prié de quitter son foyer. Pourtant, le conseil départemental affirme travailler avec l'Etat sur un point essentiel : l'arrivée de ces mineurs à la majorité. Cette étape-là serait bien facilitée par les services de chaque institution.

"On n'abandonne jamais un mineur à ses 18 ans en lui disant 'la porte est fermée allez voir ailleurs', affirme le président du conseil départemental. Il y a du lien avec le service qui doit prendre le relais."

Seulement, il n'y a pas de relais pour Maxime, mais plutôt des obstacles permanents. Pour avoir droit au titre de séjour, il doit fournir un acte de naissance certifié par les autorités de Guinée. Un document bien précis exigé par l'Etat. Le préfet de la Marne, Denis Conus, détaille : "Nous demandons des papiers venant de l'Etat dont est originaire la personne ou par l'autorité du pays ou les autorités françaises."
 

"J'espère qu'il n'y a pas d'autres cas comme ça"

Le préfet le dit bien : c'est soit l'un, soit l'autre. A Maxime, les services préfectoraux de la Marne exigent les deux. L'ambassade de France en Guinée ne fait pas cette certification. Première impasse. Autre problème : trois actes de naissances ont déjà été fournis par les autorités guinéennes. Ils ont été jugés faux par la Police de l'air et des frontières française.

"Je pensais en venant au foyer que j'allais m'en sortir, raconte Maxime, les larmes aux yeux. On me disait : 'Tout le monde est capable de s'en sortir en France. Sauf si tu croises les bras et que tu ne veux rien faire.'" Il a rapidement déchanté. "J'ai vu le contraire dans la Marne", affirme-t-il dans un sanglot.

"A cause de deux bouts de papier, nos vies… on nous laisse dehors. On est des enfants de la rue… et on nous dit à l'école 'Liberté, égalité, fraternité'"
- Maxime, jeune Guinéen

"C'est dramatique", concède Denis Conus, sur un ton d'impuissance. Et le représentant de l'Etat d'ajouter : "J'espère qu'il n'y a pas trop de cas comme ça. Il faut qu'on nous les signale. Je ne dis pas qu'on va trouver une solution, mais si la personne est de bonne foi, il n'y a pas de raison a priori. Il faut qu'on puisse l'aider effectivement."

Retrouvez l'épisode 2 du grand format sur les mineurs isolés:

Sans papiers, pas d'avenir. Maxime a dû stopper son contrat d'apprentissage alors que son patron lui proposait de le garder. Il voudrait être chaudronnier-soudeur. Dans une petite chambre prêtée par Reims Exil Solidarité, le jeune Guinéen ne cesse de ressasser sa situation, "espère beaucoup de choses", se prend à rêver de devenir "entrepreneur". Il l'assure :

"J'ai perdu, il faut que je gagne."
- Maxime, jeune Guinéen

La souffrance d'avoir quitté son pays, les tortures infligées en Libye, la mort de son frère sur le bateau les emmenant en Italie l'ont détruit. La France ne lui permet pas, pour l'instant, de se reconstruire.

Combien d'autres jeunes vivent ces situations inextricables ? Les adolescents sont tenus à bout de bras par des bénévoles solidaires. C'est le cas notamment à la Cantine du 111, un restaurant associatif de Châlons, où ils se retrouvent une fois par semaine et partagent quelques notes d'espoir grâce à des familles d'accueil et des restaurateurs au grand cœur. "L'envie est d'encourager une forme de solidarité directe, souligne Julie Dupin, fondatrice et directrice de l'association. On a le droit et on peut aller au restaurant comme tout le monde."

Des centaines de bénévoles mènent, avec ces mineurs isolés, le combat de l'intégration. Le pari est de taille. Pour que leurs histoires du bout du monde puissent, un jour, conter aussi leur vie en France.
 
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