Marne : l'hôpital psychiatrique de Châlons pointé du doigt pour manquement aux droits des patients

En juillet 2020, l'établissement public de santé mentale (EPSM) de la Marne était pointé du doigt par la Haute autorité de santé, considérant que l'établissement ne garantit pas pleinement le respect des libertés des patients. En cause : certaines pratiques d'isolement et l'accueil des mineurs.

Le numéro 1 du chemin du Bouy est calme, ce mercredi 26 août. Seuls le roulis d'une voiture de fonction et une voiturette de collecte des déchets rompent le silence des 23 hectares que compte l'hôpital Pierre Briquet. Les nuages défilent au-dessus de l'établissement public de santé mentale (EPSM) de la Marne à Châlons-en-Champagne, ce qu'on appelait autrefois "asile de fous", au gré du vent frais pour une fin de mois d'août. C'est le psychiatre Bernard Rousselot qui nous accueille posément, bien décidé à ouvrir les portes d'une institution trop longtemps restée fermée au monde extérieur. Une institution critiquée par la très reconnue HAS, Haute autorité de santé mais aussi par le très controversé CCDH. 

La presse a été prévenue le dimanche 23 août. Le Comité Citoyen de défense des Droits, CCDH, bien connu des services de l'hôpital pour ses liens avec l'Eglise de scientologie et ses actions antipsychiatries, dénonçait dans un communiqué de presse des séjours en isolement très longs pour certains patients. En 2017, l'association relève qu'un patient a passé 346 jours en isolement sur une année, profitant d'une réforme de l'année précédente, qui oblige les EPSM à rendre publiques ces pratiques. D'autres ont subi des séjours avoisinant les 200 et 100 jours. En tout, une trentaine de patients ont été placés en isolement cette année-là. Le comité s'offusque également de l'absence de réponse de l'hôpital Pierre Briquet pour les années suivantes.

 

 

L'isolement ne doit pas dépasser 12 heures

Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'isolement, tout comme la contention (le premier consiste à couper du monde extérieur le patient, le second à l'attacher par des sangles, s'il est jugé violent pour lui-même et pour autrui), correspondent à des décisions prises par des médecins et qu'elles sont loin d'être anodines. La loi les définit comme des soins d'ultime recours et leur durée ne doit pas excéder 12h et 6h, préconisent certaines institutions. Elles font partie de ce qu'on nomme les "soins sans consentement" et ne doivent être prescrits qu'en cas d'ultime recours. Ils sont suivis par un juge des libertés, un procureur et le renouvellement de la procédure doit être validé par un médecin. Une fois isolé, le patient est contrôlé toutes les heures par un infirmier et toutes les douze heures par son psychiatre. "C’est bien qu’on ait des contrôles, reconnaît Bernard Rousselot, chef de pôle à l'EPSM châlonnais, même si on n’est pas forcément d’accord avec les conclusions. Le fait qu’on puisse priver de libertés est une mesure très lourde et sans pareil."
 

Le juge n’intervient qu’au douzième jour. C’est encore tardif, c’est probable qu’on ait des contrôles plus fréquents à l'avenir. Mais c’est ce qui permet de faire avancer la réflexion autour de l’isolement.

Docteur Bernard Rousselot, chef de pôle en psychiatrie.


Autant le dire tout de suite, le dialogue entre les EPSM et le CCDH est rompu depuis longtemps. "Nous contestons la représentativité de la CCDH comme association d'usagers, introduit le directeur de l'hôpital, Xavier Dousseau. Pour les établissements psychiatriques français, nous considérons la CCDH comme une émanation de l'église de scientologie, un organisme sectaire qui met systématiquement en cause les psychiatries sans jamais faire de propositions constructives d'ailleurs, d'amélioration. Il est dans l'attaque systématique." Mais les durées d'isolement de certains patients attirent quand même l'attention, ce à quoi le directeur répond que sortis de leur contexte, les chiffres ne disent rien de la réalité de la pratique. "Il y a chaque année 18.000 patients suivis et 3.000 qui sont hospitalisés", souligne-t-il. Côté médecin, les deux spécialistes marnais abondent dans le sens du directeur et se défendent de pratiquer tout isolement abusif. "La pratique d'isolement est courante en psychiatrie, j'y ai moi-même recours régulièrement, constate Chantal Liling, chef de service. Bien sûr, il faut savoir que ce n'est pas par plaisir qu'on a recours à ces décisions d'isolement, c'est en lien avec l'état clinique de la personne." Et d'ajouter : "Le principe est de l'apaiser et de le contenir, éviter qu'il devienne agressif, qu'il fugue et qu'il se mette d'abord en danger et qu'il mette les autres en danger."
 

Manque d'alternatives selon les psychiatres chalonnais

Même son de cloche du côté du professeur Rousselot. Présentant les chambres d'isolement, des pièces d'environ 10 mètres carrés avec un matelas, un sommier et un sas pour accéder à la salle d'eau, il explique : "Vous ne pouvez pas dissocier la privation de liberté qu'est l'isolement de la dimension de fraternité. Quand on isole un patient, c'est qu'on lui tend la main, qu'on s'occupe de lui et on prend soin de lui de manière à l'apaiser au plus vite. Ce n'est pas une mesure de punition ou d'isolement au sens d'éloignement, c'est une mesure humaniste, fraternelle, vis-à-vis des patients. Certains d'entre eux qui souffrent de troubles du comportement sentent qu'ils perdent pied, ils essaient de se débattre, et de se raccrocher aux branches. Et l'isolement c'est une mesure pour éviter qu'ils ne sombrent dans la folie et qu'ils ne souffrent encore davantage." Le professeur souligne qu'à chaque fois, l'isolement n'est pas forcément permanent. Certains malades sont parfois isolés uniquement la nuit et peuvent sortir dans la journée et retrouver d'autres patients, pour aller déjeuner par exemple ou se promener durant une heure ou deux pour ensuite revenir dans le secteur d'isolement. "Il est très encadré, très médicalisé, insiste-t-il. Ces patients ont des soins psychiatriques beaucoup plus intenses."
 

Les deux psychiatres déplorent le manque d'alternatives pour éviter ce dernier recours. "Quelque part, pour la personne, cela a quelque chose d'apaisant car on diminue les stimulations, assure Chantal Liling. Les stimuli sont moindres, le contact est limité à un contact avec le personnel soignant qui est là pour rassurer, discuter, apaiser. Dans certaines pathologies, tous les changements et les sollicitations sont angoissantes. Dans les états psychotiques, c'est hyper angoissant de voir plein de gens et d'être sollicité trop fréquemment."
 

Quand un patient est placé en isolement, cela ne veut pas dire qu'il est mis de côté, qu'on l'oublie. Au contraire. Il va être l'objet d'un protocole de surveillance qui est très strict, très important, qui impose un examen par un infirmier psychiatrique au moins une fois par heure, jour et nuit, et deux fois par vingt-quatre heures par un psychiatre. Le patient est donc évalué au moins deux fois par jour.

Docteur Bernard Rousselot, chef de service en psychiatrie.

 

L'EPSM de la Marne accusé de ne pas respecter le droit des patients par la HAS

Le CCDH n'est pas le seul organisme à dénoncer les pratiques d'isolement et de contention. D'autres instances, sans lien avec la scientologie cette fois, contrôlent la pratique utilisée de manière abusive dans beaucoup d'établissements français. C'est le cas de la Haute autorité de santé (HAS). Après deux visites en 2019, l'institution a affublé l'EPSM marnais de la lettre D (les évaluations allant de A à E, D pouvant renvoyer à des "réserves sur les thématiques investiguées en visite, ou d'un avis défavorable à l'exploitation des locaux rendu par la commission qui en est chargée dans chaque département"). Une mauvaise note que l'autorité attribue à un mauvais respect des droits des patients. En cause : le placement des mineurs de manière systématique en cellule d'isolement lors de leur admission à l'hôpital, le port du pyjama systématique, jugé comme dégradant pour l'intégrité des patients et le placement en isolement dans des chambres inadaptées.

D'ailleurs, après le passage de la HAS, des sommiers ont été ajoutés en chambres d'isolement, où seuls des matelas étaient posés à-même le sol. Bernard Rousselot le reconnaît, ce n'est d'ailleurs pas une mauvaise chose. Lors de sa visite dans les couloirs de l'unité 4, une question le fait changer de ton. Pourquoi l'isolement est-il systématique pour les mineurs lors de leur admission ? "C'est inadmissible", s'offusque le praticien. Son débit s'accélère légèrement : "Nous le faisons car nous n'avons pas le choix, nous devons les protéger d'eux-mêmes et des autres patients adultes. Nous accueillons depuis deux ans une jeune fille qui en a maintenant 14. Nous l'avons placée récemment dans une salle d'isolement où il y avait des sièges et une télé, elle a tout détruit. On nous dit qu'elle est violente, mais c'est nous qui créons sa violence !" Cette situation n'est pas propre au site chalonnais. Depuis quarante ans, les centres psychiatriques ont progressivement fermé leurs lits. "La psychiatrie publique et les hôpitaux ont décidé de fermer ces unités, en estimant qu'on pouvait soigner les mineurs essentiellement en extra hospitalier, par le biais de soins ambulatoires soit en hôpital de jour, où les mineurs viennent uniquement en journée, soit en centres d'accueil thérapeutique en temps partiel, pour des séances de deux ou trois heures", raconte Xavier Dousseau.

"Sur les dix dernières années, on a vu une recrudescence d'adolescents, avec des contextes très difficiles, parfois de toxicomanies ou d'histoires de vies extrêmement cassées et qui pouvaient être violentes ou en crises fortes ; l'ambulatoire ne suffit pas", admet le directeur. Seulement, certains psychiatres sont réticents à l'idée de créer des lits d'hospitalisation. Ils craignent qu'une fois ces lits créés, on ne puisse plus les vider. "Que ce soit tellement facile pour les structures sociales ou médicosociales de se dire qu'il existe une unité de psychiatrie, qu'un adolescent qui commence à ne plus aller très bien, soit envoyé en psychiatrie. Puis une fois que la psychiatrie voudra qu'il soit repris par sa structure d'accueil, elle rencontrera beaucoup de difficultés, poursuit le Marnais. C'est-à-dire qu'on risque de chroniciser des adolescents et pour le coup, que ces adolescents soient un peu marqués au fer rougeune fois qu'on leur a collé l'étiquette "psychiatrie" sur le front."

Malgré ces craintes, des lits "de crise" pour adolescents seront prochainement créés, assure le directeur. Dès 2021, trois et deux lits d'urgence seront créés à Reims et Châlons, ainsi que trois lits post-urgence, pour des hospitalisations plus longues. L'EPSM prévoit également de créer des lits dits "séquentiels", qui permettraient de prodiguer des soins sur la durée, en alternant hospitalisations et séjours dans le foyer ou au domicile de l'adolescent malade. Concernant les autres critiques formulées, Xavier Dousseau explique que des mesures ont été prises. D'ailleurs, lors de notre visite, seuls deux patients étaient vêtus de pyjama.

Une deuxième institution contrôle attentivement les soins sans consentement : le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Le "CGLPL" pour les professionnels du secteur, l'institution publique représentée jusqu'à la mi-juillet 2020 par Adeline Hazan, maire de Reims entre 2008 et 2014. Le CGLPL a organisé une visite des locaux en juin 2019. Son rapport sera rendu à l'automne prochain. Avec ces contrôles récurrents de la part des deux autorités, le monde de la psychiatrie est en train de bouger. D'abord avec la loi de 2016, obligeant les centres hospitaliers à plus de transparence. En juin 2020, saisi de la question, le Conseil constitutionnel a considéré que le dispositif prévu par cette loi était contraire à la constitution. Toutefois, afin de ne pas rendre illégal tout placement à l'isolement ou sous contention pour des raisons psychiatriques, la décision accorde au législateur un délai jusqu'au 31 décembre 2020. Il devra adopter une nouvelle loi conforme à la Constitution pour encadrer ces pratiques.
 
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