Jocelyne et Jean-Pierre Husson, historiens, avaient noué des liens forts avec la résistante Yvette Lundy, décédée le 3 novembre. Elle sera inhumée ce 8 novembre dans la Marne. Sa disparition suscite émotion et inquiétude face à ce devoir qu’ils avaient en commun, celui de la vérité historique.
Lorsque Jocelyne et Jean-Pierre Husson, historiens, nous accueillent, l’atmosphère est empreinte d’émotion. Moins d'une semaine après le décès de la résistante, ils souhaitent évoquer la mémoire d’Yvette Lundy, leur amie. Celle qu’ils ont accompagnée dans sa volonté absolue de témoigner mais aussi plus intimement lors de son 100e anniversaire en 2016, notamment.
En public comme en privé « elle ne s’inventait pas de personnage, explique Jocelyne Husson. Elle était chaleureuse, très bienveillante. En plus de son courage, de sa franchise qui vraiment la caractérisent énormément… elle ne donnait pas de leçon. Mais à travers ce qu’elle disait, il y avait un message qui passait automatiquement ». Les mots sont pesés et ponctués de silences émus.
Leur rencontre passe par le Concours National de la Résistance et de la Déportation. « C’est un concours qui a été créé en 1961, Yvette était un des piliers, explique Jean-Pierre Husson. Elle pensait que c’était sûrement le meilleur vecteur pour transmettre la mémoire de la résistance et de la déportation auprès des jeunes ».
En résistance et déportée
Ce concours met aussi fin à 15 ans de mutisme. Yvette Lundy est arrêtée le 19 juin 1944 à Gionges et déportée d’abord à Sarrebruck Neue Bremm puis à Ravensbrück. Le matricule 47360 devient le 15208 lorsqu’elle est affectée dans un kommando de Buchenwald."Le retour de déportation a été difficile. Elle était en très mauvais état" , explique Jocelyne Husson.
« Yvette a été extrêmement marquée par le décès de son frère Georges qui n’est pas rentré de déportation, reprend Jean-Pierre. Elle c’était, dans un premier temps, enfermée dans le silence, dont elle est sortie progressivement. Et sans doute que le concours de la résistance a contribué à ce qu’elle parle, qu’elle témoigne et dès lors, elle n’a jamais cessé de le faire ».
Yvette Lundy est issue d’une famille d’agriculteur de Beine. Un village presque totalement détruit pendant la 1ere guerre mondiale. « La famille est profondément marquée par la 1ere guerre mondiale, reprend Jocelyne Husson. Leur premier réflexe a été de ne pas accepter une nouvelle occupation. Pour Yvette Lundy, résister a été quelque chose d’évident. Ils ont tous été résistants. 7 frères et sœurs résistants, chacun à leur façon, parfois travaillant ensemble, en particulier quand il s’agissait de venir en aide à des prisonniers évadés du camp de Bazancourt ».
Institutrice et secrétaire de mairie à Gionges, Yvette Lundy était très active. Elle fournissait des papiers d’identité et des cartes d’alimentation à des prisonniers évadés du camp de Bazancourt. Elle n’hésitait pas à héberger et cacher des résistants.
Mais la répression frappe la famille. Berthe, la sœur d’Yvette est la première à être arrêtée, puis c’est au tour d’Yvette, Georges et Lucien. Ils seront tous déportés.
« Quand elle parlait de la déportation, elle avait une expression que je trouvais incroyable, raconte Jocelyne Husson. Elle parlait de l’effroyable, c'est-à-dire de ce qu’elle avait vécu, la faim, les tortures, la déshumanisation, la barbarie. Mais aussi du merveilleux. Elle était capable de parler du merveilleux. Alors le merveilleux pour elle c’était le courage, la solidarité entre déportés, c’était la lutte, c’était l’espoir de revenir. »
Une femme debout qui témoigne
« Même si je suis quelques fois fatiguée. Même si quelques fois c’est lourd. Tant pis, tant pis, il faut y aller. Il ne faut pas mentir, il ne faut pas tricher. Quand on est témoin de quelques choses, on doit dire haut et fort : j’ai vu, je l’ai vécu. Sinon, on ne dit rien. Que rien de tout cela n’ait été vain ». Jean-Pierre Husson lit avec force les mots d’Yvette Lundy. « Voilà ce que discours après discours, elle répétait de façon inlassable ».Des mots qu’elle utilisait en cérémonie mais aussi devant les collégiens et lycéens qu’elle rencontrait très fréquemment. C’était sa nouvelle vie. Témoigner sans relâche. « C’était une femme debout, explique encore Jocelyne Husson. Elle témoignait toujours debout avec franchise. Elle avait gardé de son métier d’institutrice le sens du contact avec les jeunes. Et elle les captivait tout de suite. Il y avait un silence dans la classe impressionnant. Tous les visages étaient tendus vers elle. Je me souviens l’avoir invitée lors d’un concours de la résistance où le thème était « les femmes dans la résistance ».
Il y avait alors dans ma classe une élève dépressive qui m’inquiétait beaucoup. A la fin de l’intervention d’Yvette, elle est allée la voir et elles ont beaucoup discuté. "L’attitude de cette adolescente a radicalement changé ensuite. Elle ne se cachait plus derrière ses cheveux, elle avait retrouvé le goût de vivre. Quand je l’ai interrogé sur ce qui c’était passé, elle m’a répondu cela : « J’ai compris avec ce que nous a raconté Mme Lundy qu’il fallait avoir du courage dans la vie. Ce fut un moment extraordinaire », se souvient Jocelyne.
Les passeurs d’histoire
"Je suis persuadée que ceux qui l’ont entendue, certains d’entre eux vont être justement des passeurs de mémoire", ajoute Jocelyne.« Yvette était bien consciente qu’il fallait dépasser ce que l’on appelle aujourd’hui le devoir de mémoire qui est invoqué à chaque commémoration de façon un peu incantatoire. Qu’il fallait aller plus loin. Et donc intégrer aussi ce que nous historiens appelons le devoir d’histoire et de vérité. Elle était très soucieuse de la vérité historique ».
Jocelyne et Jean-Pierre étaient devenus des proches. Ils allaient très souvent lui rendre visite à Epernay dans son appartement puis dans la résidence qu’elle avait intégrée à la fin de sa vie. Ils ont passé ensemble une année 2016 extraordinaire en partageant ses 100 ans. Son anniversaire bien sûr mais aussi tous les hommages et cérémonies qui lui ont été rendus.
« Ce que je retiens, le plus beau, en tout cas le plus émouvant s’est déroulé à Gionges dans son ancienne salle de classe, aujourd’hui devenue une pièce de la mairie, mais où la municipalité a gardé son bureau. Ces anciens élèves l’attendaient là. C’était une belle rencontre. »
Jocelyne et Jean-Pierre Husson, historiens, continueront inlassablement ce travail. Le devoir de vérité historique est un objectif absolu. Et ils auront toujours dans un coin de leur mémoire ce visage au regard doux, chaleureux et heureux. Celui de leur amie Yvette Lundy.