Depuis quelques jours, dans les couloirs de l’Assemblée Nationale, les députés s’amusent beaucoup d’un album de bandes dessinées, car ils sont au cœur du livre signé Kokopello. Son titre : Palais Bourbon. Charles de Courson y est suivi dans son travail de parlementaire.
Le palmarès du festival de la bande dessinée d’Angoulême a été proclamé, il y a quelques heures. Mais, en ce début d’année, une sortie est particulièrement remarquée. C’est celle de "Palais Bourbon", en librairie depuis le 22 janvier 2021. Son auteur est francilien. Il a une petite trentaine et le goût du dessin et du cinéma. Après des études de cinéma qu’il a suivies à l’université Paris VIII, il a été éditeur dans une société française de restauration de films anciens, Lobster Films, mais aujourd’hui, la page est tournée. Il se consacre entièrement à la bande dessinée. "Palais Bourbon" est son tout premier album.
L‘éditeur Dargaud a été séduit par la démarche de l’auteur, à savoir, faire comprendre le travail à l’Assemblée Nationale. Rendre accessible cet univers qu’on croit connaître, mêler pédagogie et humour, c’est la recette de cet album, qui colle à l’actualité. Kokopello n’a pas découvert ce milieu au moment de préparer l’album. "En 2016", dit-il, "j’avais été frappé par les nombreuses"fake news" lors de l’élection de Donald Trump. J’ai alors eu envie de découvrir la politique, de l’intérieur, pour ne pas me faire avoir. En 2017, lors de la campagne des présidentielles, j’ai d’abord infiltré l’équipe de campagne d’Arnaud Montebourg, puis les autres. C’est à ce moment-là que j’ai pris un pseudo, un nom qui venait de mes lectures d’enfant, des aventures de Donald. Mes dessins postés sur mon compte personnel, ont été repris par le Huffington Post". Le virus du récit en dessins n’a depuis pas quitté Kokopello (de son vrai nom Antoine Angé), cette fois, ce sont les coulisses du Palais Bourbon qu’il a infiltrées.
"J'ai eu envie de découvrir la politique de l'intérieur".
Charles de Courson, un vrai personnage de BD
"Charles de Courson, certains le surnomment le député moine. Il voue sa vie à l'institution".
S’intéresser aux élections législatives, c’était un peu une suite logique. "Quand j’ai appris que plus d’un Français sur deux n’irait pas voter, j’ai eu envie de raconter à quoi sert un député", explique Kokopello. "Pour savoir, si un député, c’est juste un vieux monsieur en costume, j’ai donc infiltré le Palais Bourbon. J’allais trois ou quatre fois par semaine, assister aux séances de nuit, et je postais des caricatures sur Instagram. Début 2018, le député de la Charente m’a même invité à Angoulême. Le personnel de l’Assemblée m’avait remarqué. Pour pouvoir continuer et pouvoir circuler partout, j’ai demandé un badge à la Présidence de l’Assemblée. Cela m’a pris des mois, mais j’ai été aidé par des élus, comme Clémentine Autain, députée de ma ville d’origine".
Kokopello n’a pas seulement chroniqué le quotidien du Palais Bourbon. Il a également suivi certains élus, comme Jean Lassalle, sur le terrain, dans leur circonscription. Si dans l’hémicycle, il a remarqué Cédric Villani ou encore François Ruffin, il s’est tout de suite rapproché du député de la Marne, Charles de Courson. "Le travail, en commissions, est capitale", raconte-t-il. "Il est celui qui peut tout expliquer sur leur rôle. Certains le surnomment le député moine. Il voue sa vie à l’institution. Il a un côté vieux prof, mais c’est un référent, à l’Assemblée. Elu depuis plus de 25 ans, il connaît tout le monde. C’est une figure de l’Assemblée Nationale. Pas besoin de forcer le trait, c’est un vrai personnage de BD, flegmatique. Il m’a livré tout ce qu’il savait, même les surnoms donnés à ses collègues".
Député, mais aussi tintinophile averti
Charles de Courson a bien accueilli la démarche de Kokopello. "Sur le fond, c’est une idée sympa", dit-il. "Expliquer comment ça fonctionne, c’est bien, et le ton est plutôt humoristique, notamment avec le clin d’oeil au homard, ou à l’occasion des changes sur la loi organique. Il ne faut pas trop se prendre au sérieux. C’est plutôt sympathique d’être croqué. Le dessinateur a passé des jours et des jours à caricaturer les personnalités. En découvrant l’album, les collègues ont beaucoup ri. En séance de nuit, j’avais montré à Kokopello les grands fauteuils où certains, parfois font un petit somme, avec des photos des collègues…Il y a quelques jours, j’ai revu l’auteur, dans la salle des quatre colonnes. Quand il m’a aperçu, il a sorti un album de son sac à dos ", raconte, touché par cette attention, le député de la cinquième circonscription de la Marne.
Un élu, qui, enfant, lisait Michel Vaillant, Lucky Luke, Jo et Zette, mais aussi Tintin. "J’ai toujours beaucoup lu", explique le député marnais, "et, à l’époque, pour moi, Tintin, c’était un héros, toujours du côté des justes. Je découvrais ses aventures, au premier degré. Bien plus tard, j’y ai vu la critique du capitalisme et du gangstérisme, dans Tintin en Amérique, l’affaire hongroise, dans le Sceptre d’Ottokar, la dénonciation de l’occupation japonaise dans le Lotus Bleu, ou encore l’exaltation de la colonisation avec Tintin au Congo. Dans chaque album, il y avait une histoire à découvrir au deuxième ou au troisième degré". Mais, ne dites pas à Charles de Courson, qu’aujourd’hui, il est un héros de BD, il s’en défend. En tout cas, il pense que cet album peut être utile auprès des jeunes.
Sur le fond, c'est une idée sympa... le ton est plutôt humoristique.
Plus facile de travailler avec un carnet à croquis et un crayon
Pour réaliser son enquête, dans les coulisses du Palais Bourbon, Kokopello n’avait que son carnet à croquis, un crayon et son téléphone portable, pour prendre des photos et enregistrer les longues conversations. "Pour montrer l’envers du décor", dit-il, "c’était préférable. On ouvre ainsi plus de portes qu’avec une caméra. C’est difficile, quand on n’a pas fait d’études de sciences politiques, de s’immerger dans ce monde à part de la politique, de se faire oublier. Mon enquête dessinée, mon "road movie", en quelque sorte, montre l’envers du décor. Au fil du temps, les députés, dont plusieurs sont attachants, se sont lâchés. Aujourd’hui, je me rends compte, notamment pendant les séances de dédicaces, que les gens adorent la politique. Ceux qui ne le connaissaient pas m’interrogent sur Charles de Courson. Je ne sais pas encore si je réaliserai un album sur le Sénat. Ce qui est sûr, c’est que les élections présidentielles se rapprochent… " Kokopello ne devrait donc pas rater cette occasion de croquer les femmes et les hommes politiques. Depuis la parution de "Quai d’Orsay" de Christophe Blain et Abel Lanzac, mais aussi de "Campagne présidentielle" et du "Château" de Mathieu Sapin, l’univers de la politique a le vent en poupe, dans la bande dessinée. Dans le monde de l’édition, la BD séduit de plus en plus de lecteurs, notamment des 20/35 ans. En 2020, les ventes ont progressé de 9%, avec plus de 53 millions d’exemplaires vendus.