Arrestation du financier du génocide rwandais : un soulagement et une surprise pour le Rémois Alain Gauthier

Alain et Dafroza Gauthier, cofondateurs du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, basés à Reims, attendaient depuis plus de 25 ans l’arrestation de Félicien Kabuga, le financier du génocide rwandais. A 84 ans, il a été arrêté à Asnières-sur-Seine le 16 mars dernier. 

"Samedi matin (le 16 mars) en rentrant des courses, mon épouse m’accueille, elle faisait une drôle de tête, explique Alain Gauthier, président du CPCR, le collectif des parties civiles pour le Rwanda, suite au génocide. Elle m’annonce que Kabuga a été arrêté. J’en ai presque lâché mes courses". Un soulagement, une fabuleuse nouvelle attendue depuis près de 26 ans par Dafroza et Alain Gauthier, installés aujourd'hui à Reims.

Félicien Kabuga est un des bras armés du génocide contre les Tutsi perpétré entre le 7 avril et le 4 juillet 1994. Au moins 800.000 Tutsi et Hutu modérés y ont été massacrés. Il devait comparaître ce mercredi 20 mai 2020 devant un juge d’instruction à Paris. Le parquet général lui a notifié son mandat d’arrêt le 19 mai, selon nos confrères du Monde.  


Alain et Dafroza Gauthier évoquaient de temps en temps le personnage. Mais ils s’étaient presque fait une raison. Depuis tout ce temps, personne n’avait jamais mis la main sur celui que l’on surnommait le "financier du génocide rwandais". "On l’appelait ainsi, précise encore le président du collectif, parce qu'il a donné beaucoup d’argent pour la création de la RTLM, la radio télévision aux mille collines, cette télévision qui appelait à la haine à partir de 1993".

Il a financé les miliciens, il a acheté des armes. Il a fait apporter des tonnes de machettes avant le génocide. Avec l’argent qu’il avait il a pu organiser tous ces méfaits. 
- Alain Gauthier, président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda 

Une organisation très précise pour un massacre très organisé.
 

Une cavale au long cours

"C’était un homme excessivement riche, explique Alain Gauthier, protégé par des chefs d’état en particulier le président du Kenya. Je pense qu’avec l’argent on peut tout faire. On peut soudoyer qui on veut. C’était un être extrêmement puissant. Il a usé de nombreux passeports et voyageait en toute impunité un peu partout dans le monde. Il en avait obtenu sept ou huit différents, ce qui lui permettait de se déplacer incognito".

Mais c’était sans compter sur "la longue et minutieuse enquête menée par les enquêteurs spécialisés de l’OCLCH (l’Office Central de Lutte contre les crimes contre l’Humanité)", précise le communiqué du ministère de la Justice français en date du samedi 16 mai 2020. Un travail réalisé en collaboration avec le Parquet près de la cour d’appel de Paris et le bureau du procureur du Mécanisme international de La Haye, sans compter la police Belge et celle de Londres.

 

"C’était quelqu’un qui était recherché par les polices du monde entier, reprend Alain Gauthier. C’était le criminel fugitif le plus important de ces dernières années et quand on apprend qu’il est arrêté, c’est à la fois une immense satisfaction et une grande surprise. Et la surprise vient surtout, pour nous, du fait qu’il soit arrêté à nos portes. Ce que personne ne soupçonnait". 

Pourtant, Félicien Kabuga a beaucoup de famille en France et notamment des enfants et des petits-enfants. D’ailleurs son arrestation à Asnières-sur-Seine par les gendarmes de l'OCLCH a pu se faire grâce "aux écoutes téléphoniques mises en place chez ses enfants, explique Alain Gauthier. Grâce à elles, ils ont pu tomber sur le père".
 

Extradé à La Haye

Une arrestation qui pourrait peut-être faire avancer d’autres dossiers. C’est ce qu’espèrent en tout cas Dafroza et Alain Gauthier.
"C’était un très proche de la famille Habyarimana, le président qui a été assassiné le 6 avril 94, précise Alain Gauthier. Il avait marié deux de ses fils à deux des filles du président de la République. Donc il a des liens très étroits avec cette famille. Depuis 2007, nous poursuivons en justice madame Habyarimana qui est en France à Courcouronnes. Et nous attendons toujours des nouvelles de cette plainte déposée… cela fait 13 ans".

 


Dans ce dossier, le CPCR ne devrait pas se constituer partie civile. "Ce n’est pas sûr que nous jouions un rôle quelconque car Félicien Kabuga devrait être remis, comme le précise le communiqué du Ministère de la Justice, au Mécanisme de suivi pour les tribunaux pénaux internationaux à La Haye".

Ce mécanisme a été créé au moment de la fermeture du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). "Le TPIR avait lancé des enquêtes sur six génocidaires qui n’ont toujours pas été arrêtés, raconte Alain Gauthier. Parmi ces six là, il y a Kabuga, dont il se réservait le traitement. Il est fort probable que les juges en France décident de le renvoyer auprès du Mécanisme de Suivi et alors c’est à La Haye que cela se passera. Dans ce contexte-là, nous sommes dans un système anglo-saxon et il n’y a pas de place pour les parties civiles".

Avant la fermeture du TPIR,  les juges ont pu recueillir beaucoup de témoignages et constituer des dossiers sérieux et précieux. Des témoignages qui pourront servir pour mettre en accusation Kabuga. "Nous allons suivre attentivement. Cela nous intéresse au plus haut point. Probablement nous nous déplacerons au moment du procès"
 

27 plaintes déposées

Depuis 2001, année de création du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, Dafroza et Alain Gauthier ne lâchent rien.
Le Collectif s’est porté partie civile dans des dossiers existants, a porté plainte 27 fois et a encore une bonne vingtaine de dossiers en attente. Une justice qui peine a rendre ses verdicts… 26 ans après le génocide Tutsi. Leur motivation : les victimes. Leur objectif : permettre à ces victimes d’être reconnues comme telles.
 

Quand on voit dans quelle misère ils vivent et qu’à la fin d’un procès il ressort une sorte de regain de vitalité parce qu’enfin on leur a rendu justice. 
- Alain Gauthier, président du Collectif des Parties Civile pour le Rwanda 


"Voilà, c’est uniquement pour cela, pour ces familles que l’on continuera à se battre tant qu’on en aura la force", dit-il encore,  avec émotion. Et puis évidemment Alain et Dafroza sont tellement concernés par ce génocide. La famille de Dafroza a été massacrée et aucun de ces tueurs n’a encore été arrêté. Il reste tant à faire pour que justice soit faite.
 
 

"Plus jamais ça"

"Peut-être qu'à l’heure où je vous parle il y a des crimes contre l’humanité qui se produisent dans le monde. Depuis que l’on est confinés plus personne ne parle de la Syrie, de l’Afghanistan, et d’autres contrées dans le monde où se produisent ces crimes. On a répété plus jamais ça après la Shoa, exprime encore Alain Gauthier. Alors il faut vivre avec, en essayant de ne pas se rendre complice de ces gens-là. On mène ce combat parce qu’on a la conviction qu’il n’est pas tolérable que des gens qui ont commis un crime contre l’humanité puissent continuer à vivre en toute impunité".
 
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