Coronavirus : comment le papier toilette est devenu le symbole de nos peurs ? Un psychologue nous répond

Peur de manquer, effet domino, besoin de ne pas perdre le contrôle, plusieurs raisons expliquent cet achat compulsif de papier hygiénique, ces derniers jours. Stephen Dehoul, psychologue à Reims, revient sur nos comportements irrationnels, en situation de crise et en pleine pandémie de Covid-19.

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Les Français sont au bout du rouleau. L'épidémie de Covid-19 a amplifié leurs peurs. Scènes de cohue dans les magasins, des caddies remplis à ras bord de papier toilette. Stephen Dehoul, psychologue clinicien depuis une quinzaine d'années à Reims, décrypte pour nous ces comportements irrationnels.
 

Pourquoi se ruer sur le papier toilette ?

Stephen Dehoul, psychologue: C'est surprenant, en effet. On vit une situation inédite. Le papier toilette a une portée très symbolique. D'abord, il prend de la place, c'est un produit volumineux qui se voit. Quand les rayons sont vides, dans les grands magasins, difficile de ne pas le remarquer.

Ensuite, les médias contribuent d'une certaine manière à cette ambiance pesante. Quand quelqu'un voit à la télévision une personne acheter plusieurs paquets de papier hygiénique, il se dit, moi aussi, il faut que j'achète cela, c'est un effet domino, une réaction en chaîne. Il y a également la notion de contrôle. En se procurant du papier toilette, les gens pensent pouvoir contrôler ce qui est incontrôlable. Ils perdent la raison. C'est instinctif, émotionnel, si j'ai mes rouleaux, tout va bien se passer, ça les rassure. Enfin, le papier toilette représente l'hygiène. 
 


Qu'en est-il de nos autres achats compulsifs ?

S.D : Pour les pâtes, c'est la même chose. On l'explique plus facilement car il s'agit de denrées non périssables. Cela reflète notre peur du manque, là encore trop relayée par les médias. C'est un effet boule de neige. Si quelques uns achètent plus que de raison, ils vont créer une pénurie et moi je n'aurais plus rien, je vais me retrouver comme laissé-pour-compte.

Cette épidémie "d'achat" est liée à la manière dont cette crise est gérée. Désinformation, fake news, les politiques qui sont dans le flou, résultat les gens sont perdus. Cela manque de clarté. On doit faire face à des messages alarmistes qui font peur. "Nous sommes en guerre" a déclaré le chef de l'Etat. Le message est double. D'un côté, nous devons combattre ce virus, et de l'autre, on se retrouve comme en temps de guerre avec des mesures de confinement. Ceci ne peut que générer des mouvements de panique. D'autant que nous n'avons pas de date de fin. Jusqu'à quand allons-nous rester chez nous ? Tout le monde se pose la question à des degrés différents. 
 
 

Pourquoi certains ne respectent pas les mesures de confinement ? 


S.D : Ils vont minimiser la gravité de la situation car les politiciens, eux-mêmes, n'avaient pas mesuré l'ampleur du problème. Il peut s'agir de personnes un peu inconscientes, dans le déni "il ne m'arrivera rien, ça ne me touchera pas". Le gouvernement n'a pas utilisé, au début, le mot : confinement. Si le chef de l'Etat est confus, certains comportements le sont aussi. Il y a aussi ceux qui ne supportent pas l'autorité. "Je suis un rebelle, je fais ce que je veux" en dépit des règles. 

 
 

D'habitude je suis casanier mais là j'ai envie de voir du monde, pourquoi ? 


S.D :  Moi-même, j'aime bien me retrouver seul, en temps normal. Mais, le premier jour de confinement, ça m'a fait bizarre de devoir rester à la maison. La grande différence c'est que l'on subit quelque chose alors que d'habitude on choisit de voir ou non du monde. Ce climat de lourdeur, d'étrangeté, cette inconnue fait qu'on se sent mal. Le contexte est très différent, l'environnement a changé. Certains se surprennent à entendre les oiseaux, l'eau de Venise est redevenue claire...

Il faut se dire qu'on est tous logés à la même enseigne. Cela nous aide à mieux vivre. On doit être dans la résilience, l'acceptation. On doit reprendre les choses en main pour ne pas subir. Il faut utiliser ce temps imposé à bon escient. Le détourner, prendre du plaisir, se retrouver. Et cela, peut faire peur. Certaines personnes fuient à travers le travail, là elles vont se retrouver face à elles-mêmes. Il faut rester dans l'activité. Limiter sa consommation d'information car ça peut devenir anxiogène, limiter les chaînes d'information en continu. Ecouter de la musique, lire, jouer, se préparer un petit programme pour éviter de sombrer. 
 

Les personnes seules vont-elles déprimer, les familles s'entre-tuer ? 


S.D : Ce sera moins dur pour les personnes seules, déjà habituées à vivre sans conjoint ou famille. Elles ont leurs rituels, leur routine. Elles doivent garder un lien, rester en contact et peuvent aussi avoir envie de se confier. Je continue de consulter par téléphone. Dernièrement, un de mes patients qui a toujours vécu seul, sentimentalement, amicalement, a décidé de s'investir dans les jeux vidéo pour rencontrer des personnes et avoir une vie sociale, même virtuelle. 

Pour les familles, les couples, il va falloir se supporter, accepter cette promiscuité. Etre ensemble 24h/24, pendant plusieurs semaines. Il est important de s'octroyer des moments à soi, de s'isoler. De ne pas trop solliciter l'autre. Cette prise de distance est parfois mal perçue par le conjoint mais elle est nécessaire. Il n'y a rien de mal. 

 

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En quoi le téléphone, les réseaux sociaux sont nos alliés ? 

S.D : Il faut favoriser au maximum les échanges. Les coups de fil et surtout les appels en visio. C'est primordial de voir ses amis, sa famille. Cela rapproche. Chez les enfants, quand ils sont petits, si on cache un objet de leur champ de vision, ils pensent que cet objet n'existe plus. Les adultes savent qu'il est toujours là mais ils ont aussi besoin de le vérifier. Voilà pourquoi, il est important de continuer de se voir. Cela fait du bien au moral.
 

Ce confinement va nous permettre de réaliser la chance que l'on a. Que notre vie est confortable. Que tout va bien. Face à un évènement traumatique, on va modifier nos habitudes, voir les choses différemment, car on ne sait jamais de quoi demain sera fait
- Stephen Dehoul, psychologue à Reims 



On n'hésite pas à envoyer des messages, des SMS. Habituellement, il arrive que les réseaux sociaux prennent trop de place, voire se substituent à nos vies, ils nous enferment. Là, ils vont nous ouvrir au monde extérieur. On va parfois reprendre contact avec des personnes que l'on avait perdues de vue. Il faut voir le bon côté des choses, le plus possible. 

J'ai eu quatre-cinq patients au téléphone et lors de mes consultations, je réalise que tout le monde est mal, inquiet. Une patiente vivait une situation compliquée. Finalement, ce confinement, elle le prend positivement. Cette mise à l'écart va l'aider à faire le point, prendre de la distance. 

Ce confinement forcé peut être bénéfique. Il va nous permettre de réaliser la chance que l'on a. Que notre vie est confortable. Que tout va bien. Nos comportements vont peut-être évoluer. Face à un évènement traumatique, on va modifier nos habitudes, voir les choses différemment, car on ne sait jamais de quoi demain sera fait. 











 
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