Déconfinement : le monde d'après passera aussi par l'habitat, selon un architecte

L'expérience du confinement change-t-il quelque chose à la perception et à la conception future des espaces par les architectes ? Entretien avec l'un d'eux, Simon Morville, 41 ans, originaire de la Marne.

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Alors que de nombreux habitants des villes cherchent à acheter à la campagne, après l'expérience du confinement, certains s’interrogent sur la difficulté de vivre entre quatre murs. Cela dépend évidemment des murs mais aussi de la composition familiale, sociale et économique. Ce sont ces questions que se posent les architectes, lorsqu’ils élaborent des plans. Cette expérience inédite de confinement va-t-elle changer leurs réflexions sur le logement ? Entretien avec Simon Morville, architecte né à Reims, diplômé de l'école d'architecture de Paris la Villette, qui a crée son atelier à Paris en 2010.


Quel est votre point de vue en tant qu’architecte sur l’expérience inédite de confinement que nous traversons ?

En tant qu’être humain, je vis ce moment de confinement dans mon appartement à Paris, seul. Personnellement, je ne le vis pas mal, je m’entends bien avec moi-même et les moments de solitude ne me pèsent pas. 


Votre activité a-t-elle été réduite ?

Certes, d’un point de vue professionnel, les chantiers sont retardés et de nombreuses incertitudes se profilent. Mais j’ai la chance d’avoir suffisamment de projets sur lesquels avancer à domicile, avec le soutien de mes clients. De nombreux confères sont plus sévèrement affectés, ils ont perdu des marchés liés à l’évènementiel. Comme je travaille principalement sur des projets d’habitation, et d’un équipement de santé, mon activité n’est pas remise en question.


Est-ce un moment privilégié pour penser des projets mis de côté?

Ce moment est en effet une opportunité pour concrétiser un projet personnel qui me fait cogiter depuis des années, en réfléchissant à une nouvelle manière d’habiter qui sous-tend la réflexion d’un "art de vivre ensemble". Je regroupe des proches qui partagent une certaine vision du monde, attentifs à l’écologie et à la nécessité de recréer du lien humain, afin de développer un projet d’habitat partagé et participatif. Je me rends compte que je passe beaucoup de temps à discuter avec mes proches par tous les moyens de communications qui nous sont aujourd’hui offerts, et qui relativisent considérablement l’isolement.


Qu’observez-vous depuis votre logement ?

En tant qu’architecte, c’est d’abord un certain rapport à l’espace qui me fascine. J’ai l’impression que nous vivons dans une uchronie (récit d'événements fictifs à partir d'un point de départ historique ndlr) qu’aucun scénariste de Netflix n’a envisagé. Le confinement est une mise entre parenthèses de notre vie, du moins d’un quotidien auquel nous étions tous habitués. Les mesures prises pour lutter contre l’épidémie nous amputent de notre liberté de mouvement, parfois de manière abusive… mais aussi nécessaire pour ralentir la propagation et protéger les plus vulnérables.

L’épidémie révèle des constats peu flatteurs sur notre manière de concevoir les logements et d’organiser la société
- Simon Morville, architecte


La contagion du virus nous conduit à adopter de nouvelles postures. La suspicion du prochain se fait sentir de manière très sensible à chaque sortie dans la rue. Cela frôle parfois la paranoïa. Et puis, inversement, une grande solidarité se manifeste lorsqu’à 20h, les gens se massent à leur fenêtre pour applaudir et célébrer un moment de communion. 

 

 


Quel est votre analyse de la situation et votre plan ?

Cette situation conforte ma vision critique tant à l’échelle du territoire et de son aménagement qu’à l’échelle de l’habitat. Les deux sont révélateurs d’un rapport consumériste à notre environnement. Les valeurs proposées par le système néo-libéral sont basées sur la croissance, la rentabilité et le profit, alors qu’à mon avis, l’architecture ne doit pas entrer dans ce système mais au contraire être au service de la qualité de l’aménité et de la sensibilité. Je pense que nous sommes arrivés à un point où il faut redonner un sens au territoire rural, et inciter les populations à un retour à la campagne, en proposant un réel projet. Une ville comme Paris atteint une densité de 21.150 habitants au km2, ce qui doit être la sixième ville la plus dense du monde. Elle dispose de trois jours d’autonomie alimentaire, si le ravitaillement en flux tendu est maintenu... Or, pour revenir au problème du covid-19, il n’y a pas plus fort risque de contamination que là où il y a de la densité humaine.

A mon avis l’architecture peut être une piste pour explorer des modes de vie ou des pratiques plus autonomes plus encrées dans un modèle économique de production locale. Aussi, repenser une autonomie locale permet de réduire de manière drastique l’emprunte carbone qui dans le domaine de la construction représente un tiers des émissions mondiales. A l’échelle de l’habitat, l’épidémie révèle encore d’autres constats peu flatteurs dans notre manière de concevoir les logements et d’organiser la société. Cette crise sanitaire expose avant tout les plus vulnérables de notre société. Je pense d’abord aux personnes âgées "confiées" aux Ephad, et qui se retrouvent particulièrement frappées par le virus. Ensuite, je pense aux familles avec enfants, empilées dans des logements collectifs en cités-dortoirs, confinées dans les "grands ensemble" des 30 Glorieuses…Pas si glorieuse (dit-il en riant).

 

 

 

L’architecture en héritage

Ces deux situations sont révélatrices d’une manière de penser la société qui s’appuie sur la vision moderniste. En architecture, cette conception a été portée à son apogée par Le Corbusier, qui se reflète dans ses projets urbains utopiques : "la Ville contemporaine pour trois millions d’habitants", ou "le plan Voisin". La fascination du progrès et de la machine a conduit l’architecte à identifier le corps humain à une machine, et à concevoir la nouvelle architecture sur cette analogie, en faisant table rase du passé. Il a ainsi créé la "machine à habiter", concept qu’il applique aussi bien à l’échelle intérieure d’un logement, qu’à l’échelle de la ville. Cette vision de la société est hyper normative, et basée sur une hiérarchisation extrême, qui favorise "les élites" tout en mettant à l’écart les sujets à risques : "les ouvriers". 

Après la Seconde guerre mondiale, ces idées ont guidé la reconstruction du pays, créant le socle de la plupart des types de ségrégations dont nous pâtissons aujourd’hui. Le lien intergénérationnel a été brisé, le lien de voisinage brisé, le lien familial brisé. Toute la chaîne des liens humains a été cassée pour diviser la population en entités éclatées et, en parallèle, on a divisé la ville en zones : zone d’habitat, zone de commerce, zone industrielle… Les logements ont suivi la même tendance : logements pour personnes âgées, logements pour étudiants, logements sociaux… L’architecture est un moyen qui doit permettre d’organiser la diversité et la mixité. Elle doit reposer sur ces principes essentiels pour générer du lien.


Pensez-vous qu’au lendemain de cette crise, les Français déserteront les appartements sans balcon ou terrasse pour privilégier un logement avec jardin ?

Il me semble évident qu’en cette période de confinement, les personnes qui disposent d’un jardin, aussi petit soit-il, peuvent garder un rapport privilégié à l’extérieur. Il permet de profiter un peu du soleil, d’observer la renaissance de la nature, et des nuances de vert qui explosent. Il ne faut pas oublier que le contact à la nature est un besoin vital pour l’homme. Le jardin est un espace de repli privilégié en ce temps de confinement, car il offre aux enfants un espace de jeu et de défoulement, aux adultes un espace de repos ou de jardinage, et c’est un lieu de partage qui réunit toute la famille, qui par beau temps, mange dehors.

Aujourd’hui, dans la conception contemporaine de logement collectif, l’architecture intègre plus souvent un espace extérieur pour chaque logement comme peut en témoigner l’opération "autrement Rebière" à Paris XVIIe où chaque architecte a décliné une extension sur l’extérieur propre à chaque bâtiment. Ce que nous dit cette crise sanitaire, c’est que, depuis 150 ans, on a trop concentré les gens en ville. Cette concentration a développé une gentrification qui repousse les moins fortunés des centres urbains. Cette concentration a aussi entraîné la réduction des surfaces habitables, pour ceux qui tentent de se maintenir dans les centres-villes. A l’inverse les campagnes ont été désertées. A mon avis il devient nécessaire d’inverser cette tendance et de redonner un sens de vivre à la campagne. Ce que montre ce confinement, c’est qu’il faut repenser le travail à la campagne. Il ne se limite pas à l’agriculture.

 

 


D'où votre réflexion sur un "art de vivre ensemble"?

Aujourd’hui, l’habitat partagé (en ville ou à la campagne) est un modèle émergeant avec du potentiel. Je pense en effet qu’il devient nécessaire de pousser cette expérience qui présente évidemment un véritable intérêt architectural, sur le plan social économique et écologique.


Seraient-ce vos différentes expériences vécues, et projets architecturaux, qui vous ont convaincu ?

Ma première expérience d’habitat partagé remonte à une vingtaine d’années, en allant rencontrer la famille d’un ami à Montpellier. Ses parents ont fait le choix d’habiter avec un autre couple, amis de longue date, avec qui ils avaient séjourné au Sénégal. De retour en France, les deux familles ont fait l’acquisition de deux petites maisons mitoyennes. Ils ont fait sauter les clôtures séparant les deux pavillons, partageant ainsi un grand jardin qui vient encercler les bâtisses. Il n’y a pas d’ouverture directe entre les deux maisons. Il faut passer dehors pour aller chez l’autre, ce qui préserve une certaine intimité. Par contre, les deux terrasses respectives ont été prolongées en une seule afin de connecter les deux cuisines. La grande terrasse est devenue le lieu des repas partagés, des discussions prolongées, des besognes collectives comme des jeux. Il n’y a qu’une seule télévision pour tout le monde, et le moment de voir un film est toujours prétexte à s’inviter.

Ce mode de vie s’est développé en toute spontanéité. Les familles sont animées par le même altruisme qui rend possible ce type de cohabitation. Les deux couples partageaient également la même profession d’ingénieurs-agronomes et travaillaient au sein de la même structure, en contact permanent avec des agriculteurs des quatre coins du monde. A chaque fois que je me rendais chez eux, il y avait toujours des amis de passage. La convivialité au sein de cette famille, simple, modeste, joyeuse, authentique m’a fait prendre conscience que c’était la voie à explorer.

 

 

 

Les projets menés du Japon à destination de Berlin et Amsterdam

Au Japon, j’ai travaillé à l’atelier Bow-Wow, mon professeur d’architecture Yoshiharu Tsukamoto, son épouse, et Momoyo Kajima ont créé leur maison d’habitation sur leur lieu de travail. Ils ont conçu leur atelier d’un point de vue spatial et social. Une privatisation progressive des espaces depuis l’entrée jusqu’au jardin sur le toit. Tout en bas, en sous-sol semi-enterré, l’atelier était consacré à la réalisation des maquettes. Plus haut, en demi-étage, les bureaux puis la cuisine et une salle de repos avec des lits pour faire une sieste. Tout en haut, la partie privée, leur chambre et leur salle de bain. L’idée est de décloisonner afin de permettre une fluidité de l’espace pour une mixité d’usage. Dans ce logement venaient travailler des stagiaires du monde entier.

 

 


J’ai ainsi eu l’occasion de participer à la conception de deux projets d’habitats partagés. Le premier, à Berlin, pour un groupe de quatre médecins et leur famille. Les clients voulaient mutualiser un cabinet médical en rez-de-chaussée et disposer leurs logements au-dessus, tout en conservant une distance les uns des autres. Nous avions proposé au-dessus du socle contenant le cabinet, des appartements et des jardins-serres disposés en "tetris". Cette trame géométrique confère à chaque appartement et à chaque serre une volumétrie unique, les jardins faisant office de tampons climatiques et de lieux de convivialité entre les habitations.

Le second était situé à Amsterdam, pour deux couples qui ont fondé la marque "Droog design", et qui ont désiré fusionner en un même lieu leur espace de travail et d’habitat, tout en concevant deux hébergements temporaires à l’usage de designers/artistes invités en résidence. Le projet, conçu dans une maison typique bordant les canaux de la ville, n’en a gardé que l’enveloppe, vidant l’intérieur pour recréer des pièces en gradin ouvertes sur toute la hauteur en un espace de vie commune et de travail continu, éclairé par un grand puits de lumière. Les suites privées se sont quant à elles empilées de part et d’autre du gradin central, en façade. Cette organisation était réfléchie pour un mode de vie plus nomade, avec des temporalités différentes, et le partage d’un quotidien avec des résidents invités. L’ensemble de ces expériences m’a confirmé en effet la voie à suivre.


Vous concernant, un projet dans ce sens devrait donc voir le jour prochainement ?

Après avoir essayé pendant une dizaine d’années essayé de constituer un groupe en vue de concrétiser un projet d’habitat partagé, c’est la crise sanitaire qui a fait prendre conscience de la nécessité d’aboutir. Au départ, cela paraissait utopique mais ça y est le projet prend forme. Le groupe se compose de personnes de catégories socio-professionnelles et d’âges différents. Chacune apportera son énergie, son savoir-faire et sa sensibilité avec ses propres moyens financiers. Le projet fera cohabiter propriétaire et locataires à condition d’adhérer à des valeurs communes pour avoir un habitat solidaire et vertueux.

 

 

 

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