Pour le dessinateur Plantu, la petite souris de ses dessins, c'est un peu son double. A Reims, le créateur aux multiples facettes, Jean Bigot a, lui, choisi un petit chien rouge pour raconter le premier confinement, et philosopher.
"Il est à la fois joyeux et pessimiste". C'est en ces termes que Jean Bigot présente son personnage enfantin, son petit héros, mélange de rêveries et de philosophie. Jean Bigot est plasticien, vidéaste, à ses heures. Le Rémois a, en fait, plusieurs cordes à son arc. Il intervient dans des collèges, à Sciences Po Reims, pour des "workshops" culturels, réalise aussi des installations, avec des détournements de documents "faux", mais qui semblent vrais. "Tout cela m'amuse", dit-il. "Je parle de ce qui m'intéresse de façon étrange. Et puis, l'art, c'est parler de son époque…"
A 56 ans, le créateur s'enthousiasme autour du travail qu'il accomplit avec des étudiants. "C'est intéressant de réaliser des autoportraits en vidéo, ou de détourner des objets du quotidien, dans l'art contemporain, en 24 heures. C'est ce qui m'intéresse, intervenir auprès de gens qui n'ont pas l'habitude de ça". Une vie d'artiste, somme toute bien remplie, mais que l'arrivée de la pandémie a bouleversé.
Raconter le confinement
Dans les années 80, Jean Bigot, après avoir fréquenté le lycée Jean Jaurès, s'est inscrit aux Beaux-Arts de Reims, dans la Marne, avant d'aller poursuivre ses études, en arts plastiques, à la Sorbonne, à Paris. Il a ensuite travaillé dans toutes sortes de domaines, mais en continuant à créer, la nuit. Car pour lui, impossible de cesser de créer. Et, il y a un an, la Covid 19 l'a donc entraîné sur des chemins jusqu'alors inexplorés.
Jean Bigot, au moment où est survenue la crise sanitaire travaillait dans le grenier d'une maison de retraite. Quand le premier confinement a été décrété, son travail s'est immédiatement arrêté. Il ne pouvait plus rejoindre ce lieu, où il avait installé tout son matériel. "Pourtant, j'étais obligé de produire. Alors avec un carnet, des crayons et un stylo, j'ai commencé à dessiner, un peu en panique. C'était un peu angoissant de ne pas sortir. J'ai imaginé un petit chien rouge, bloqué sur son balcon, et qui discute avec un autre chien, en face".
Ce petit chien m'a aidé. Ca m'a donné une fenêtre pour faire autre chose...car beaucoup de choses ont été annulées. On ne sait pas où on va.
Un dessin par jour
Créer, dessiner, c'est une chose, communiquer en est une autre. Jean Bigot a donc eu recours aux réseaux sociaux pour publier ses créations quotidiennes. Sur Instagram, sur le compte de Bigotjean, les dessins sont apparus. Sur Facebook, également, avec en écho, des réactions d'admirateurs cloîtrés, eux aussi. "Merci de nous ressourcer quotidiennement de tes traits de couleurs et d'esprit", a-t-on pu lire notamment.
Le petit chien rouge n'a au fil du temps, pas seulement dialogué avec son voisin, il s'est invité dans des toiles célèbres de Goya, ou de Francis Bacon. Il a aussi servi d'intermédiaire à l'auteur qui cherchait un atelier. Devenu personnage récurent, il s'est autorisé un petit clin d'œil à l'actualité, en "posant" au côté de Bernie Sanders, lors de l'investiture du nouveau Président des Etats-Unis, Joe Biden. Mais le confinement lui a permis de manier l'ironie, quand l'animal remarquait : "Pauvre Roselyne. Elle a vraiment l'air de se faire beaucoup de soucis".
Une fenêtre pour faire autre chose
L'intérêt suscité par ce travail sur les réseaux sociaux, a conduit un ami de Jean Bigot à lui suggérer de publier un recueil de cette chronique du confinement. Une opération de financement participatif sur KissKissBankBank a permis au projet de se concrétiser. Le livre "Ca fait combien de temps déjà?!" est paru avec 55 dessins datés. "C'est un peu ce qu'on a traversé", raconte l'auteur. "Ce petit chien m'a aidé. Ca m'a donné une fenêtre pour faire autre chose. Ce que j'ai fait est une autre forme de travail, car beaucoup de choses ont été annulées. On ne sait pas où on va".
Est-ce-que c'est la petite annonce de son personnage qui l'a aidé à trouver un nouveau lieu de création ? Jean Bigot travaille désormais, dans un espace des Docks Rémois. Dans le monde de la culture, on ne compte plus les initiatives pour se réinventer, créer d'une nouvelle manière. Continuer, quand c'est possible, malgré la crise sanitaire.