Coronavirus : "nous ne sommes pas en sécurité", le coup de gueule d'un pompier dans la Marne

Frédéric Fougère n'en peut plus. Sa voix tremble. Pompier professionnel depuis 20 ans au centre de secours Reims-Witry et président du syndicat autonome des Sapeurs-Pompiers de la Marne, il pousse un coup de gueule en pleine crise de covid19. 

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Frédéric est pompier dans la Marne. Comme ses collègues, il est en première ligne. Leurs interventions sur les cas de Covid-19 constituent désormais l'essentiel de leur activité, pourtant ils ne sont pas protégés. Le relâchement du confinement lui fait redouter une catastrophe. Frédéric veut alerter sur la situation. Il a peur pour lui et ses collègues. Pourtant, à 49 ans, il n'est pas un novice.
 

En première ligne, les pompiers manquent de masques

"Depuis le début de l'épidémie, nous n'avons pas les masques qu'il faut pour nous protéger," explique Frédéric Fougère. Les interventions se déroulent souvent de la même façon. "Les gens appellent le 18 et sur place nous découvrons que la personne présente des symptômes de Covid-19. Or, nous arrivons avec des masques chirurgicaux qui ne nous protègent pas d'une contamination. L'autre jour, des collègues sont intervenus dans la rue, sans aucune protection. Ils n'ont su qu'après qu'elle était malade du coronavirus."

C'est ce genre de situation qui le met particulièrement en colère. "Depuis le début, on nous dit que les masques ne sont pas indispensables, surtout les FFP2, les plus efficaces. En fait, on nous dit ça tout simplement parce qu'il n'y en a pas. Pas de masques FFP2 ! On nous donne des masques chirurgicaux, bientôt on devra utiliser des kleenex."

Alors Frédéric apprend à gérer les stocks. C'est parfois au détriment de sa propre sécurité même s'il est particulièrement prudent. "Il faut économiser les masques. Les FFP2 ne s'utilisent qu'une fois pour chaque intervention. On ne peut pas garder un masque pour deux interventions de suite car on risque de transmettre le virus. Imaginons que l'on aille chez une personne Covid-19, et ensuite dans un EPHAD. On ne peut pas prendre le risque d'utiliser un masque usagé." C'est une gestion de tous les instants.
  

Les interventions sont surtout liées au Covid-19

Avec le confinement, les interventions sont moins nombreuses. Il y a beaucoup moins d'accidents et du coup, les appels concernent souvent des personnes qui se sentent malades, sans être sûres d'avoir le virus. Ce sont des appels direct au 18, ou parfois des appels que les urgences basculent sur les pompiers. "Les types d'intervention ont changé, explique Frédéric. On fait beaucoup d'ouvertures de portes. Des familles nous alertent parce qu'elles n'ont plus de nouvelles de leurs parents. On intervient, ça ne répond pas, alors on force la porte pour ouvrir et l'on découvre une personne morte. La semaine dernière, il est arrivé qu'on en fasse 7 dans la journée. Ca n'arrive jamais en temps normal."
 

Le tour de garde, c'est la promiscuité. Il est très difficile pour les pompiers en caserne d'éviter le contact.
- Frédéric Fougère, président départemental du Syndicat Autonome des Sapeurs Pompiers Professionnels


"Lors des gardes, on est 20 collègues," ajoute-t-il. "Difficile d'éviter les contacts. On mange sur place, on dort sur place, dans des chambres individuelles ou à plusieurs. Le risque est omniprésent."
 

"On a peur pour nos familles"

Le plus angoissant, c'est la crainte de contaminer ses proches. Les pompiers ont opté pour des gestes qui leur permettent de se protéger, mais c'est très difficiles à vivre au quotidien.

Quand les collègues rentrent chez eux, ils n'osent plus embrasser leur femme et leurs enfants, ni même les approcher.
- Frédéric Fougère, président départemental du Syndicat Autonome des Sapeurs Pompiers Professionnels


"J'ai une collègue qui a une petite fille de 4 ans, elle lui embrasse les pieds. C'est tout." Une situation incongrue. "Moi, je suis mariée, j'ai 3 enfants de 4 à 9 ans. Je me tiens à l'écart depuis 15 jours. Je dors dans le canapé. Je n'embrasse plus mes enfants, je ne touche plus ma femme. A chaque fois que je travaille, on repart à zéro pour la mise à l'écart. 20 jours pour être sûr de ne pas être contaminé. Ça ne finit jamais."
 
 

"On nous ment sur les chiffres"

Frédéric n'a plus confiance. "J'entends ce qu'on dit à la télé sur les morts mais on nous ment. On est loin de la réalité. Les personnes qui meurent seules ne sont pas comptabilisées dans les chiffres du Covid-19.Les gens n'ont pas conscience de ce qui se passe."

Personne n'est épargné, pas même ses collègues. "Ce virus, c'est une cochonnerie. Il tue beaucoup de gens, et pas seulement des gens âgés. Ça peut commencer par pas grand-chose. Un de mes  collègues est en arrêt depuis 15 jours et son médecin a reconduit son arrêt de travail pour les deux prochaines semaines. Il a 35 ans, un costaud dans la force de l'âge. Il tousse beaucoup. Il reste à domicile."

  

Le confinement n'est plus assez respecté

Et les critiques à l'encontre du gouvernement se font de plus plus acerbes quand le syndicaliste évoque le confinement. "Je suis révolté quand je vois que le confinement s'assouplit, et que certains reprennent le travail. Cela veut dire davantage de personnes qui circulent, donc pour nous beaucoup plus d'interventions, alors que l'on n'a pas de bonnes protections. Je crains la catastrophe. Pour moi, plus le confinement dure, plus on sauve des vies. Les salariés ne doivent pas retourner au travail. On aura plus de morts, et on aura l'impression d'avoir fait tous ces sacrifices pour rien."

Le salaire de la peur. Le gouvernement promet une prime de 1000 euros aux salariés qui sont en première ligne. Frédéric a du mal à contenir sa colère. "Je pense aux policiers, aux caissières, aux soignants, tous ces gens à qui on fait prendre des risques. 1000 euros pour une vie, le salaire de la peur. Pour moi c'est inadmissible. Je n'en ai rien à f... de leur prime."

D'habitude, on est conscient de prendre des risques, on les assume. Mais cette fois, on a l'impression d'être méprisés par le gouvernement. Que notre vie ne compte pas !
- Frédéric Fougère, président départemental du Syndicat Autonome des Sapeurs Pompiers Professionnels


Mais ses craintes grandissent plus les semaines passent. "Le pire, c'est que si l'on est contaminé et que l'on meurt, on ne sera même pas reconnu en maladie professionnelle. Il faut le prouver. Avec les autres épidémies, on faisant un test avant de partir pour prouver qu'on était en bonne santé et en cas de contamination, on apportait la preuve qu'on l'avait attrapée lors d'une intervention. Avec le Covid-19, il n'y a pas de test. Ce qui fait que notre famille ne sera même pas correctement indemnisée en cas de contamination."

Frédéric et ses collègues continuent pourtant à travailler. La peur au ventre.
 
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