Un "fiasco" concernant la gestion des masques au printemps dernier et un "retard à l'allumage manifeste". René-Paul Savary, vice-président de la commission d'enquête du Sénat, tire à boulets rouges sur les autorités au sujet de leur gestion de la crise sanitaire.
Six mois de travaux, 102 heures d'auditions pour aboutir à un imposant rapport de 452 pages. Jeudi 10 décembre 2020, la commission d'enquête du Sénat, dont le sénateur (LR) de la Marne et médecin généraliste à la retraite René-Paul Savary est le vice-président, a publié ses conclusions sur la gestion de la crise sanitaire au printemps dernier, une semaine après l'Assemblée nationale.
Nous avons interrogé René-Paul Savary pour recueillir ses impressions après ces mois entiers de travaux.
Qu'est-ce que cette commission d'enquête a permis de mettre en évidence sur la gestion de la crise ?
On peut parler d'un retard à l’allumage manifeste au début de cette crise. Il y a eu un fiasco en ce qui concerne les équipements de protection et notamment les masques, les stratégies de test. La gouvernance été improvisée. Il faut retenir de notre enquête que cette crise a été plus administrée que gérée. Tout est arrivé trop tard et trop peu.
On a géré la pénurie plus qu’on ne l’a anticipée.
Comment jugez-vous la stratégie gouvernementale qui a été adoptée ?
Au début de la crise, il y avait ce stock de masques qui s’est retrouvé périmé. Ce stock n’a pas été compensé: on se rend compte qu’il y a plus de 700 millions de masques périmés et on en commande 50 millions. Et personne n’assume réellement les décisions, avec peut-être la volonté de se protéger d’un certain nombre de responsables. Puis il y a eu une prise de conscience qu’il allait y avoir un problème. Mais la stratégie du gouvernement a été de nous expliquer que le masque n’était pas d’une redoutable utilité. En fait, on a géré la pénurie plus qu’on ne l’a anticipée. Aucune stratégie n'a été définie.
Concernant nos gouvernants, quelles conclusions tirez-vous ?
J’ai retenu une absence d’autocritique de nos grands responsables politiques et administratifs, qui n’ont pas fait le retour d’expérience suffisant pour anticiper la deuxième vague. On voit bien qu’il y a eu, dans le cadre de la rechute qu’on a connue, une inertie entre le moment où l’on ressent les choses (ce qu’Agnès Buzyn appelle "l’intuition") et le moment où s’appliquent les éventuelles décisions. Il y a un temps de latence énorme.
Nous proposons de créer une vraie instance nationale de gouvernance de crise.
Qu'est-ce qu'on peut faire face à cette inertie ?
Cette inertie montre bien que nous sommes dans un pays très administré mais qui n’est pas suffisamment réactif. C’est la raison pour laquelle nous proposons notamment de créer une vraie instance nationale de gouvernance de crise, qui ne soit pas celle qu’on improvise au dernier moment, mais qui soit une cellule de veille permanente, qui associe les scientifiques mais aussi les concitoyens.
Parce que les Français n'ont pas été suffisamment impliqués dans cette crise ?
La démocratie sanitaire n’a pas du tout fonctionné en cette période de crise, de façon à ce que les décisions prises soient bien comprises par nos concitoyens. C’est un problème de confiance. On sent bien qu’il y a eu une défiance de la population vis-à-vis des décisions qui nous ont été proposées, parce qu’on voyait bien qu’elles n’étaient pas toutes cohérentes. Mais il y a aussi une défiance du monde politique vis-à-vis de nos concitoyens en ne les responsabilisant pas suffisamment.