A Reims, les associations qui recueillent les animaux abandonnés regrettent une mauvaise application de la loi censée les protéger. Reportage avec l'association Une patte vers l'avenir, débordée par l'arrivée massive de nouveaux compagnons.
Dans la petite commune de Châlons-sur-Vesle (Marne), le temps est pluvieux ce mardi 6 août 2019 dans la soirée. A la lisière d’une forêt, près d’un parking, un carton a été déposé. Deux petites truffes dépassent et des miaulements aigus viennent rompre le silence ambiant. Il s’agit de deux chatons qui viennent d’être abandonnés.
Lucie Martins, présidente et fondatrice de l’association rémoise « Une patte vers l’avenir », a été appelée par un passant. Elle a accouru pour recueillir ces deux petites boules de poils : une soirée malheureusement courante pour cette future professeure des écoles.
C’est le 30e abandon sauvage de chats que l’association doit prendre en charge depuis le mois de juin. À Reims et ses alentours, comme dans le reste de la France, ils se sont multipliés depuis le début des vacances d’été. Selon la fondation « 30 millions d’amis », 100 000 animaux sont abandonnés chaque année dans l’hexagone dont 60 000 pendant les vacances d’été.
Ces chiffres révèlent une triste réalité : en France, l’animal est encore trop souvent considéré comme un objet. Pour « Les Amis des bête », une autre association rémoise, le pic des abandons n’a d’ailleurs pas eu lieu en été cette année mais au début du printemps. Danielle Flaget, vice-présidente explique qu’elle « récupère les cadeaux de Noël » durant cette période. Pourtant, depuis 2015, la loi stipule que l’animal est un « être vivant doué de sensibilité ».
Les lois non appliquées
« Ça fait 25 ans que je m’occupe d’animaux, raconte Danielle Flaget. Et, malgré la loi, ça ne va pas en s’arrangeant », déplore-t-elle.Les cruautés – dont l’abandon – sont passibles de deux ans de prison et de 30.000 euros d’amande. Une loi encore peu appliquée d’après Isabelle Terrin, avocate spécialisée dans les violences faites aux animaux.
Avant, on avait tendance à se moquer de moi quand je défendais les animaux et maintenant, plus du tout.
- Isabelle Terrin, avocate spécialisée dans la question animale
D’après elle, les juges sont très peu enclins à défendre la cause animal notamment parce qu’il y a « un mépris de la justice ». Les plaintes sont rarement prises par la police et quand elles le sont, elles sont souvent classées sans suite par le parquet.
Le discours consiste à dire : « On ne va pas encombrer nos tribunaux avec des histoires de chiens ou de chats. » Et quand ils sont traités, les cas sont souvent minimisés : au lieu d’être envoyés au tribunal correctionnel, ils sont envoyés au tribunal de police.
Pourtant 89% des français jugent la protection des animaux importante d’après une étude IFOP de janvier 2019. Pour l’avocate, il y a un décalage entre l’avancement sociétal et l’avancement judiciaire. Elle remarque toutefois une évolution positive depuis la loi de 2015. « Avant, on avait tendance à se moquer de moi quand je défendais les animaux et maintenant, plus du tout. » D’après elle, les réseaux sociaux jouent un grand rôle : « La justice ne peut plus nier que les cruautés existent. »
Des bénévoles très impliqués
Sur le terrain, biberon à la main, Lucie Martins prodigue les premiers soins à ses deux nouveaux colocataires, pas encore sevrés. Ils sont atteints du choriza et devront être mis en quarantaine le temps d’être soignés. Elle s’est formée auprès d’une vétérinaire pour pouvoir être un peu autonome. « J’ai toujours été très sensible à la cause animale, explique-t-elle. Mais quand j’ai fait le choix de monter l’association je ne pensais pas qu’il y aurait autant de cas à Reims. »On a tout le temps le téléphone à la main,
Françoise, membre de l'association « Une patte vers l'avenir »
L’association compte à ce jour 75 bénévoles dont une quinzaine particulièrement actifs. Elle reçoit sept à huit signalements par jour et ne traite que les urgences : abandons sauvages ou maltraitance. Elle s’occupe de recueillir les animaux, de les soigner, de faire des enquêtes de voisinages en cas de maltraitance et de veiller à ce que les chats sont bien ré-adoptés.
Bref, les bénévoles y passent l’intégralité de leur temps libre. « On a tout le temps le téléphone à la main », raconte Françoise, l’une d’entre eux.
Sur les lieux de l’abandon, les trois bénévoles font part de leur agacement. Deux questions les taraudent : pourquoi les chats ne sont pas plus stérilisés et pourquoi la loi n’est-elle pas mieux appliquée ? « Si l’abandon était sanctionné conformément à la loi, les gens réfléchiraient à deux fois avant de prendre un animal », assure de son côté l’avocate Isabelle Terrin.
« Prendre un animal, c’est pour la vie »
Pour la juriste, cette non-application de la loi peut, à terme, s’avérer dangereuse : « Ça cristallise les revendications, explique-t-elle. Quand il y en a un qui prend, il subit un lynchage. Il prend pour les autres. » Elle reconnaît que, parce que la loi n’est pas appliquée, les gens s’enflamment. Elle condamne d’ailleurs tout débordement « parce qu’après ça se retourne contre la cause animale ».« Prendre un animal, c’est pour la vie », déclare Sylvette, une des membres d’ « Une patte vers l’avenir ». C’est pourquoi ces bénévoles tiennent à venir en aide aux personnes sans abri qui ont avec eux un petit compagnon de route. L’association participe régulièrement à des collectes pour les nourrir eux et leurs animaux.
Quant à nos deux petits chatons, ils seront prêts pour l’adoption d'ici le mois d'octobre mais pas dans n’importe quelles conditions. Pour éviter à l’animal de se retrouver dans le cercle vicieux de l’abandon, les membre d’« Une patte vers l’avenir » organisent des pré-visites et demandent à l’adoptant de signer un contrat.
Malgré la fatigue, les membres d’ « Une Patte vers l’avenir » ne se découragent pas. Mais comment faire si le nombre de chats explose ? La réponse est simple : « Même si on n'a plus de place, on poussera les murs. »