Logements insalubres : "Notre quartier est classé Unesco, mais entrez dans nos maisons, vous verrez leur état"

Ils ont été les premiers à dénoncer leurs conditions de vie. Justine Brevard et son compagnon habitent le quartier du Chemin Vert à Reims. Leur maison est insalubre car gorgée d'humidité et rongée par la pourriture. Mais ils ne sont pas les seuls dans cette situation. Eux déménageront bientôt, les autres sont toujours dans le combat.

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"Cela bouge enfin. C'était interminable". Deux semaines après leur coup de colère sur l'antenne de France3, Justine Brévard, son compagnon et sa petite fille de 2 ans, seront relogés dans quelques semaines. Relogés et indemnisés. Ils n'y croient toujours pas. 

Depuis 4 ans, ils se battent pour que leur maison de 55 m2, dans le quartier du Chemin Vert à Reims, ne se transforme pas en logement insalubre, rongé par la pourriture. Malheureusement, tous les murs, les sols, sont noirs de champignons. Les meubles fragilisés par l'humidité. La petite fille du couple souffre d'un staphylocoque doré dû aux conditions sanitaires dans lesquelles elle vit. "Je n'en peux plus. Nous vivons dans un taudis", explique Justine, la maman.

La personne a mesuré le taux d'humidité et, certains endroits, le sol du salon et les murs de l'entrée, indiquaient 100% d'humidité. Elle a même fait la remarque : on se demande comment tiennent encore vos murs.

Justine Brévard, locataire au quartier du Chemin Vert

Leur coup de colère a porté ses fruits. Le Foyer Rémois, bailleur social et propriétaire du bien, semble avoir compris l'ampleur de la situation. "Des ouvriers sont venus le lendemain du reportage pour combler les fuites au niveau de la douche, précise Justine Brévard. Mais ça n'a pas tenu. Ils sont revenus deux jours plus tard pour remettre du silicone, mais cela fuit toujours".

Parce qu'en plus de l'humidité de leur logement, le couple fait face à des dégradations dans leur salle de bains. Lorsqu'ils se douchent, l'eau coule dans leur cuisine abîmant les meubles installés à leur frais avec le risque de détruire l'installation électrique. L'eau passant entre la salle de bains et le four.

La VMC installée après 4 ans d'attente

Justine Brévard a également contacté son assistance juridique. Bien décidée à ne plus se laisser faire. "Nous avons investi plus de 5 000 euros pour tout refaire : les sols, les murs, la cuisine que nous avons réinstallée, reprend Justine. Si nous déménageons, nous ne pourrons rien récupérer. Tout est mangé par l'humidité. Et cela s'est aggravé dans le salon. Le buffet est moisi, le mur est noir. La table de salon est verte de moisissure. L'avocat de notre assistance juridique nous a aidés à rédiger des courriers et deux lettres recommandées ont été envoyées au Foyer Rémois. La première pour demander un dédommagement concernant la maladie de ma fille. La seconde pour les préjudices subis par rapport à tous nos meubles". L'expert de leur assurance est également passé. Les dégâts générés par la fuite d'eau seront pris en charge.

"Je vais au Foyer Rémois presque tous les jours", précise encore Justine Brévard. Son obstination a aussi permis de faire avancer la situation. "Ils viennent nous installer la VMC (ventilation mécanique contrôlée), 4 ans après notre première demande. Une entreprise de nettoyage est aussi venue faire un devis pour désinfecter la maison. La personne a mesuré le taux d'humidité et, certains endroits, le sol du salon et les murs de l'entrée, indiquaient 100% d'humidité. Elle a même fait la remarque : on se demande comment tiennent encore vos murs".

2000 euros d'indemnisation

Justine Brévard et son compagnon ont également reçu plusieurs propositions de relogement. Leur demande faite depuis un an n'avait, jusque-là, pas abouti. "Nous avons refusé un appartement en dehors du Chemin Vert et une maison aussi petite que la nôtre. Une autre maison, plus grande, nous a été proposée. Nous ne l'avons pas encore visitée, car le Foyer Rémois souhaite que tous les travaux soient terminés avant et notamment l'installation d'une VMC. Nous avons validé cette proposition et nous devrions emménager début ou mi-décembre. Nous n'avons qu'une hâte : partir".

Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule. Un courrier en recommandé du Foyer Rémois valide la demande d'indemnisation. Le bailleur social propose "de vous accorder une indemnisation forfaitaire d'un montant de 2 000 euros, à laquelle s'ajoute la prise en charge par notre organisme des frais de déménagement par un prestataire". Inquiète aussi concernant l'état des lieux, Justine est désormais soulagée. Le courrier spécifiant :"nous vous assurons qu'aucune réparation locative ne vous sera imputée lors de l'état des lieux de sortie". 

La médiatisation a-t-elle eu raison de l'immobilisme du bailleur social ? Il semblerait. Si Justine Brévard et sa famille ont obtenu gain de cause, d'autres espèrent faire bouger rapidement le Foyer Rémois.

Vice caché ?

Sur les 600 logements que compte le quartier du Chemin Vert, certains habitants estiment que 80%, au moins, des maisons sont dans un triste état. "On nous dit que ce quartier est très prisé, classé Unesco, dit un des habitants joint par téléphone. Oui c'est vrai de l'extérieur, tout est beau. Mais entrez dans nos maisons et vous verrez l'état et nos conditions de vie".

Suite au reportage diffusé le 15 octobre dernier, de nombreux locataires nous ont contactés. Tous avec le même scénario. "Nous sommes entrés dans la maison en juin 2020, explique Cloé Thomas locataire au 17 allée des Bleuets. Nous n'avons rien vu, tout était repeint en blanc mais dès l'hiver suivant l'humidité est arrivée".

Même situation pour Christophe Uhry au 10 allée de l'Argonne."Nous habitons cette maison depuis deux ans et demi, explique-t-il. À notre arrivée, tout avait été repeint et l'hiver suivant, les moisissures sont arrivées dans la salle de bains. Nous nous sommes battus pour que l'on nous change le lino, ils nous ont installé une VMC et nous avons repeint avec une peinture anti-moisissure. Trois couches, mais ça revient. Notre porte d'entrée est toute rouillée. Dans la cave, c'est noir de moisissures".

Sacha Douifi habite, avec sa famille, avenue de l'Yser, depuis trois ans. "À notre arrivée, la peinture avait été refaite, explique-t-elle, mais six mois plus tard, la moisissure est apparue dans la salle de bains et dans la chambre de ma fille à l'étage, puis dans les toilettes en bas. Nous mettons des produits pour éviter que cela se répande. Je ne veux pas que cela touche mon enfant". 

Ce sont les conditions dans lesquelles ils nous laissent vivre et leur comportement vis-à-vis de nous qui posent problème. Les gens du quartier sont à bout.

Cloé Thomas, locataire du quartier du Chemin Vert

"C'est un problème esthétique"

Dans la petite maison du 17 allée des Bleuets, Cloé Thomas vit avec son compagnon et ses deux enfants. À peine 55 m2, un petit jardin et un intérieur que le couple essaye d'entretenir tant bien que mal. En entrant, nous sommes happés par l'odeur d'humidité. Pourtant, toutes les fenêtres sont ouvertes. Des gouttes d'eau dégoulinent le long des vitres. En bas, la moisissure gagne le tour de la porte d'entrée et les coins de mur. En haut, dans les deux chambres, les plafonds sont noirs, comme dans la petite salle de bains.

"Cela fait trois fois que le Foyer Rémois vient prendre des photos, précise encore Cloé Thomas. Nous avons refait les plafonds des deux chambres. Dans la nôtre, les travaux datent de mars dernier et tout redevient noir. Le Foyer Rémois nous prend pour des imbéciles. Quelqu'un de chez eux m'a déjà dit que les taches noires étaient un problème esthétique et que cela se nettoyait. Ce jour-là, mes deux enfants étaient là, je peux vous dire que je me suis contenu. Nous avons refait notre chambre car l'eau coulait du plafond et tombait sur nos têtes. Pendant un moment, nous dormions sur un matelas par terre dans le salon pour éviter cela".

Cloé Thomas appelle, envoie, des mails, des messages via les réseaux sociaux au Foyer Rémois, propriétaire, mais rien ne bouge. "Ça me met mal à l'aise de les contacter aussi souvent, de me mettre en colère, reprend-elle. Je n'ai pas envie de faire la guerre, je veux juste déménager et nous acceptons même de partir en dehors de Reims. Ce sont les conditions dans lesquelles ils nous laissent vivre et leur comportement vis-à-vis de nous qui posent problème. Les gens du quartier sont à bout". 

250 à 300 euros de facture de chauffage

Pourtant, ils y sont attachés à cette cité modèle des années 20. Le Chemin Vert, c'est chez eux depuis des générations. "J'ai 55 ans, je suis né dans le quartier", explique Christophe Uhry. "Mes arrières grands-parents, mes grands-parents, mes parents ont habité ou habitent encore le quartier. Nous l'aimons", dit encore Cloé Thomas. Audrey Soleger habite avenue de l'Yser et, elle aussi, a connu ses grands-parents dans ces petites maisons ouvrières. "J'y habite depuis 2017, explique-t-elle, et depuis deux ans, l'humidité gagne du terrain. Le mur de l'entrée est rongé et s'effrite. Le foyer Rémois est même venu faire des prélèvements pour voir s'il y avait de l'amiante. Un devis pour le réparer a été fait. Mais je n'ai aucune nouvelle. Le sol de mon entrée est aussi noir et sur les paliers de l'étage l'eau coule. Les toitures sont fichues"

Audrey a installé des boîtes anti-humidité dans toutes les pièces pour tenter de remédier aux problèmes. Mais le mal est tellement profond. "Je veux simplement vivre dans un logement décent avec mes enfants. Ce n'est pas normal d'être dans une telle passoire thermique. Par contre, les loyers, eux, augmentent bien". "Nous avons emménagé il y a trois ans avec un loyer à 509 euros, explique encore Sacha Douifi. Aujourd'hui, il est à 590 euros". 

Sans compter les factures astronomiques de chauffage. Entre 200 et 250 euros par mois, en hiver, pour de nombreux locataires et des logements qui n'excèdent pas 55 m2, "et encore, je ne chauffe qu'à 19 degrés", précise Cloé Thomas.

Les premiers ordres de service seront lancés fin 2024, Il devrait s'orienter vers la reprise des toitures, la pose de VMC, la reprise des isolations sous toiture et également la pose de nouvelles portes d'entrée sur les pavillons. Cela concernera un peu plus de 500 logements.

Antoine Prigent, responsable de l'agence Europe au Foyer Rémois

Du miel le long des murs

Yannick Paraffe est très concerné par l'ensemble des problèmes d'humidité. Salle de bains, infiltration d'eau dans l'entrée. Lorsqu'il emménage en 2019, ii rencontre l'ancien locataire. Il lui précise qu'un autre souci important concerne le logement : un essaim d'abeilles. Ce dernier n'ayant pu résoudre la situation, Yannick Paraffe prend le relais. Les abeilles semblent passer par le conduit de cheminée. Une trappe a donc été réalisée pour accéder dans les combles, mais l'essaim se cache ailleurs.

2019-2024 : les abeilles se sont installées durablement au 9 Allée des Bons Enfants. Après de nombreuses demandes d'interventions au Foyer Rémois, après avoir fait appel à un apiculteur, les insectes sont toujours à demeure et travaillent ! "Chaque soir, nous devons nettoyer. Les murs dégoulinent de miel, explique Mickaelle Douchet, la compagne de Yannick Paraffe. Un matin, dans le salon, j'ai mis le pied dans une mare de miel". Le nectar sucré coule aussi le long des murs de leur chambre. L'essaim étant inaccessible visuellement, l'apiculteur ne peut intervenir. Le propriétaire, le Foyer Rémois, semble refuser d'engager les travaux nécessaires à la recherche des insectes. 

Une situation ubuesque, qui dure depuis cinq ans.

Un logement décent répond à 5 critères : surface et performance énergétique minimales, absence de risque pour la sécurité et la santé du locataire, absence d'animaux nuisibles et de parasites, mise à disposition de certains équipements.

Loi française

Déménager

"Nous sommes au sein de la cité du Chemin Vert, qui est la cité historique du Foyer Rémois, explique Antoine Prigent, chef de l'agence du quartier Europe au Foyer Rémois. Nous avons des pavillons qui ont plus de 100 ans d'âge, Ils sont également classés au sein du patrimoine mondial de l'Unesco, Cela nécessite des autorisations qui sont conséquentes, pour pouvoir mener les travaux à bien". 

Le quartier du Chemin Vert fait partie des Coteaux, Maisons et Caves de Champagne inscrits effectivement sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2015. Le propriétaire, le Foyer Rémois, se doit donc de le protéger. Mais avant 2015, cette obligation était déjà d'actualité. Préserver un bien social immobilier, c'est protéger les locataires qui y habitent. Le bailleur aurait-il manqué à cette obligation ? 

La loi française précise, ainsi, les obligations du bailleur. "Le propriétaire à l'obligation de délivrer un logement décent et ne portant pas atteinte à la sécurité ou à la santé du locataire. Un logement décent répond à 5 critères : surface et performance énergétique minimales, absence de risque pour la sécurité et la santé du locataire, absence d'animaux nuisibles et de parasites, mise à disposition de certains équipements". 

"Il est à noter que chaque logement est particulier et nécessite une étude avant prise de décision", explique encore Antoine Prigent du Foyer Rémois. D'importants travaux de réhabilitation vont aussi débuter au Chemin Vert. "C'est un travail d'ampleur pour prolonger la vie de ce quartier, explique encore le responsable du Foyer Rémois. Les premiers ordres de service seront lancés fin 2024, Il devrait s'orienter vers la reprise des toitures, la pose de VMC, la reprise des isolations sous toiture et également la pose de nouvelles portes d'entrée sur les pavillons. Cela concernera un peu plus de 500 logements."

Un chantier et des mois de travaux, mais le Foyer Rémois nous l'assure :"En supplément de l'important projet de réhabilitation, des équipes du Foyer Rémois, préoccupées par la situation de nos locataires, ont identifié 20 logements sur l'ensemble des adresses sur Chemin Vert qui nécessitent une intervention rapide sur les VMC et toiture. L’appel d’offres a donc été lancé et sera prochainement attribué. Les locataires seront informés en temps utile de ces travaux". 

Leur attachement à ce quartier de leur enfance à des limites. Tous ceux qui témoignent dans ce reportage n'ont qu'une envie : partir.

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